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parce qu'ils avaient tous l'intelligence des uns des autres. Car, de même qu'il y a l'intelligence du souverain, il y a aussi l'intelligence du sujet, et celle-ci n'est ni moins noble, ni moins belle que l'autre. « L'Église catholique, a dit un contemporain non suspect, parce qu'il n'est pas catholique, mais à qui il manque seulement d'être catholique pour être tout à fait un grand esprit et un grand cœur, l'Église catholique est une grande école de respect. » Qu'enseigne-t-elle donc tant à respecter? le pouvoir, l'autorité, et elle enseigne à les respecter partout sans exception, dans la famille, dans la monarchie, dans la république, où le pouvoir est plus voilé, où il manque peut-être de prestige et de majesté, mais où il existe néanmoins tout entier, enfin dans l'Église. Oui, l'Église catholique est une grande école de respect, mais elle ne l'est que parce qu'elle a une grande intelligence du pouvoir; elle sait d'où il vient, où il va, qui il représente. Omnis rex habet Dei imaginem. Et qui sait encore cela en dehors de l'Église catholique?

Heureux donc celui qui demande encore à l'Église l'intelligence du pouvoir, car celui-là sera grand, fût-il toujours sujet. Il sera plus grand que ceux qui le gouvernent, que les rois eux-mêmes, si ceux-ci n'ont plus l'intelligence du pouvoir. Car, aujourd'hui ce ne sont pas seulement les sujets qui ont perdu cette intelligence, mais, qui le croirait ! ce sont aussi les rois, les gouvernements. Est-il donc surprenant que les rois disparaissent, puisqu'ils ne se comprennent plus eux-mêmes! Tout roi est l'image de Dieu; et on a persuadé aux rois, et ils se sont persuadé à eux-mêmes qu'ils sont l'image du peuple. Ils le sont devenus en effet, et ils y ont perdu leur dignité, leur majesté, leur royauté elle-même. Quand un roi règne aujourd'hui, il ne gouverne

pas. Mais qu'y ont gagné les peuples? Ce que gagne le corps quand la tête s'affaiblit et cesse d'être la tête. L'homme n'est plus qu'une ruine. Il en est de même du peuple, quand le pouvoir perd son autorité, et cesse d'être le pouvoir.

Ah! que le pouvoir reste le pouvoir, si le peuple veut rester le peuple, et la société la société!

CHAPITRE V

Le pouvoir est une véritable paternité.

Les plantes portent des graines, les animaux ont des petits, l'homme seul a des enfants, et s'élève ainsi, à l'exclusion de tous les autres êtres sur la terre, à l'honneur de la paternité. Il est de mode, cependant, parmi quelques amateurs passionnés des bêtes, de transporter à des animaux de choix, à ceux qu'on qualifie de race, ces appellations d'honneur. Tel vainqueur dans les courses est fils de tel cheval renommé, ou père de tel autre. Mais se servir de ces expressions, quand il s'agit d'animaux, c'est ou trop élever ces bêtes, ou trop se rabaisser soi-même, car il y a une distance immense, infinie presque entre les hommes et les animaux, et s'il est nécessaire d'observer cette distance dans les mœurs, il n'est pas moins convenable de l'obserser aussi dans le langage et dans les manières. Sait-on d'où ces beaux titres de père et de fils tirent leur origine? De la très-sainte Trinité elle-même, « de laquelle descend

toute paternité » et par conséquent aussi toute filiation, Ex quo omnis paternitas. Dieu a bien voulu faire part de ces titres aux hommes qui sont faits à son image et à sa ressemblance, mais non aux animaux qui n'en ont pas même l'intelligence, et qui ne peuvent en comprendre ni l'origine ni la dignité. Ces titres sont, en effet, des titres d'honneur, et pour en être honoré, il faut être capable de les honorer à son tour.

En faisant part aux hommes de ces deux beaux titres de père et de fils qui sont de toute éternité en lui, Dieu ne les a pas donnés tous les deux dans la même mesure. Il a étendu à tous les hommes, sans exception, l'honneur du second, mais non celui du premier, de la paternité, parce que la paternité, c'est le pouvoir. Tous les hommes, sans doute, sont bien l'image de Dieu en ce qui regarde son intelligence et même sa bonté, mais tous ne le sont pas en ce qui concerne son pouvoir. Ce sont les pères seuls, les pères de famille d'abord, les plus anciens de tous les pères, puis les rois, plus pères encore que les pères de famille, et enfin les pontifes, les plus pères, si je puis parler ainsi, de tous les pères. Même en accordant à un petit nombre d'hommes la participation à son pouvoir et à sa paternité, Dieu ne l'a pas fait pas sans y mettre beaucoup de mesure et de restriction, et sans leur rappeler que ces grands noms ne sont pas à eux, mais à lui, et que c'est à lui seul qu'ils conviennent en propre. « Pour vous, leur dit-il, ayez soin de ne pas vous appeler maîtres, car vous n'avez qu'un maître, et vous êtes tous frères et égaux. N'appelez aussi personne père, sur la terre, car vous n'avez qu'un père qui est dans les cieux. » (Math. xxII, 8-9). Combien n'est-il pas alors indécent d'appeler pères de purs animaux ?

Dieu seul est donc père par essence et seul il est maître,

ou seigneur, Ego Dominus. De là l'alliance étroite, intime du pouvoir et de la paternité, alliance si naturelle et si nécessaire qu'il n'y pas plus de paternité sans pouvoir que de pouvoir sans paternité. Quiconque, en effet, devient père, devient par là même auteur, principe, prince, et quiconque, à son tour, acquiert le pouvoir devient père; il crée, il forme, il élève et conserve. Dieu ne divise pas dans les hommes ce qui est indivisible en lui.

Qu'est-ce, en effet, que la paternité? la paternité est la plus haute des causes, parce qu'elle produit le plus noble des effets. Le père est un être intelligent et bon qui produit un autre être bon et intelligent comme lui. Ainsi en Dieu, par exemple, être père, c'est créer (car je ne parle pas ici de sa paternité intérieure, éternelle, infinie), c'est, dis-je, créer un être semblable à lui. Aussi, quoiqu'il ait également créé les hommes et les animaux, cependant il est père des hommes seulement et non des animaux, parce que dans ceux-ci il n'y a pas trace de ressemblance avec lui. A peine s'il y a, selon le langage de l'Écriture, un vestige de ses pieds. Dieu lui-même, ils ne le connaissent pas; alors à quoi leur servirait la ressemblance divine? Ainsi, en Dieu être père, c'est créer un être semblable à lui; en l'homme être père, c'est procréer, c'est produire encore un être semblable à lui.

Toutefois, ce n'est pas assez pour être tout à fait père d'avoir créé ou procréé, il faut encore conserver, élever, gouverner, et ce second ouvrage n'est pas inférieur au premier; que dis-je, il lui est bien supérieur. La création, ou la procréation n'est, en effet, que l'œuvre d'un instant; la conservation, le gouvernement au contraire, est une œuvre continue et comme une création ininterrompue. « Mon Père travaille

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