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CHOEUR DE BACCHUS.

Bacchus à son pouvoir a soumis tout le monde.

CHOEUR DE L'AMOUR.

Et l'Amour a dompté les hommes et les dieux.

CHOEUR DE BACCHUS.

Rien peut-il égaler sa douceur sans seconde?

CHOEUR DE L'AMOUR.

Rien peut-il égaler ses charmes précieux?

CHOEUR DE BACCHUS.

Fi de l'Amour et de ses feux!

LE PARTI DE L'AMOUR.

Ah! quel plaisir d'aimer!

LE PARTI DE BACCHUS.

Ah! quel plaisir de boire!

LE PARTI DE L'AMOUR.

A qui vit sans amour la vie est sans appas.
LE PARTI DE BACCHUS.

C'est mourir que de vivre et de ne boire pas.
LE PARTI DE L'AMOUR.

Aimables fers!

LE PARTI DE BACCHUS.
Donce victoire!

LE PARTI DE L'AMOUR.

Ah! quel plaisir d'amer!

LE PARTI DE BACCHUS.

Ah! quel plaisir de boire!

LES DEUX PARTIS.

Non, non, c'est un abus.

Le plus grand dieu de tous...

LE PARTI DE L'AMOUR.

C'est l'Amour.

LE PARTI DE BACCHUS.

C'est Bacchus.

1

» Un berger 1 arrive, qui se jette au milieu des deux partis pour les séparer, et leur chante ces vers:

C'est trop, c'est trop, hergers. Eh! pourquoi ces débats ?
Souffrons qu'en un parti la raison nous assemble.

L'Amour a des douceurs, Bacchus a des appas :
Ce sont deux déités qui sont fort bien ensemble;
Ne les séparons pas.

LES DEUX CHOEURS.

Melons donc leurs douceurs aimables,

Melons nos voix dans ces lieux agreables,

Et faisons répéter aux échos d'alentour

Qu'il n'est rien de plus doux que Bacchus et l'Amour,

'Le Gros.

>> Tous les danseurs se mêlent ensemble, et l'on voit parmi les bergers et les bergères quatre des suivants de Bacchus 1 avec des thyrses, et quatre bacchantes 2 avec des espèces de tambours de basque, qui représentent ces cribles qu'elles portoient anciennement aux fêtes de Bacchus. De ces thyrses, les suivants frappent sur les cribles des bacchantes, et font différentes postures, pendant que les bergers et les bergères dansent plus sérieusement.

>> On peut dire que, dans cet ouvrage, le sieur de Lulli a trouvé le secret de satisfaire et de charmer tout le monde ; car jamais il n'y a rien eu de si beau et de mieux inventé. Si l'on regarde les danses, il n'y a point de pas qui ne marque l'action que les danseurs doivent faire, et dont les gestes ne soient autant de paroles qui se fassent entendre. Si l'on regarde la musique, il n'y a rien qui n'exprime parfaitement toutes les passions, et qui ne ravisse l'esprit des auditeurs. Mais ce qui n'a jamais été vu est cette harmonie de voix si agréable, cette symphonie d'instruments, cette belle union de différents chœurs, ces douces chansonnettes, ces dialogues si tendres et si amoureux, ces échos, et enfin cette conduite admirable dans toutes les parties, où, depuis les premiers récits, l'on a toujours vu que la musique s'est augmentée, et qu'enfin, après avoir commencé par une seule voix, elle a fini par un concert de plus de cent personnes, qu'on a vues, toutes à la fois sur un même théâtre, joindre ensemble leurs instruments, leurs voix et leurs pas dans un accord et une cadence qui finit la pièce, en laissant tout le monde dans une admiration qu'on ne peut assez exprimer. »

2

Beauchamp, Dolivet, Chicanneau, Mayeu.

Paysan, Manceau, Le Roy, Pesan.

FIN DE LA FÊTE DE VERSAILLES.

APPENDICE.

Quinze jours après la représentation de Tartuffe, qui eut lieu en 1667, il parut une lettre justificative de la pièce. Cette lettre, que l'on a attribuée avec quelque apparence de raison à Chapelle, et qui peut-être fut écrite sous les yeux de Molière, a été intégralement reproduite dans l'édition de M. Aimé Martin. Quant à nous, nous croyons devoir nous borner à en extraire ce qui se rapporte à la polémique morale qui fut soulevée par le Tartuffe.

L'auteur, après avoir fait une longue analyse de cette comédie, ajoute :

« Voilà, monsieur, quelle est la pièce qu'on a défendue ; il se peut faire qu'on ne voit pas le venin parmi les fleurs, et que les yeux des puissances sont plus épurés que ceux du vulgaire si cela est, il semble qu'il est encore de la charité des religieux persécuteurs du misérable Panulphe de faire discerner le poison que les autres avalent faute de le connoître; à cela près, je ne me mêle point de juger des choses de cette délicatesse, je crains trop de me faire des affaires comme vous savez: c'est pourquoi je me contenterai de vous communiquer deux réflexions qui me sont venues dans l'esprit, qui ont peut-être été faites par peu de gens, et qui, ne touchant point le fond de la question, peuvent être proposées sans manquer au respect que tous les gens de bien doivent avoir pour les jugements des puissances légitimes.

