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ALCESTE.

Franchement, il est bon à mettre au cabinet1.
Vous vous êtes réglé sur de méchants modèles,
Et vos expressions ne sont point naturelles.

Qu'est-ce que, Nous berce un temps notre ennui?
Et que, Rien ne marche après lui?
Que, Ne vous pas mettre en dépense
Pour ne me donner que l'espoir?
Et que, Philis, on désespère,
Alors qu'on espère toujours?

Ce style figuré, dont on fait vanité,
Sort du bon caractère et de la vérité;

Ce n'est que jeu de mots, qu'affectation pure,
Et ce n'est point ainsi que parle la nature.

Le méchant goût du siècle en cela me fait peur;
Nos pères, tout grossiers, l'avoient beaucoup meilleur ;
Et je prise bien moins tout ce que l'on adınire,
Qu'une vieille chanson que je m'en vais vous dire.

Si le roi m'avoit donné
Paris, sa grand' ville,
Et qu'il me fallût quitter
L'amour de ma mie,

Je dirois au roi Henri :
Reprenez votre Paris;

J'aime mieux ma mie, ô gue

J'aime mieux ma mie.

La rime n'est pas riche, et le style en est vieux :
Mais ne voyez-vous pas que cela vaut bien mieux
Que ces colifichets dont le bon sens murmure,

Et que la passion parle là toute pure?

cabinet (sorte de meusens moins délicat, et que Molière a cherché

'On a beaucoup di-puté sur le sens de cette expression. Les uns veulent que ce soit bon à serrer, loin du jour, dans les tiroirs d'un ble alors à la mode); les autres prennent le mot dans un qui s'est attaché à ce vers, devenu proverbe. Je crois l'équivoque. Et qu'on ne dise pas que la grossièreté du second sens est indigue d'Alceste; Alceste est poussé à bout ; et lui, qui ne s'est pas refusé tout à l'heure une mauvaise pointe sur la chute du sonnet, ne parait pas homme à refuser à sa colère un mot à la fois dur et comique, bien que d'un comique trivial. C'est justement cette trivialité qui fait rire, par le contraste avec le rang et les manières habituelles d'Alceste. (F. Genin.)

Si le roi m'avoit donné
Paris, sa grand' ville,
Et qu'il me fallût quitter.....
L'amour de ma mie,

Je dirois au roi Henri :
Reprenez votre Paris;

J'aime mieux ma mie, ô gué!

J'aime mieux ma mie.

Voilà ce que peut dire un cœur vraiment épris.
(A Philinte, qui rit.)

Oui, monsieur le rieur, malgré vos beaux esprits,
J'estime plus cela que la pompe fleurie

De tous ces faux brillants où chacun se récrie.

ORONTE.

Et moi, je vous soutiens que mes vers sont fort bons.

ALCESTE.

Pour les trouver ainsi, vous avez vos raisons;

Mais vous trouverez bon que j'en puisse avoir d'autres Qui se dispenseront de se soumettre aux vôtres.

ORONTE.

11 me suffit de voir que d'autres en font cas.

ALCESTE.

C'est qu'ils ont l'art de feindre; et moi, je ne l'ai pas.

ORONTE.

Croyez-vous donc avoir tant d'esprit en partage?

ALCESTE.

Si je louois vos vers, j'en aurois davantage.

ORONTE.

Je me passerai fort que vous les approuviez 1.

ALCESTE.

Il faut bien, s'il vous plaît, que vous vous en passiez.

ORONTE.

Je voudrois bien, pour voir, que, de votre manière, Vous en composassiez sur la même matière.

ALCESTE.

J'en pourrois, par malheur, faire d'aussi méchants; Mais je me garderois de les montrer aux gens.

ORONTE.

Vous me parlez bien ferme; et celle suffisance...

I VAR.

Je me passerai bien que vous les approuviez.

ALCESTE.

Autre part que chez moi cherchez qui vous encense.

ORONTE.

Mais, mon petit monsieur, prenez-le un peu moins haut.

ALCESTE.

Ma foi, mon grand monsieur, je le prends comme il faut. PHILINTE, se mettant entre deux.

Hé! messieurs, c'en est trop. Laissez cela, de grace.

ORONTE.

Ah! j'ai tort, je l'avoue, et je quitte la place.
Je suis votre valet, monsieur, de tout mon cœur.

