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paysans qui veulent s'élever au-dessus de leur condition, et s'allier, comme j'ai fait, à la maison d'un gentilhomme! La noblesse, de soi, est bonne; c'est une chose considérable, assurément: mais elle est accompagnée de tant de mauvaises circonstances, qu'il est très bon de ne s'y point frotter. Je suis devenu là-dessus savant à mes dépens, et connois le style des nobles, lorsqu'ils nous font, nous autres, entrer dans leur famille. L'alliance qu'ils font est petite avec nos personnes c'est notre bien seul qu'ils épousent; et j'aurois bien mieux fait, tout riche que je suis, de m'allier en bonne et franche paysannerie, que de prendre une femme qui se tient au-dessus de moi. s'offense de porter mon nom, et pense qu'avec tout mon bien je n'ai pas assez acheté la qualité de son mari. George Dandin! George Dandin! vous avez fait une sottise, la plus grande du monde. Ma maison m'est effroyable maintenant, et je n'y rentre point sans y trouver quelque chagrin.

SCÈNE II. GEORGE DANDIN, LUBIN

GEORGE DANDIN, à part, voyant sortir Lubin de chez lui. Que diantre ce drôle-là vient-il faire chez moi?

LUBIN, à part, apercevant George Dandin.

Voilà un homme qui me regarde.

GEORGE DANDIN, à part

Il ne me connoît pas.

LUBIN, à part.

Il se doute de quelque chose.

GEORGE DANDIN, à part.

Ouais! il a grand' peine à saluer.

LUBIN, à part.

J'ai peur qu'il n'aille dire qu'il m'a vu sortir de là dedans.

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Non: je n'y suis venu que pour voir la fête de demain.

GEORGE DANDIN.

Hé! dites-moi un peu, s'il vous plaît: vous venez de là dedans?

LUBIN.

Chut!

GEORGE DANDIN.

Comment!

LUBIN.

Paix

GEORGE DANDIN.

Quoi donc?

LUBIN.

Motus! Il ne faut pas dire que vous m'ayez vu sortir de là.

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C'est que je viens de parler à la maîtresse du logis, de la part d'un certain monsieur qui lui fait les doux yeux; et il ne faut pas qu'on sache cela. Entendez-vous?

Oui

GEORGE DANDIN.

LUBIN.

Voilà la raison. On m'a enchargé de prendre garde que personne ne me vît; et je vous prie, au moins, de ne pas dire que vous m'ayez vu.

Je n'ai garde.

GEORGE DANDIN.

LUBIN.

Je suis bien aise de faire les choses secrètement, comme on m'a recommandé.

GEORGE DANDIN.

C'est bien fait.

LUBIN.

Le mari, à ce qu'ils disent, est un jaloux qui ne veut pas qu'on fasse l'amour à sa femme; et il feroit le diable à quatre, si cela venoit à ses oreilles. Vous comprenez bien?

Fort bien.

GEORGE DANDIN.

LUBIN.

Il ne faut pas qu'il sache rien de tout ceci.

Sans doute.

GEORGE DANDIN.

LUBIN.

On le veut tromper tout doucement. Vous entendez bien?

GEORGE DANDIN,

Le mieux du monde.

LUBIN.

Si vous alliez dire que vous m'avez vu sortir de chez lui, vous gâleriez toute l'affaire. Vous comprenez bien?

GEORGE DANDIN.

Assurément. Hé! comment nommez-vous celui qui vous a envoyé la dedans?

LUBIN.

C'est le seigneur de notre pays, monsieur le vicomte de chose... Foin! je ne me souviens jamais comment diantre ils baragouinent ce nom-là. Monsieur Cli... Clitandre.

GEORGE DANDIN.

Est-ce ce jeune courtisan qui demeure.....?

LUBIN.

Oui; auprès de ces arbres.

GEORGE DANDIN, à part.

C'est pour cela que depuis peu ce damoiseau poli s'est venu loger contre moi. J'avois bon nez, sans doute; et son voisinage déja m'avoit donné quelque soupçon.

LUBIN.

