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KITZOS ET L'ÉPERVIER

UR un énorme bloc de pierre profondément enraciné, est assis, les pieds croisés, un vieux Pallicare, Kitzos, le Souliote. Ses cheveux sont tout blancs comme le sommet du Pinde. Que de tempêtes et de tourmentes ont dû blanchir sa tête! D'une main, il caresse des pistolets resplendissants d'or, et, de l'autre, il retrousse sa blanche et longue moustache. Sur sa blanche fustanelle est étendu un millioni' renommé, brillant comme un astre. Tel qu'une vipère venimeuse qui attend le moment de mordre, son sabre de

1. Fusil. Voir la pièce précédente.

Damas, enroulé, mais vigilant, laisse briller son pommeau sous le manteau du Klephte. Oh! que ne suis-je dans le cœur de Kitzosle-Souliote, pour compter ses battements, pour connaitre ses desirs!

Ses yeux noirs comme du jais, fixés sur Kiapha, brûlent à travers leurs larmes, et c'est du poison qui en tombe. Il n'en détachait pas ses yeux. De son cœur, le sang jaillit comme une vague furieuse et oppresse sa poitrine; les veines de son cou se gonflent; on dirait des serpents qui vont l'étouffer. Tout à coup il pousse un gémissement... Ah! quel gémissement! il réveillerait même les morts!

Un épervier passait très haut à travers les airs; il arrête son vol, et se pose devant lui:

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Kitzos-le Souliote, je passais, j'allais vers le couchant ; j'ai entendu ton gémissement, et je suis venu t'en demander la cause. Dis-moi ton mal, dis-moi ton mal

heur; je ne suis pas un oiseau de joie, je suis l'oiseau de la mort. »

«Vole, épervier, passe, va-t'en! Toi, là-haut sur les nuages, tu as pour ailes l'éclair et pour nid la foudre; tu ne connais pas de chaînes; tu ne crains pas de maître. Vole, épervier, passe ton chemin, et, si tu arrives là-bas, au couchant, si on ne te brûle pas les ailes, si on ne te coupe pas les ongles, dis-leur que tu m'as vu, moi, tout seul, à contempler Souli, à regarder ses cendres et à pleurer sa ruine. »

Les morts se réveilleront au Jugement Dernier ; ce sont des vivants que je cherche maintenant. Souliote, accours. Notre mère s'est réveillée de son profond sommeil, et, du fond de sa tombe, elle crie à ses enfants de lui donner la main pour l'aider à en soulever la pierre. Va, vole au haut des monts, pour prêter l'oreille, entendre et voir cette résurrection, et sentir ton cœur se réchauffer. »

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Tu as une voix humaine; et tu ne me dis pas qui tu es ? »

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Kitzos de Souli, crois-moi, je suis

l'âme de Rhigas. »

L'Occident t'a trahi, et tu cours

vers l'Occident? >>

Quand il verra ma croix, l'Occident aussi croira. >>

L'épervier étend les ailes et disparaît. Il se perd dans les nuages, et, passant audessus de Parga, abaisse son vol pour contempler cette infortune. Il la voit, il en frémit, et son cœur en est déchiré ! On lui avait parlé de cet assassinat inique, mais il n'avait pas voulu y croire, et il est venu voir ce tombeau. De ses serres, il saisit des feuilles de citronnier, les enlève comme si c'étaient des orphelins, des enfants de Parga, et les porte loin de leur patrie pour pleurer avec eux.

Souliote, ne les attends pas. Qui sait s'ils reviendront jamais? Va près de ta mère

désolée; va, donne-lui ta virile vieillesse, sacrifie-lui ton corps, et tombe pour t'endormir SOULI REVIVRA!

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