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de tous les siècles, la politique éternelle, celle qui n'a pas les hommes pour auteurs, mais Dieu, Cujus conditor et artifex Deus, en un mot la politique chrétienne. Cette politique, je viens en exposer les principes, en développer les dogmes, en établir les devoirs, en revendiquer les droits, en montrer l'autorité, l'antiquité, la grandeur, je dirai presque l'immensité.

Je sais tout ce qu'on peut dire contre cette tentative.

Cette politique est morte, me dira-t-on de toutes parts. Je veux montrer qu'elle est, au contraire, vivante, ou plutôt immortelle.

Mais, ajoutera-t-on, elle est aujourd'hui méprisée et abandonnée de tout le monde. Je prouverai que, malgré les apparences contraires, c'est elle qui a le plus grand nombre d'adhérents, qu'elle en aura toujours infiniment plus qu'aucune autre, et que ces adhérents seront toujours les plus fidèles, s'ils ne sont pas les plus bruyants. D'ailleurs, c'est le propre de la vérité de pouvoir se passer de l'adhésion des hommes, parce qu'elle existe par elle-même, et indépendamment de l'opinion, tandis que l'erreur, fruit de l'imagination et des passions humaines, s'évanouit avec ces vaines imaginations, ou change sans cesse selon ces passions.

Mais cette politique, dira-t-on encore, est la politique du passé; elle n'est plus celle du présent, encore moins est-elle celle de l'avenir.J'établirai au contraire que cette politique, et cette politique seule, a pour elle le passé et l'avenir, que seule elle a «la promesse de la vie présente et celle de la vie future. » Promissionem habens vitæ quæ nunc est et futuræ. (1 Tim. iv, 8.) Et qu'on ne dise pas que le temps a marché, et la politique avec lui. La véritable politique est de tous les temps et ne passe jamais. Elle marche sans doute; mais

marcher, ce n'est pas périr; au contraire, c'est se développer, c'est grandir. Or, nulle politique n'est plus grande, aucune n'est à la fois plus ancienne et plus jeune, n'a plus de passé et plus d'avenir que la politique chrétienne, qui, comme son auteur, le Christ, est de tous les lieux, de tous les temps, et même de l'éternité. « Jesus-Christus heri et hodie, ipse et in sæcula. » (Hebr., xш, 8). La politique qui passe, au contraire, c'est celle qui change tous les jours, c'est la politique née hier, déjà vieille aujourd'hui, et oubliée demain. 93 détrône 89 pour être à son tour détrôné lui-même. Chaque révolution nouvelle se proclame immortelle, et comme les précédentes qu'elle a elle-même précipitées dans le gouffre d'un passé qui ne reviendra plus, elle y sera bientôt précipitée à son tour pour disparaître à jamais. En effet, ce que le temps enfante, le temps le détruit, et cette destruction est le sort fatal qui attend la politique moderne, fruit capricieux, pour ne pas dire insensé, du temps et des passions du jour. Voilà la politique qui passe, celle qui est mortelle, celle qui non-seulement meurt elle-même, mais qui fait encore mourir ses trop crédules partisans.

Enfin, on dira que la politique que je viens exposer ici est mystique, imaginaire, idéale; que la politique réelle, palpable a pour objet le bien-être temporel des États, et non de vagues sentiments de l'âme, ou de pures croyances de l'esprit, honorables assurément, mais bien étrangères à la politique. J'établirai, au contraire, que la politique réelle est une science morale et même religieuse, une science chrétienne; qu'elle a avant tout pour objet le bien-être intellectuel et moral des peuples, et leur salut éternel, et que tout en elle puise sa force dans les dogmes et les croyances.

On le voit, cette politique n'a rien de timide, quoique d'un autre côté elle n'ait assurément rien d'arrogant; la

véritable politique est sûre d'elle-même, et voilà tout. Elle a soin des intérêts de l'homme, non de ses vaines opinions; elle veut son bonheur, et elle le veut avec ardeur, mais en soumettant l'homme à ses lois, non en se soumettant aux siennes. Elle ne se présente pas à lui comme une servante, faite pour obéir aux caprices d'un maître, moins encore comme une courtisane toujours disposée à plaire et à corrompre; elle se présente comme une reine, ou si l'on veut comme une mère qui vient gouverner ses enfants et leur faire connaître les lois essentielles de leur bonheur. La politique est, en effet, une de ces grandes sciences que Platon appelait si bien directrices et gubernatrices, sciences qui ne discutent pas, mais qui enseignent, qui ne s'enquièrent pas du bon plaisir des hommes, mais de leurs besoins et de leurs devoirs.

