Images de page
PDF
ePub

Et d'une et d'autre part, pour un tel compliment,

Les phrases sont embarrassantes.

Le grand dieu Jupiter nous fait beaucoup d'honneur,
Et sa bonté, sans doute, est pour nous sans seconde;
Il nous promet l'infaillible bonheur

D'une fortune en mille biens féconde,

Et chez nous il doit naître un fils d'un très grand cœur : Tout cela va le mieux du monde :

Mais enfin, coupons aux discours,

Et que chacun chez soi doucement se retire.
Sur telles affaires toujours

Le meilleur est de ne rien dire.

FIN D'AMPHITRYON.

OU

LE MARI CONFONDU.

COMÉDIE EN TROIS ACTES

1668.

NOTICE.

La prise de possession de la Franche-Comté, et le traité d'Aixla-Chapelle, qui garantit à la France ses conquêtes des PaysBas, ont placé l'année 1668 au nombre des plus glorieuses années du règne de Louis XIV. Justement fier des grands succès qu'il venait d'obtenir, ce prince, à son retour, voulut dédommager la cour des plaisirs dont son absence l'avait privée. Une fête splendide fut organisée à Versailles, dans les jardins nouvellement créés par Le Nôtre. «On y avait réservé, dit M. Bazin, la place principale à la comédie, et Molière était chargé de la remplir. Un théâtre magnifiquement décoré, les meilleurs danseurs, les plus belles voix, de nombreux instruments et Lulli furent mis à sa disposition. Tout ce luxe royal servit comme d'entourage à sa personne et forma le cadre de George Dandin. Il avait écrit la pièce et il y joua le premier rôle. » La première représentation eut lieu le 18 juillet 1668. Cette fois encore le succès fut graud, et quoique cette pièce soit la seule dans laquelle Molière ait mis en scène une femme mariée qui manque à ses devoirs, personne ne fut scandalisé, ou ne fit semblant de l'être. Ce fut seulement dans le dix-huitième siècle, que George Dandin devint, sous le rapport moral, l'objet de vives critiques. Riccoboni, qui commença l'attaque, range cette comédie parmi celles qui ne peuvent être admises sur un théatre où les mœurs sont respectées.

Rousseau, suivant son habitude à l'égard de Molière, déclame

avec emportement : « Voyez comment, pour multiplier ses plaisanteries, cet homme trouble tout l'ordre de la société ; avec quel scandale il renverse tous les rapports les plus sacrés sur lesquels elle est fondée; comment il tourne en dérision les respectables droits des pères sur leurs enfants, des maris sur leurs femmes, des maîtres sur leurs serviteurs! Il fait rire, il est vrai, et n'en devient que plus coupable, en forçant par un charme invincible les sages mêmes de se prêter à des railleries qui devraient attirer leur indignation. J'entends dire qu'il attaque les vices mais je voudrais bien que l'on comparàt ceux qu'il attaque avec ceux qu'il favorise... Quel est le plus criminel d'un paysan assez fou pour épouser une demoiselle, ou d'une femme qui cherche à déshonorer son époux? Que penser d'une pièce où le parterre applaudit à l'infidélité, au mensonge, à l'impudence de celle-ci, et rit de la bêtise du manant puni? » Sans aller aussi loin que Rousseau, la plupart des critiques se sont rangés à son avis. La Harpe trouve aussi le sujet immoral et la conduite d'Angélique d'un mauvais exemple. Voltaire, plus indulgent, déclare « que la coquetterie de la femme n'est que la punition de la sottise qu'a faite George Dandin d'épouser la fille d'un gentilhomme ridicule. » Petitot, de son côté, pense qu'on ne saurait blàmer Molière, attendu qu'il a pris soin de ne pas rendre Angélique intéressante, et qu'il lui a donné un caractère tel, qu'elle offre au théâtre le seul exemple d'une femme qui trompe son mari sans avoir le public de son côté. Enfin, M. Génin, résumant le pour et le contre, met en relief avec beaucoup de justesse ce qu'il y a de mal et de bien; et c'est, nous le pensons, à son avis qu'il faut se ranger, quand on veut juger sans enthousiasme, comme sans prévention. « Le vice d'Angélique, dit M. Génin, joue le rôle avantageux; il triomphe, et les conséquences de ce vice sont plus funestes à la société que celles de la sottise de George Dandin. Toutefois ce n'est pas à Rousseau à le plaindre et à déclamer si haut; car la récrimination serait facile contre lui. L'adultère de madame de Wolmar est d'un pire exemple que celui d'Angélique. Le vice d'Angélique n'est que spirituel ; dans Julie il est intéressant, ennobli par la passion ; il emprunte les dehors de la vertu, tout au plus est-il présenté comme une faiblesse rachetable. On ne peut s'empêcher de mépriser Angélique; mais Rousseau prétend faire estimer Julie, Julie qui n'a pas, comme Angélique, l'excuse d'un mari sot, d'un George Dandin. Enfin, quand on a ri à la comédie de Molière, toutes les conséquences, ou à peu près, en sont épuisées, il n'en reste guère de trace; au contraire, la Nouvelle Héloïse a fondé cette école de l'adultère sentimental, qui, de nos jours, a envahi le roman, le théâtre, et jusqu'à certaines théories philosophiques. >>>

