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n'est ni bon, ni juste, ni honnête; que sans elle on est dans ce monde, dans la société, comme un étranger, comme un ennemi même; car vivre sans la grâce, c'est vivre en ennemi de Dieu dans l'empire même de Dieu.

Pour ce qui est de la famille, de l'État, qui ne les connaît? Il en est de même de l'Église. Ceux-là même qui ne connaissent pas la véritable Église savent qu'il y en a une. Tous les hommes qui sont sur la terre sont dans l'Église, ou sont appelés à y être. Elle n'est donc au-dessus de l'intelligence de personne.

Enfin, tout le monde aspire à une société meilleure que toutes celles que nous avons sur la terre, à une société plus stable, plus riche, plus heureuse, à une société exempte de tous maux. En effet, qui ne veut être heureux, immortel? Qui n'aspire au progrès, au repos, à la gloire? Or, cette aspiration est une connaissance, car on n'aspire qu'à ce qu'on connaît. Si quelques-uns n'ont qu'une connaissance confuse et indistincte de cette société future, que nous cherchons tous, futuram inquirimus, c'est à la négligence de ces âmes qu'il faut l'imputer, non à la hauteur inaccessible de cette société; car, cette société future que tant de philosophes ignorent ou connaissent si mal, nos enfants la connaissent: preuve qu'elle est accessible à tous.

Ainsi, cette politique si grande est en même temps simple, la plus simple même de toutes: car il n'en est pas de la politique chrétienne comme de la politique humaine. Celle-ci est, en effet, le privilége de quelques hommes seulement, parce qu'elle est aussi l'invention de quelques esprits. La politique chrétienne, au contraire, est la science de tous, grands et des petits, des savants et des ignorants, des rois et des sujets, parce qu'elle n'est l'invention de personne, et qu'elle est le bien, la vie, le patrimoine de tous. Est-ce que

de

tous, en effet, n'ont pas été créés pour être riches, heureux, bienheureux même? Quel est donc l'homme, dans quelque rang de la société qu'il se trouve, qui ne puisse, s'il le veut, qui ne doive même être en société avec les trois personnes de la Sainte-Trinité par son âme, avec ses proches par la famille, avec ses concitoyens par l'État, enfin avec les fidèles, avec tout le genre humain par l'Église, avec les anges et les bienheureux par la communion des saints, en attendant qu'il y soit entièrement et pour toujours par sa présence même.

Certes, vivre en grâce avec Dieu dans la conscience, être bon fils, bon époux, bon père dans la famille, bon citoyen dans l'État, bon chrétien dans l'Église, tout cela ne présente rien qui excède les connaissances d'un homme, puisqu'on ne peut être honnête homme sans tout cela. Eh bien ! c'est cependant la politique la plus vaste et la plus universelle, c'est toute la politique chrétienne, non en théorie seulement, mais encore en pratique. Ainsi le grand devient simple, et le simple devient grand. La grandeur est accessible aux petits, et la simplicité aux grands. Ah! c'est que dans la politique chrétienne Dieu est tout, et Dieu est partout. Or, qu'y a-t-il à la fois de plus grand et de plus simple que Dieu ?

Chose merveilleuse! les grandes erreurs, les aberrations politiques ne se trouvent pas chez les ignorants, mais bien chez les savants, chez les hommes d'État qui ont voulu faire de la politique par eux-mêmes, inventer des droits nouveaux, créer des principes modernes... la politique des esprits simples et droits est juste et saine, parce qu'elle est la politique chrétienne. Ils comprennent très-bien, ces esprits, que « notre royaume n'est pas de ce monde, » et que notre politique, par conséquent, ne doit pas en être da

vantage. Car là où est notre royaume, là aussi est notre cœur et notre politique. Ainsi, pour être grande, cette politique n'est pas démesurée; elle est à la hauteur de l'homme, de son origine, de sa fin, de son intelligence, de ses désirs, de ses aspirations, de son amour, et voilà tout. Deum amas? Deus es. La politique divine est-elle donc trop grande pour l'homme devenu Dieu.

Dans le cadre de cette politique, quelque vaste, quelque immense qu'il soit, il n'y a donc rien de trop; bien plus tout est nécessaire. Supprimez, en effet, une seule de ces parties, toutes les autres s'écroulent; veut-on retrancher, par exemple, celle qui est la moins accessible à notre entendement, la Sainte-Trinité? Alors on supprime la cause, et que deviennent les effets? On retranche l'idéal, le modèle, l'infini, le parfait; et que devient le fini, l'imparfait ? Est-ce la société de l'âme avec Dieu qu'on supprimera? C'est justement et proprement pour celle-là que l'homme a été créé. In hoc est omnis homo. Être l'ami de Dieu par la grâce, c'est là l'homme tout entier. Est-ce alors la famille? l'homme ne naîtra pas. L'État ? il ne se conservera pas. l'Église? il ne sera pas sanctifié. Le ciel? l'homme sera un forçat à perpétuité qui travaillera sans cesse sans jamais jouir du fruit de ses travaux, ouun gladiateur qui combattra, non pour être couronné comme le soldat, mais pour mourir comme l'esclave.