Sans doute ces grandes sciences rencontrent ici-bas, et en trop grand nombre, des esprits rebelles qui s'élèvent contre leur enseignement; mais elles ne perdent rien pour cela de leur dignité, de leur sérénité, ni même de leur autorité, parce que ce n'est pas ici qu'elles disent leur dernier mot. Comme Dieu, de qui elles émanent, elles sont patientes, parce qu'elles sont éternelles. Le temps de la liberté, ou plutôt de la licence passe, il passe même très-vite, et l'heure de la responsabilité arrive. Alors, ces nobles sciences qui ont été ici-bas jugées si souvent avec tant de frivolité, avec tant d'iniquité, jugent à leur tour, et d'une manière souveraine, ceux qui s'étaient témérairement faits leurs juges, lorsqu'ils ne devaient être que leurs disciples et leurs serviteurs.

C'est donc une erreur grossière, quoique très-commune, de penser que la politique n'est faite que pour ce monde, et qu'elle finit avec lui. La politique est la science qui gouverne les hommes; donc, et c'est bien le moins, elle est im

mortelle comme eux. De plus, la politique est la morale, la religion, la justice des peuples et des sociétés; or, justice, morale, religion sont choses, de leur nature, immortelles. Enfin, la politique est une science chrétienne; cela suffit; rien de ce qui est chrétien ne périra. Combien moins périront alors ces grandes et immortelles vérités par lesquelles Jésus-Christ gouverne les âmes, les familles et les peuples! Aussi est-ce par elles, qu'au dernier jour, il jugera non les particuliers seulement, mais les hommes d'État, les ministres, les princes, les rois, les peuples et les sociétés entières : Et nunc, reges, intelligite; erudimini, qui judicatis terram. O vous qui faites de la politique et qui voulez l'enseigner aux autres, vous qui gouvernez ou aspirez à gouverner, rois, ministres, législateurs, magistrats, publicistes, apprenez au moins ce que c'est que la politique, intelligite, erudimini.

La politique est donc grande; aussi, dans cet ouvrage, l'ai-je faite aussi grande qu'il m'a été possible. L'aurais-je cependant faite plus grande qu'elle n'est en elle-même ? Ah! plût à Dieu que je l'eusse faite seulement aussi grande qu'elle est; mais qui le fera jamais?

Néanmoins je prévois que, même parmi mes lecteurs chrétiens, plusieurs penseront qu'en assignant pour domaine à la politique non-seulement les États et les nations, comme on le fait communément, mais encore toutes les sociétés sans exception, les familles, les États, la société universelle ou l'Église catholique, plus que cela encore, la grande société de l'avenir, la cité bienheureuse et immortelle des élus, et même une cité plus haute encore, celle de la Très-Sainte Trinité, je lui ai donné une extension démesurée. Je pense que la lecture de cet ouvrage les détrompera.

Comment, en effet, la politique serait-elle immortelle, éternelle même, si la société ne l'était pas ? La politique est par elle-même parfaite; elle a donc pour objet d'amener la société à sa perfection et de l'y conserver dans une parfaite stabilité. Or, ce n'est pas ici, dans ce monde où tout change sans cesse et dépérit, que la société peut arriver à cette perfection. La politique ne finit donc pas ici-bas, elle commence à peine; son dernier mot n'est pas sur la terre, il est dans le ciel. C'est là seulement, parmi les véritables justes et les bienheureux, que la politique déploiera toutes ses gloires, toutes ses perfections, toutes ses richesses, toutes ses magnificences. La société parfaite et éternelle sera le chefd'œuvre de la politique éternelle et parfaite : car, puisque nous sommes, nous-mêmes, en société, pourquoi les élus n'y seraient-ils pas ? Et si les élus sont en société pour l'éternité non-seulement entre eux mais encore avec le Père, le Fils et le Saint-Esprit, pourquoi le Père, le Fils et le SaintEsprit n'y seraient-ils pas aussi, et de toute éternité?

Sans doute, ni Platon, ni Aristote, ni Cicéron, ni aucun des sages, aucun des grands politiques ou des grands philosophes de l'antiquité n'a connu cette politique. Mais pourquoi ne connaîtrions-nous pas, nous chrétiens, une politique plus grande que celle de Platon, d'Aristote et des anciens, et une cité meilleure que leurs cités? Certes, le grand Apôtre connaissait une cité meilleure quand il disait : « Ce n'est pas ici que nous avons la cité stable et permanente après laquelle nous soupirons; cette cité, nous la cherchons dans l'avenir»: Non habemus hic manentem civitatem, sed futuram inquirimus. » (Heb., xi, 14.) Tous les chrétiens connaissent la même cité que le grand Apôtre, tous ont la même politique. En agrandissant la société et en la rendant immortelle, le christianisme a prodigieusement

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