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d'après un modèle incréé, éternel: il existe donc une société sans commencement, modèle éternel de toute société qui a commencé, et cette société c'est l'adorable Trinité, c'est l'admirable société des trois divines personnes, du Père, du Fils, et du Saint-Esprit.

En effet, Dieu n'est pas seulement unité; comme le dit saint Augustin, il est aussi trinité, Deus trinitas est. Il est donc société; car qu'est-ce que la société si ce n'est l'union stable de personnes qui vivent entre elles en parfaite intelligence? Or, quelles personnes sont plus unies entre elles que les adorables personnes de la Sainte-Trinité ? Qu'est-ce encore que la société? c'est un père et des enfants, ou mieux encore, un père et un fils qui s'aiment de l'amour le plus tendre. Or, la Sainte-Trinité est composée d'un père et d'un Fils qui s'aiment d'un amour infini, et d'un Esprit qui est le terme infini de cet amour, Dieu est donc société, puisqu'il est Père, Fils et Saint-Esprit, puisqu'il réalise en lui d'une manière éminente, infinie tous les caractères que nous assignerons plus tard à la société : unité, multitude, ordre, hiérarchie, intelligence, amour, paix, stabilité, félicité. Non-seulement Dieu est société, mais il est la société par excellence, la société nécessaire, éternelle, tandis que toutes les autres sociétés ne sont que des sociétés contingentes, des imitations, de pâles images de cette éternelle société.

En effet, tout ce que nos sociétés ont de réalité, de beauté, de stabilité, c'est de Dieu qu'elles l'empruntent: Vérité, justice, beauté, majesté, autorité, ordre, amour, lois, paix, félicité, tout cela leur vient de cette société éternelle, non d'ellesmêmes. Aussi, si cette société n'existait pas, aucune autre ne serait. S'il n'y avait pas une vérité éternelle, une unité éternelle, un amour éternel, une justice éternelle, une majesté éternelle, une loi éternelle..., il n'y aurait ni vérité, ni unité,

ni justice, ni loi, ni ordre dans les sociétés créées, il n'y aurait même ni sociétés, ni créatures; rien ne serait.

Alors, comment faire de la politique sans s'élever jusqu'à la politique éternelle? Comment parler de nos sociétés contingentes sans remonter jusqu'à la société nécessaire? comment juger de l'image sans avoir sous les yeux l'original? comment conduire la société à sa perfection sans connaître sa fin, sans contempler sans cesse le modèle, l'idéal?

Aussi, contempler toujours cette éternelle société qui est en Dieu, y découvrir sans cesse de nouvelles vérités, de nouvelles beautés, de nouvelles clartés, de nouveaux horizons, un idéal qui grandit toujours, qui s'élève toujours sans s'épuiser jamais, une vérité infinie, un amour infini, une beauté infinie, une justice infinie, un ordre infini, une paix et une félicité infinies, tel est le premier devoir de l'homme véritablement politique, et telle est aussi la première partie de la grande politique, de la politique chrétienne: « Ut omnes unum sint, sicut Tu, Pater, in Me, et Ego in Te, ut et ipsi in Nobis unum sint, » dit le grand, l'éternel politique, Jésus-Christ. «Que tous ensemble ils ne soient qu'un, comme Vous, mon Père, êtes en Moi, et Moi en Vous; de même qu'ils soient un en Nous. » (Joan., XVII, 21). Dans ce peu de mots, sont les trois seules sociétés existantes ou possibles, savoir la société des créatures raisonnables entre elles: Ut omnes unum sint; la société de ces mêmes créatures avec Dieu: ut et ipsi in Nobis unum sint; et enfin la société adorable de Dieu avec luimême, ou des trois divines personnes entre elles: Sicut Tu, Pater, in Me, et Ego in Te. Et c'est la société éternelle, la Sainte-Trinité qui sert aux autres d'idéal, de modèle et de fin: « Sicut Tu, Pater in Me, et Ego in Te. »

Je sais que les publicistes qui ne sont pas chrétiens ne

remontent pas si haut pour asseoir la politique. Mais aussi quelle politique font-ils? quel en est le fondement, quelle en est la force, la stabilité? d'où font-ils descendre la vérité, la justice, la hiérarchie, l'autorité, la loi, le devoir, le droit... etc.? Ils ne le savent pas, et dans leur ignorance ils supposent que ces grandes choses, c'est l'homme lui-même qui les fait, qu'elles existent par lui, par ses lois, ses décrets; aussi leur société est comme leur politique : nées l'une et l'autre des passions, ou du moins des opinions, elles changent sans cesse comme l'opinion.