Ainsi rien de plus, rien de moins. Cette société est assez grande pour l'homme, mais elle ne l'est pas trop. Elle ne l'est trop ni pour son intelligence capable de la connaître, ni pour sa volonté, pour son ambition capable d'y aspirer, ni pour son courage capable de la conquérir. Çar cette société, il faut la conquérir: Dieu, en effet, n'a pas fait naîtrè l'homme au sommet de cette société, mais au bas. » Il

s'est contenté de lui donner une âme raisonnable et sa grâce, et de lui dire : Voilà le monde entier, la société tout entière devant toi; voilà en même temps une échelle sociale qui conduit jusqu'au sommet, jusqu'au ciel; monte, élève-toi, arrive, ma grâce te suffit. Sufficit tibi gratia mea.

Qu'on distingue donc les différentes sociétés qui composent la société elle-même, non-seulement cela est permis, mais cela est nécessaire; mais, ces sociétés, qu'on ne les sépare pas, qu'on ne brise pas l'unité, qu'on n'arrête pas le progrès; la société entière est comme une chaîne d'or immense, infinie, partant de la terre et montant jusqu'à Dieu. Quiconque se détache de cette chaîne ou d'une seule de ses parties indivisibles est à jamais perdu.

J'ose donc le dire, toute la force de la politique que je viens exposer, toute sa puissance, et cette puissance est inexpugnable: c'est cette chaîne continue dont on ne peut détacher un seul anneau. En voudrait-on détacher la famille, ou l'État? Alors c'est le schisme, la division, l'indépendance, la lutte, l'état sauvage. La famille, l'État ne sont plus chrétiens, ils sont infidèles, ils sont païens, ils sont athées, matérialistes, nihilistes. Placés à leur rang dans la chaîne dont je parlais plus haut, la famille, l'État sont de l'or, car ils sont chrétiens comme l'Église; séparés, ils ne sont plus que de la boue.

J'aborde enfin la dernière objection. Nul écrivain, diton, n'a encore donné à la politique une si grande extension. Tous l'ont concentrée dans l'État, centre obligé dont nul ne s'est éloigné. Examinons encore cette assertion.

Évidemment toute politique se ressent des principes et des croyances de celui qui l'enseigne ou qui l'applique. La politique d'un païen sera donc nécessairement païenne; celle d'un chrétien sera chrétienne; celle d'un protestant pro

testante; celle d'un rationaliste rationaliste; celle d'un athée, d'un matérialiste sera athée, matérialiste. Quoi de plus clair? Cela est vrai pour la morale, pour la religion, pour la philosophie; pourquoi cela ne le serait-il pas également pour la politique, qui, comme nous l'avons déjà vu, n'est que la religion, la morale et la philosophie sous un aspect nouveau, c'est-à-dire la religion sociale, la morale sociale, la philosophie sociale.

Cela étant de la plus grande évidence, pour abréger, je range tous les auteurs qui ont écrit sur la politique en trois classes différentes, savoir: ceux qui n'ont pas connu le christianisme, ou les païens, les infidèles; ceux qui, l'ayant connu, l'ont abandonné, ou les incrédules, et enfin ceux qui, l'ayant religieusement gardé, le considèrent toujours comme la règle immuable de leur politique, de leur raison et de leur foi. Je vais examiner à part ces trois catégories, et rechercher comment chacune d'elles a considéré la politique. De cette étude ressortira un fait important, un fait inattendu peut-être pour ceux qui s'étonnent de la portée immense que j'ai donnée à la politique chrétienne, savoir, que chacun de ces trois ordres d'écrivains a toujours embrassé dans sa politique toutes les sociétés qu'il a connues.

1o Les publicistes qui n'ont pas connu le christianisme, ou les politiques païens.

Des sept sociétés qu'embrasse, la politique chrétienne, il en est deux seulement que les païens ont bien connues, parce qu'ils les avaient sous les yeux, la famille et l'État, et deux autres qu'ils ont faiblement connues, celle des anges ou génies, et celle de l'homme avec Dieu. Eh bien! les païens ont embrassé ces quatre sociétés dans leur politique, et, ce qui est bien plus remarquable encore, ils ont ramené toutes ces sociétés à l'unité, à une société unique: Universus

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