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ADRASTE.

Hé quoi! vous prenez son parti, vous qui êtes si délicat sur ces sortes de choses?

DON PÈDRE.

Oui, je prends son parti; et, si vous voulez m'obliger, vous oublierez votre colère, et vous vous réconcilierez tous deux. C'est une grace que je vous demande; et je la recevrai comme un essai de l'amitié que je veux qui soit entre

nous.

ADRASTE.

Il ne m'est pas permis, à ces conditions, de vous rien refuser. Je ferai ce que vous voudrez..

ZAIDE, DON PÈDRE, ADRASTE,

SCÈNE XVII.

dans un coin du théâtre.

DON PÈDRE, à Zaïde.

caché

Hola! venez. Vous n'avez qu'à me suivre, et j'ai fait votre paix. Vous ne pouviez jamais mieux tomber

moi.

ZAÏDE.

que chez

Je vous suis obligée plus qu'on ne sauroit croire: mais je m'en vais prendre mon voile; je n'ai garde, sans lui, de paroître à ses yeux.

SCÈNE XVIII. DON PEDRE, ADRASTE.

DON PÈDRE,

La voici qui s'en va venir; et son ame, je vous assure, a paru toute réjouie lorsque je lui ai dit que j'avois raccommodé tout.

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ISIDORE, Sous le voile de Zaïde; ADRASTE,
DON PÈDRE.

DON PÈDRE, à Adraste.

Puisque vous m'avez bien voulu abandonner votre ressentiment, trouvez bon qu'en ce lieu je vous fasse toucher dans la main l'un de l'autre, et que tous deux je vous conjure de vivre, pour l'amour de moi, dans une parfaite union.

ADRASTE.

Oui, je vous le promets que, pour l'amour de vous, je m'en vais, avec elle, vivre le mieux du monde.

DON PEDRE.

Vous m'obligez sensiblement, et j'en garderai la mémoire.

ADRASTE.

Je vous donne ma parole, seigneur don Pèdre, qu'à votre considération, je m'en vais la traiter du mieux qu'il me sera possible.

DON PÈDRE.

C'est trop de grace que vous me faites. (Seul.) Il est bon de pacifier et d'adoucir toujours les choses. Hola! Isidore,

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Ce que cela veut dire? Qu'un jaloux est un monstre haï de tout le monde, et qu'il n'y a personne qui ne soit ravi de lui nuire, n'y eût-il point d'autre intérêt; que toutes les serrures et les verrous du monde ne retiennent point les personnes, et que c'est le cœur qu'il faut arrêter par la douceur et par la complaisance; qu'Isidore est entre les mains du cavalier qu'elle aime, et que vous êtes pris pour dupe.

DON PÈDRE.

Don Pedre souffrira celte injure mortelle! Non, non : j'ai trop de cœur, et je vais demander l'appui de la justice pour pousser le perfide à bout. C'est ici le logis d'un sénateur. Hola !

SCÈNE XXI. UN SÉNATEUR, DON PÈDRE.

LE SÉNATEUR.

Serviteur, seigneur don Pedre. Que vous venez à propos! DON PEDRE.

Je viens me plaindre à vous d'un affront qu'on m'a fait. LE SÉNATEUR.

J'ai fait une mascarade la plus belle du monde.

DON PEDRE.

Un traître de François m'a joué une pièce.

LE SÉNATEUR.

Vous n'avez, dans votre vie, jamais rien vu de si beau.

DON PEDRE.

Il m'a enlevé une fille que j'avois affranchie.

LE SÉNATEUR.

Ce sont gens vêtus en Maures, qui dansent admirable

ment.

DON PÈDRE.

Vous voyez si c'est une injure qui se doive souffrir.

LE SÉNATEUR

Les habits merveilleux, et qui sont faits exprės.
DON PÈDRE.

Je demande l'appui de la justice contre cette action.
LE SÉNATEUR.

Je veux que vous voyiez cela. On la va répéter, pour en donner le divertissement au peuple.

DON PÈDRE.

Comment! de quoi parlez-vous là?

LE SÉNATEUR.

Je parle de ma mascarade.

DON PÈDRE.

Je vous parle de mon affaire.

LE SÉNATEUR.

Je ne veux point, aujourd'hui, d'autres affaires que de plaisir. Allons, messieurs, venez. Voyons si cela ira bien. DON PEDRE.

La peste soit du fou, avec sa mascarade!

LE SÉNATEUR.

Diantre soit le fâcheux, avec son affaire!

SCÈNE XXII.

UN SÉNATEUR, TROUPE DE DANSEURS.

ENTRÉE DE BALLET.

Plusieurs danseurs, vêtus en Maures, dansent devant le sénateur, et finissent la comédie.

NOMS DES PERSONNES

QUI ONT DANSE ET CHANTÉ

DANS LE SICILIEN.

DON PEDRE, le sieur MOLIÈRE.
ADRASTE, le sieur DE LA GRANGE.
ISIDORE, mademoiselle DE BRIE.
ZAIDE, mademoiselle MOLIEre.
HALI, le sieur DE LA THORILLIÈRE.

UN SÉNATEUR, le sieur DU CROISY.

MUSICIENS chantants, les sieurs BLONDEL, GAYE, NOBLET.

ESCLAVE TURC chantant, le sieur GAYE.

ESCLAVES TURCS dansants, les sieurs LE PRETRE, CHICANNEAU, MAYEU, PESAN.

MAURES de qualité, LE ROI, M. LE GRAND, les marquis DE VILLEROI

et DE RASSENT.

MAURESQUES de qualité, MADAME, mademoiselle DE LA VALLIÈRE, madame DE ROCHEFORT, mademoiselle DE BRANCAS.

MAURES nus, MM. COCQUET, DE SOUVILLE, les sieurs BEAUCHAMP, NoBLET, CHICANNEAU, LA PIERRE, FAVIER et DES-AIRS-GALAND.

MAURES à capot, les sieurs LA MARE, DU FEU, ARNALD, VAGNARD, BON

NARD.

FIN DU SICILIEN.

OU

LE TARTUFFE,

COMEDIE EN CINQ ACTES

1667.

NOTICE.

L'histoire des premières représentations de Tartufe est devenue, sous la plume de la plupart des commentateurs ou des biographes, une véritable légende, et le thème de déclamations contre le fanatisme, l'intolérance, les faux dévots et les jésuites. Nous ne nous replacerons pas sur ce terrain, et nous laisserons à M. Sainte-Beuve le soin de raconter, en historien et en critique, les difficultés que la nouvelle pièce éprouva avant d'arriver jusqu'au public:

« Dès 1664, Molière avait achevé sa comédie du Tartufe à peu près telle que nous l'avons. Trois actes en avaient été représentés aux fêtes de Versailles de cette année, et ensuite à Villers-Cotterets chez Monsieur : le prince de Condé, protecteur de toute hardiesse d'esprit, s'était fait jouer au Raincy la pièce tout entière. Mais les mêmes hommes qui avaient obtenu qu'on brûlât les Provinciales quatre ans auparavant, empêchèrent la représentation devant le public, et la suspension avec divers incidents se prolongea. Louis XIV, en ce premier feu de ses maitresses, était loin d'être dévot; mais il avait dès lors cette disposition à vouloir qu'on le fût, qui devint le trait marquant dans sa vieillesse. Tout en songeant à revoir et à corriger sa pièce pour la rendre représentable, Molière, dont le théatre ni le génie ne pouvaient chômer, produisait d'autres œuvres, et, dans le Festin de Pierre, qui se joua en 1665, il se vengea de la cabale qui arrêtait le Tartufe, par la tirade de don Juan au

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