Tétigué c'est le plus honnête homme que vous ayez jamais vu. Il m'a donné trois pièces d'or pour aller dire seulement à la femme qu'il est amoureux d'elle, et qu'il souhaite fort l'honneur de pouvoir lui parler. Voyez s'il y a là une grande fatigue, pour me payer si bien; et ce qu'est, au prix de cela, une journée de travail, où je ne gagne que dix

sous!

GEORGE DANDIN.

Hé bien! avez-vous fait votre message?

LUBIN.

Oui. J'ai trouvé là dedans une certaine Claudine, qui, tout du premier coup, a compris ce que je voulois, et qui m'a fait parler à sa maîtresse.

GEORGE DANDIN, à part.

Ah! coquine de servante!

LUBIN.

Morguienne! cette Claudine-là est tout à fait jolie: elle a gagné mon amitié, et il ne tiendra qu'à elle que nous ne soyons mariés ensemble.

GEORGE DANDIN.

Mais quelle réponse a faite la maîtresse à ce monsieur le courtisan?

LUBIN.

Elle m'a dit de lui dire... (attendez, je ne sais si je me souviendrai bien de tout cela) qu'elle lui est tout à fait obligée de l'affection qu'il a pour elle, et qu'à cause de son mari, qui est fantasque, il garde d'en rien faire paroître, et qu'il faudra songer à chercher quelque invention pour se pouvoir entretenir tous deux.

GEORGE DANDIN, à part

Ah! pendarde de femine1!

LUBIN.

Tétiguienne! cela sera drôle; car le mari ne se doutera point de la manigance: voilà ce qui est de bon, et il aura un pied de nez avec sa jalousie. Est-ce pas?

Cela est vrai.

GEORGE DANDIN.

LUBIN.

Adieu. Bouche cousue au moins. Gardez bien le secret, afin que le mari ne le sache pas.

Oui, oui.

GEORGE DANDIN.

LUBIN.

Pour moi, je vais faire semblant de rien. Je suis un fin malois, et l'on ne diroit pas que j'y touche.

La ressemblance de l'École des Femmes et de George Dandin a frappé tous les commentateurs. George Dandin est toujours averti des infidélités de sa femme, comme Aruolphe des ruses d'Agnès; et cependant ni l'un ni l'autre ue peuvent réussir à surprendre les coupables

(Aimé Martin.)

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Hé bien! George Dandin, vous voyez de quel air votre femme vous traite! Voilà ce que c'est d'avoir voulu épouser une demoiselle! L'on vous accommode de toutes pièces, sans que vous puissiez vous venger; et la gentilhommerie vous tient les bras liés. L'égalité de condition laisse du moins à l'honneur d'un mari la liberté de ressentiment; et, si c'étoit une paysanne, vous auricz maintenant toutes vos coudées franches à vous en faire la justice à bons coups de bâton. Mais vous avez voulu tâter de la noblesse; et il vous ennuyoit d'être maître chez vous. Ah! j'enrage de tout mon cœur, et je me donnerois volontiers des soufflets. Quoi! écouter impudemment l'amour d'un damoiseau, et y promettre en même temps de la correspondance! Morbleu! je ne veux point laisser passer une occasion de la sorte. Il me faut, de ce pas, aller faire mes plaintes au père et à la mère, et les rendre témoins, à telle fin que de raison, des sujets de chagrin et de ressentiment que leur fille me donne. Mais les voici l'un et l'autre fort à propos.

SCÈNE IV.

-

MONSIEUR DE SOTENVILLE, MADAME DE SOTENVILLE, GEORGE DANDIN.

MONSIEUR DE SOTENVILLE.

Qu'est-ce, mon gendre? vous me paroissez tout trouble.

GEORGE DANDIN.

Aussi en ai-je du sujet; et...

MADAME DE SOTENVILLE.

Mon Dieu! notre gendre, que vous avez peu de civilité, de ne pas saluer les gens quand vous les approchez!

GEORGE DANDIN.

Ma foi ma belle-mère, c'est que j'ai d'autres choses en lête; et...

MADAME DE SOTENVILLE.

Encore! est-il possible, notre gendre, que vous sachiez si peu votre monde, et qu'il n'y ait pas moyen de vous instruire de la manière qu'il faut vivre parmi les personnes de qualité?

Comment?

GEORGE DANDIN.

Cest-à-dire du retour, de la sympathie.

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