» Mais George Dandin offre aussi son côté, moral. Les bourgeois, en 1668, sont pris d'une manie qui va devenir épidémique ils veulent sortir de leur sphère, monter, contracter de grandes alliances et de grandes amitiés; ils se hissent sur leur coffre-fort pour atteindre jusqu'à l'aristocratie et s'y mêler. De son côté, l'aristocratie est fort disposée à se baisser, à descendre, à se mêler familièrement aux bourgeois pour puiser dans leur caisse, tout en raillant et en méprisant ceux qu'elle pressure. La roture opulente passant un marché avec la noblesse besoigneuse, cette donnée qui a défrayé tout le théâtre de Dancourt et quelques-unes des meilleures comédies du dix-huitième siècle, c'est Molière qui le premier l'a trouvée. Molière, avant Le Sage et d'Allainval, a châtié la sotte vanité des uns et la cupidité avilissante des autres. George Dandin et M. Jourdain sont les types du ridicule des bourgeois, et le marquis Dorante personnifie la bassesse de certains gentilshommes d'alors. >>

Grimarest, dont le témoignage, du reste, ne doit être accepté que sous toutes réserves, rapporte une anecdote assez singulière, qui trouve ici tout naturellement sa place; la plupart des éditeurs de Molière l'ont répétée sans la discuter; nous la répéterous après eux sans la garantir. Voici ce que dit Grimarest: :« Au moment où Molière allait mettre sa pièce au théâtre, un de ses amis lui fit entendre qu'il y avait dans le monde un homme qui pourrait bien se reconnaître dans le personnage de Dandin, et qui, par ses amis et sa famille, était en état de nuire au succès de la pièce : « Je sais, répondit Molière, un moyen >> sûr de me concilier cet homme; j'irai lui lire ma pièce. » En effet, le même soir, Molière l'aborde au spectacle, et lui demande une de ses heures perdues pour lui faire une lecture. L'homme en question se trouva si fort honoré de cette preuve de confiance, que, toute affaire cessante, il donna parole pour le lendemain. « Molière, disait-il à tout le monde, me lit ce soir >> une comédie. Voulez-vous en être?» Le soir, Molière trouva une nombreuse assemblée, et son homme qui la présidait : la pièce fut trouvée excellente. Lorsque plus tard elle fut représentée, elle n'eut pas de plus zélé partisan que ce pauvre mari, qui ne s'était pas reconnu.»>

On a dit que le sujet de George Dandin était indiqué par Boccace. Le fait est exact; mais Boccace l'avait emprunté du Chastoiement, recueil de contes en vers du douzième siècle, et l'anteur de ce dernier ouvrage l'avait lui-même tiré du Dolopalos. Écrit en indien cent ans environ avant l'ère chrétienne, « le Dolopalos, dit M. Aimé Martin, fut traduit en persan, et successivement du persan en arabe, de l'arabe en hébreu, de l'hébreu en syriaque, et du syriaque en grec. Il est probable qu'il fut apporté en France à l'époque des premières croisades, et que les

trouvères s'enrichirent de ses plus brillantes inventions. Vers le commencement du douzième siècle, il fut traduit en latin par un moine de l'abbaye de Haute selve, et un peu plus tard traduit du latin en langue romane, ce qui le répandit en France.>>

PERSONNAGES

GEORGE DANDIN, riche paysan, mari d'Angélique '.
ANGÉLIQUE, femme de George Daudin, et fille de M. de Sotenville ".
MONSIEUR DE SOTENVILLE, gentilhomme campagnard, père
d'Angélique

MADAME DE SOTENVILLE.

CLITANDRE, amaut d'Angélique 5.
CLAUDINE, Suivante d'Angélique ".
LUBIN, paysan, servant Clitandre 7.
COLIN. valet de George Dandin.

La scène est devant la maison de George Dandin, à la campagne.

[blocks in formation]

Ah! qu'une femme demoiselle est une étrange affaire! et que mon mariage est une leçon bien parlante à tous les

* Dandin est dit de celui qui baye (regarde) çà et là par sottise et badandise, sans avoir contenance arrestée: ineptus, insipidus; et dandiner, user de telle badaudise, ineptire. (Nicol.) Étienne Pasquier dérive ce mot du terme factice dindan, parce que la marche d'un dandin représente assez bien le mouvement des cloches. Rabelais est, je crois, le premier qui ait fait un nom propre de ce mot si expressif de notre vieille langue. Il a été successivement imité par Racine, Molière et La Fontaine.

Acteurs de la troupe de Molière : ' MOLIÈRE.
DU CROISY.- 'HUBERT.

LA THORILLIÈRE.

[ocr errors]

5 LA GRANGE.

3 Mademoiselle MOLIÈRE.

6 Mademoiselle DE BRIE.

On dounait le titre de demoiselle aux femmes mariées, lorsqu'elles étaient nobles de naissance, ou du moins qu'elles appartenaient à la haute bourgeoisie. Une femme demoiselle signifie donc, ici, une femme d'une condition élevée.

« PrécédentContinuer »