TARTUFFE. Oui, je sais quels secours j'en ai pu recevoir; Étouffe dans mon cœur toute reconnoissance; Ami, femme, parents, et moi-même avec eux. L'imposteur! ELMIRE. DORINE. Comme il sait, de traîtresse manière, Mais s'il est si parfait que vous le déclarez, Que lorsque son honneur l'oblige à vous chasser? TARTUFFE, à l'exempt. Et daignez accomplir votre ordre, je vous prie. L'EXEMPT. Oui, c'est trop demeurer, sans doute, à l'accomplir; Et, pour l'exécuter, suivez-moi tout à l'heure Dans la prison qu'on doit vous donner pour demeure. Qui? moi, monsieur? TARTUFFE. L'EXEMPT. Oui, vous. 'Pour devoir en distraire, signifie probablement pour avoir dù vous de tourner d'une telle action. Il serait difficile d'être plus obscur. Ce passage, et bien d'autres, font voir que Molière suivait en versifiant la méthode de Boileau, de commencer par le second vers, et d'y renfermer toute l'énergie de la pensée dans les termes les plus propres. Le premier se faisait ensuite du mieux qu'on pouvait, ajusté sur le second. Molière a dû, comme Virgile, laisser souvent des hémistiches vides, qu'il remplissait à la hâte au dernier moment, (F. Génin.) TARTUFFE. Pourquoi donc la prison? L'EXEMPT. Ce n'est pas vous à qui j'en veux rendre raison. (A Orgon.) A ses autres horreurs il a joint cette suite, Du contrat qui lui fait un don de tous vos biens, Pour montrer que son cœur sait, quand moins on y pense, Que jamais le mérite avec lui ne perd rien; Qui l'auroit osé dire? ORGON, à Tartuffe, que l'exempt emmène. Hé bien! te voilà, traître!... SCÈNE VIII. MADAME PERNELLE, ORGON, ELMIRE, MARIANE, CLÉANTE, VALÈRE, DAMIS, DORINE. CLEANTE. Ah! mon frère, arrêtez, Et ne descendez point à des indignités. A son mauvais destin laissez un misérable, ORGON. Oui, c'est bien dit. Allons à ses pieds avec joie FIN DU TARTUFFE. COMÉDIE EN TROIS ACTES. 1668. NOTICE. Le sujet de cette pièce n'appartient pas, on le sait, à Molière. Un Anglais, le colonel Dow, en a retrouvé la donnée première dans l'antique littérature de l'Inde. Voltaire a reproduit, d'après le savant Anglais, l'analyse de cette fable; et M. Taschereau, à son tour, a réimprimé l'analyse de Voltaire, en adoucissant toutefois ce qu'il y avait de hasardé dans la prose de l'auteur de Candide. Quoique Voltaire perde toujours à des corrections, quelles qu'elles soient, nous avons cru devoir nous en tenir à M. Taschereau : « Un Indou, d'une force extraordinaire, avait une très-belle femme il en fut jaloux, la battit et s'en alla. Un égrillard de dieu, non pas un Brama, ou un Vishnou, ou un Sib, mais un dieu de bas étage, et cependant fort puissant, fait passer son âme dans un corps entièrement semblable celui du mari fugitif, et se présente sous cette forme à la dame délaissée. La doctrine de la métempsycose rendait cette supercherie vraisemblable. >> Le dieu amoureux demande pardon à sa prétendue femme de ses emportements, obtient sa grâce et les faveurs de la belle, féconde son sein et reste le maître de la maison. Le mari, repentant et toujours amoureux de sa femme, revient se jeter à ses pieds. Il trouve un autre lui-même établi chez lui; il est traité par cet autre d'imposteur et de sorcier. Cela forme un procès..... L'affaire se plaide devant le parlement de Bénarès. Le président était un brachmane, qui devina tout d'un coup que l'un des deux maîtres de la maison était une dupe et que l'autre était un dieu. >> << Ici nous sommes forcé d'abandonner le traducteur, dont les expressions pourraient paraître à beaucoup de lecteurs un peu trop naturelles. Il serait maladroit et impardonnable à nous d'encourir le reproche d'indécence en parlant d'une pièce où l'auteur a su vaincre tant de difficultés pour respecter les convenances. Nous nous bornerons donc à dire que le tribunal, connaissant le mari de la belle en litige pour le plus robuste de tout le pays, ordonna, par une mesure assez semblable à celle de l'ancien congrès, qu'elle accorderait successivement ses faveurs aux deux prétendants, et que celui qui donnerait le plus de preuves d'amour et de vigueur serait présumé être fondé dans sa demande. Le véritable époux atteignit, au grand étonnement de ce singulier jury, le nombre des travaux d'Hercule. Déjà les assistants, persuadés de l'inutilité des efforts de son rival, voulaient que, sans plus attendre, on prononçât en sa faveur; mais, le tribunal en ayant ordonné autrement, quelle fut la surprise de l'assemblée lorsqu'elle vit le nouvel athlète se montrer digne d'être, seul, l'époux des cinquante filles de Danaus! On allait lui adjuger le prix, quand le président s'écria : « Le premier est un héros, mais il n'a pas dépassé les forces de la nature humaine; le second ne peut être qu'un dieu qui s'est moqué de nous. » Le dieu avoua tout, et s'en retourna au ciel en riant. >>> Le sujet d'Amphitryon fut traité chez les Grecs par Euripide et Archippus; chez les Latins par Plaute. La pièce de Plaute eut le plus grand succès, et on la jouait aux fêtes consacrées à Jupiter, bien longtemps après la mort de l'auteur. Avant Molière, Rotrou donna dans les Sosies une imitation libre de l'auteur latin, et Molière à son tour fit à ce dernier de nombreux emprunts; mais tous les critiques ont été d'accord pour placer la copie au-dessus de l'original. « Molière a, dit Bayle, pris beaucoup de choses de Plaute, mais il leur donne un autre tour; et s'il n'y avait qu'à comparer ces deux pièces l'une avec l'autre pour décider la dispute sur la supériorité ou l'infériorité des anciens, je crois que M. Perrault gagnerait bientôt sa cause. Il y a des finesses et des tours dans l'Amphitryon de Molière qui surpassent de beaucoup les railleries de l'Amphitryon latin. Combien de choses n'a-t-il pas fallu retrancher de la comédie de Plaute qui n'eussent pas réussi sur le théâtre français ! combien d'ornements et de traits d'une nouvelle invention n'a-t-il pas fallu que Molière ait insérés dans son ouvrage pour le mettre en état d'être applaudi comme il l'a été! Par la seule comparaison des prologues, on peut connaître que l'avantage est du côté de l'auteur moderne. >> La Harpe pense à peu près comme Bayle : « Peu d'ouvrages sont aussi réjouissants qu'Amphitryon. On a remarqué, il y a longtemps, que les méprises sont une des sources du comique les plus fécondes ; et comme il n'y a point de méprise plus forte que celle que peut faire naître un personnage qui paraît double, |