ALCESTE.

Et moi, je suis, monsieur, votre humble serviteur 1.

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Hlé bien! vous le voyez. Pour être trop sincère,
Vous voilà sur les bras une fàcheuse affaire;
Et j'ai bien vu qu'Oronte, afin d'être flatté...

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Nous remarquerons, à propos de cette scène, que Molière est le premier de nos écrivains dramatiques qui ait transporté sur le théâtre la critique littéraire. Il continue ici la tâche qu'il a entreprise dans les Précieuses et les Femmes Savantes.

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Ah! parbleu! c'en est trop. Ne suivez point mes pas.

PHILINTE.

Vous vous moquez de moi. Je ne vous quitte pas.

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Madame, voulez-vous que je vous parle net?
De vos façons d'agir je suis mal satisfait :

Contre elles dans mon cœur trop de bile s'assemble,
Et je sens qu'il faudra que nous rompions ensemble :
Oui, je vous tromperois de parler autrement;
Tôt ou tard nous romprons indubitablement;
Et je vous promettrois mille fois le contraire,
Que je ne serois pas en pouvoir de le faire.
CÉLIMÈNE.

C'est pour me quereller donc, à ce que je voi,
Que vous avez voulu me ramener chez moi?

ALCESTE.

Je ne querelle point. Mais votre humeur, madame,
Ouvre au premier venu trop d'accès dans votre ame1.

Dans la première scène de l'acte premier, Alceste dit à Philinte:

Non, non, il n'est point d'ame un peu bien située

Qui veuille d'une estime ainsi prostituée;

Et la plus glorieuse a des régals peu chers,

Dès qu'on voit qu'on nous mêle avec tout l'univers.

Ainsi Alceste a montré à son ami les mêmes délicatesses qu'il laisse voir ici à sa maitresse

(Aimé Martin.)

Vous avez trop d'amants qu'on voit vous obséder,
Et mon cœur de cela ne peut s'accommoder.
CÉLIMÈNE.

Des amants que je fais me rendez-vous coupable?
Puis-je empêcher les gens de me trouver aimable?
Et lorsque pour me voir ils font de doux efforts,
Dois-je prendre un bâton pour les mettre dehors?

ALCESTE.

Non, ce n'est pas, madame, un bâton qu'il faut prendre,
Mais un cœur à leurs vœux moins facile et moins tendre.
Je sais que vos appas vous suivent en tous lieux;
Mais votre accueil retient ceux qu'attirent vos yeux,
Et sa douceur offerte à qui vous rend les armes
Achève sur les cœurs l'ouvrage de vos charmes.
Le trop riant espoir que vous leur présentez
Attache autour de vous leurs assiduités;
Et votre complaisance, un peu moins étendue,
De tant de soupirants chasseroit la cohue.
Mais, au moins, dites-moi, madame, par quel sort
Votre Clitandre a l'heur de vous plaire si fort?
Sur quel fonds de mérite et de vertu sublime
Appuyez-vous en lui l'honneur de votre estime?
Est-ce par l'ongle long qu'il porte au petit doigt1,
Qu'il s'est acquis chez vous l'estime où l'on le voit?
Vous êtes-vous rendue, avec tout le beau monde,
Au mérite éclatant de sa perruque blonde?
Sont-ce ses grands canons qui vous le font aimer?
L'amas de ses rubans a-t-il su vous charmer?

Est-ce par les appas de sa vaste rhingrave 2

Qu'il a gagné votre ame en faisant votre esclave?
Ou sa façon de rire, et son ton de fausset,

Onl-ils de vous toucher su trouver le secret3?

'Scarron, dans sa nouvelle tragi-comique, Plus d'effets que de paroles, dit, en parlant du prince de Tarente. « Il s'étoit laissé croître l'ongle du petit doigt > de la gauche jusqu'à une grandeur étonnante, ce qu'il trouvoit le plus galaut > du monde. >

Hauts-de-chausses taillés d'après une mode allemande.

(Bret.) (Ménage.)

'Ce passage, qui peint si bien l'influence des futilités sur le cœur des femmes, a trouvé de nos jours un gracieux écho dans ces vers d'un de nos poëtes les plus aimables et les plus aimés:

Et si d'aventure on s'enquête
Qui m'a valu telle conquête,
C'est l'allure de mon cheval,

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