ALCESTE. Franchement, il est bon à mettre au cabinet1. Qu'est-ce que, Nous berce un temps notre ennui? Ce style figuré, dont on fait vanité, Ce n'est que jeu de mots, qu'affectation pure, Le méchant goût du siècle en cela me fait peur; Si le roi m'avoit donné Je dirois au roi Henri : J'aime mieux ma mie, ô gue J'aime mieux ma mie. La rime n'est pas riche, et le style en est vieux : Et que la passion parle là toute pure? cabinet (sorte de meusens moins délicat, et que Molière a cherché 'On a beaucoup di-puté sur le sens de cette expression. Les uns veulent que ce soit bon à serrer, loin du jour, dans les tiroirs d'un ble alors à la mode); les autres prennent le mot dans un qui s'est attaché à ce vers, devenu proverbe. Je crois l'équivoque. Et qu'on ne dise pas que la grossièreté du second sens est indigue d'Alceste; Alceste est poussé à bout ; et lui, qui ne s'est pas refusé tout à l'heure une mauvaise pointe sur la chute du sonnet, ne parait pas homme à refuser à sa colère un mot à la fois dur et comique, bien que d'un comique trivial. C'est justement cette trivialité qui fait rire, par le contraste avec le rang et les manières habituelles d'Alceste. (F. Genin.) Si le roi m'avoit donné Je dirois au roi Henri : J'aime mieux ma mie, ô gué! J'aime mieux ma mie. Voilà ce que peut dire un cœur vraiment épris. Oui, monsieur le rieur, malgré vos beaux esprits, De tous ces faux brillants où chacun se récrie. ORONTE. Et moi, je vous soutiens que mes vers sont fort bons. ALCESTE. Pour les trouver ainsi, vous avez vos raisons; Mais vous trouverez bon que j'en puisse avoir d'autres Qui se dispenseront de se soumettre aux vôtres. ORONTE. 11 me suffit de voir que d'autres en font cas. ALCESTE. C'est qu'ils ont l'art de feindre; et moi, je ne l'ai pas. ORONTE. Croyez-vous donc avoir tant d'esprit en partage? ALCESTE. Si je louois vos vers, j'en aurois davantage. ORONTE. Je me passerai fort que vous les approuviez 1. ALCESTE. Il faut bien, s'il vous plaît, que vous vous en passiez. ORONTE. Je voudrois bien, pour voir, que, de votre manière, Vous en composassiez sur la même matière. ALCESTE. J'en pourrois, par malheur, faire d'aussi méchants; Mais je me garderois de les montrer aux gens. ORONTE. Vous me parlez bien ferme; et celle suffisance... I VAR. Je me passerai bien que vous les approuviez. ALCESTE. Autre part que chez moi cherchez qui vous encense. ORONTE. Mais, mon petit monsieur, prenez-le un peu moins haut. ALCESTE. Ma foi, mon grand monsieur, je le prends comme il faut. PHILINTE, se mettant entre deux. Hé! messieurs, c'en est trop. Laissez cela, de grace. ORONTE. Ah! j'ai tort, je l'avoue, et je quitte la place. ALCESTE. Et moi, je suis, monsieur, votre humble serviteur 1. Hlé bien! vous le voyez. Pour être trop sincère, Nous remarquerons, à propos de cette scène, que Molière est le premier de nos écrivains dramatiques qui ait transporté sur le théâtre la critique littéraire. Il continue ici la tâche qu'il a entreprise dans les Précieuses et les Femmes Savantes. Ah! parbleu! c'en est trop. Ne suivez point mes pas. PHILINTE. Vous vous moquez de moi. Je ne vous quitte pas. Madame, voulez-vous que je vous parle net? Contre elles dans mon cœur trop de bile s'assemble, C'est pour me quereller donc, à ce que je voi, ALCESTE. Je ne querelle point. Mais votre humeur, madame, Dans la première scène de l'acte premier, Alceste dit à Philinte: Non, non, il n'est point d'ame un peu bien située Qui veuille d'une estime ainsi prostituée; Et la plus glorieuse a des régals peu chers, Dès qu'on voit qu'on nous mêle avec tout l'univers. Ainsi Alceste a montré à son ami les mêmes délicatesses qu'il laisse voir ici à sa maitresse (Aimé Martin.) Vous avez trop d'amants qu'on voit vous obséder, Des amants que je fais me rendez-vous coupable? ALCESTE. Non, ce n'est pas, madame, un bâton qu'il faut prendre, Est-ce par les appas de sa vaste rhingrave 2 Qu'il a gagné votre ame en faisant votre esclave? Onl-ils de vous toucher su trouver le secret3? 'Scarron, dans sa nouvelle tragi-comique, Plus d'effets que de paroles, dit, en parlant du prince de Tarente. « Il s'étoit laissé croître l'ongle du petit doigt > de la gauche jusqu'à une grandeur étonnante, ce qu'il trouvoit le plus galaut > du monde. > Hauts-de-chausses taillés d'après une mode allemande. (Bret.) (Ménage.) 'Ce passage, qui peint si bien l'influence des futilités sur le cœur des femmes, a trouvé de nos jours un gracieux écho dans ces vers d'un de nos poëtes les plus aimables et les plus aimés: Et si d'aventure on s'enquête |