Ainsi, les sociétés humaines séparées de Dieu, de la Sainte-Trinité, se voient non-seulement découronnées, décapitées, mais elle n'ont plus ni idéal, ni principe, ni origine, ni fin, ni raison d'être. Que deviennent-elles alors ainsi que la politique? tout ce qu'on veut. Comme la politique n'existe plus, on l'invente; comme il n'y a plus de principes, on en fait, et nous voyons de prétendus principes éclos en 89 et qui portent encore la date ridicule de leur origine, gouverner, je me trompe, agiter, troubler, révolutionner la société. En politique aussi bien qu'en morale et en religion, que l'homme est donc petit, qu'il est faible quand il invente! mais qu'il est grand, au contraire, qu'il est puissant quand il s'efface lui-même, quand il laisse faire Dieu, auteur de toute société, quand il contemple la première de toutes les sociétés, source, modèle, idéal de toutes les autres, et quand il imite ce modèle : « Que tous ensemble ils ne soient qu'un, comme Vous, mon Père, êtes en Moi et Moi en Vous. » Sicut Tu, Pater..., etc. Oui, un dans la famille, un dans l'État, un dans l'Église, un dans le ciel, comme les trois divines personnes sont une même nature en un seul Dieu. C'est bien là, je pense, le modèle.

2° L'homme n'est pas la première créature libre et in

telligente, ni par conséquent la première créature sociable et politique. Il ne l'est ni dans l'ordre des temps, ni dans l'ordre d'excellence; l'ange le précède en tout, en ancienneté, en nature, en grâce. La première société créée, la société qui la première a porté l'image de la société divine, n'est donc pas la société humaine, c'est la société angélique. La politique a donc été parmi les anges avant d'être parmi les hommes, et elle y a été incomparablement plus grande, plus parfaite, plus conforme à la politique éternelle qui est en Dieu. Alors, comment passer sous silence les créatures les plus excellentes, les plus sociables, celles qui ont inauguré la politique dans le monde et fondé la première cité créée, la première cité de Dieu parmi les créatures, Civitas Dei.

D'ailleurs, les anges ne sont pas pour nous des étrangers; au contraire, ils sont des frères, ils sont nos aînés dans la création, nos aînés en intelligence, en grâce. Dès maintenant nous vivons avec eux par le culte que nous leur rendons, ils vivent avec nous par la protection qu'ils nous accordent, et plus tard les deux sociétés seront tout à fait confondues. Les anges n'appartiennent donc pas seulement à la société, ils appartiennent à notre société, ou, si l'on veut, nous appartenons à la leur, car ici sur la terre nous devons déjà être des anges, et nous sommes appelés à l'être tout à fait dans le ciel Et erunt sicut angeli Dei.

La politique chrétienne ne sépare donc pas deux sociétés si chrétiennes, et qui, d'ailleurs, ont la même origine, la même fin, les mêmes lois ou commandements, la même grâce, et j'oserais dire aussi la même nature, car l'intelligence et la volonté des anges sont notre intelligence et notre volonté eux et nous, nous avons les mêmes vérités, le même bien souverain. Alors, pourquoi n'aurions-nous pas aussi la même politique?

30 Avec Adam paraît une créature nouvelle, un peu inférieure aux anges, Paulò minùs ab angelis, mais intelligente comme eux, libre et sociable comme eux. De là une société nouvelle, et une nouvelle politique, ou plutôt une nouvelle participation de la divine et éternelle politique.

A la vérité, Adam est créé d'abord seul de son espèce, et partant il semble que la société n'existe pas encore pour lui. C'est une erreur; une nouvelle société, et même une société des plus belles commence avec ce premier homme. Seul encore de son espèce, il n'est pas pour cela solitaire, il n'est même pas sans semblable; car « Dieu a créé l'homme à son image. C'est à son image et à sa ressemblance qu'il l'a créé. » (Gen., 1, 27). Adam a donc un semblable en Dieu, puisque Dieu a un semblable en lui.

Ainsi, Adam n'était pas dans la solitude, mais en société. Ut et ipsi in Nobis unum sint, « Qu'ils ne fassent qu'un avec nous.» Cette parole s'adresse d'abord à Adam avant de s'adresser à ses descendants, comme elle s'adresse individuellement à chacun de nous avant de s'adresser collectivement à tous; Dieu s'est réservé la première société dans tous les cœurs. Notre société est avec Dieu avant d'être avec les hommes, avec notre père, avec nos concitoyens. Prima est homini cum Deo societas. L'homme doit aimer Dieu avant d'aimer qui que ce soit au monde, avant de s'aimer lui-même. La société commence donc avec Dieu, et pour chacun de nous il est une société qui est antérieure à la famille, à l'État, à l'Église elle-même, c'est celle que nous avons ou devons avoir avec Dieu. A cette société appartiennent notre première connaissance et notre premier amour; toujours elle a droit à la première place dans notre cœur, les autres n'ont droit qu'à la seconde.

La société humaine avait donc déjà commencé avec le

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