» La première est sur l'étrange disposition d'esprit, touchant cette comédie, de certaines gens qui, supposant ou croyant de bonne foi qu'il ne s'y fait ni dit rien qui puisse en particulier faire aucun méchant effet, ce qui est le point de la question, la condamnent toutefois en général, à cause seulement qu'il y est parlé de la religion, et que le théâtre, disent-ils, n'est pas un lieu où il faille enseigner.

» Il faut être bien enragé contre Molière pour tomber dans un égarement si visible; et il n'est point de si chétif lieu

commun où l'ardeur de critiquer et de mordre ne se puisse retrancher, après avoir osé faire son fort d'une si misérable et si ridicule défense. Quoi! si on produit la vérité avec toute la dignité qui doit l'accompagner partout; si on a prévu et évité jusqu'aux effets les moins fâcheux qui pouvoient arriver, même par accident, de la peinture du vice, si on a pris, contre la corruption des esprits du siècle, toutes les précautions qu'une connoissance parfaite de la saine antiquité, une vénération solide pour la religion, une méditation profonde de la nature de l'ame, une expérience de plusieurs années et un travail effroyable ont pu fournir, il se trouvera après cela des gens capables d'un contre-sens si horrible, que de proscrire un ouvrage qui est le résultat de tant d'excellents préparatifs, par cette seule raison qu'il est nouveau de voir exposer la religion dans une salle de comédie, pour bien, pour dignement, pour discrètement, nécessairement et utilement qu'on le fasse! Je ne feins pas de vous avouer que ce sentiment me paroît un des plus considérables effets de la corruption du siècle où nous vivons : c'est par ce principe de fausse bienséance qu'on relègue la raison et la vérité dans des pays barbares et peu fréquentés, qu'on les borne dans les écoles et dans les églises, où leur puissante vertu est presque inutile, parcequ'elles n'y sont recherchées que de ceux qui les aiment et qui les connoissent; et que, comme si on se défioit de leur force et de leur autorité, on n'ose les commettre où elles peuvent rencontrer leurs ennemis. C'est pourtant là qu'elles doivent paroître; c'est dans les lieux les plus profanes, dans les places publiques, les tribunaux, les palais des grands seulement, que se trouve la matière de leur triomphe et comme elles ne sont, à proprement parler, vérité et raison que quand elles convainquent les esprits, et qu'elles en chassent les ténèbres de l'erreur et de l'ignorance par leur lumière toute divine, on peut dire que leur essence consiste dans leur action; que ces lieux où leur opération est le plus nécessaire sont leurs lieux naturels; et qu'ainsi c'est les détruire en quelque façon, que les réduire à ne paroître que parmi leurs adorateurs. Mais passons plus avant.

» Il est certain que la religion n'est que la perfection de la raison, du moins pour la morale; qu'elle la purifie, qu'elle l'élève, et qu'elle dissipe seulement les ténèbres que

le péché d'origine a répandues dans le lieu de sa demeure; enfin que la religion n'est qu'une raison plus parfaite. Ce seroit être dans le plus déplorable aveuglement des païens, que de douter de cette vérité. Cela étant, et puisque les philosophes les plus sensuels n'ont jamais douté que la raison ne nous fût donnée par la nature pour nous conduire en toutes choses par ses lumières; puisqu'elle doit être partout aussi présente à notre ame que l'œil à notre corps, et qu'il n'y a point d'acceptions de personnes, de temps ni de lieux auprès d'elle; qui peut douter qu'il n'en soit de même de la religion, que cette lumière divine, infinie comme elle est par essence, ne doive faire briller partout sa clarté; et qu'ainsi que Dieu remplit tout de lui-même, sans aucune distinction, et ne dédaigne pas d'ètre aussi présent dans les lieux du monde les plus infames, que dans les lieux augustes et les plus sacrés, aussi les vérités saintes qu'il lui a plu de manifester aux hommes ne puissent être publiées dans tous les temps et dans tous les lieux où il se trouve des oreilles pour les entendre et des cœurs pour recevoir la grace qui les fait chérir?

» Loin donc, loin d'une ame vraiment chrétienne ces indignes ménagements et ces cruelles bienséances qui voudroient nous empêcher de travailler à la sanctification de nos frères partout où nous le pouvons! la charité ne souffre point de borne; tous lieux, tous temps lui sont bons pour agir et faire du bien; elle n'a point d'égard à sa dignité, quand il y va de son intérêt; et comment pourroit-elle en avoir, puisque, cet intérêt consistant, comme il fait, à convertir les méchants, il faut qu'elle les cherche pour les combattre, et qu'elle ne peut les trouver pour l'ordinaire que dans des lieux indignes d'elle?

>> Il ne faut pas donc qu'elle dédaigne de paroître dans ces lieux, et qu'elle ait si mauvaise opinion d'elle-même que de penser qu'elle puisse être avilie en s'humiliant. Les grands du monde peuvent avoir ces basses considérations, eux de qui toute la dignité est empruntée et relative, et qui ne doivent être vus que de loin et dans toute leur parure pour conserver leur autorité, de peur qu'étant vus de près et à nu, on ne découvre leurs taches, et qu'on ne reconnoisse leur petitesse naturelle. Qu'ils ménagent avec avarice le foible caractère de grandeur qu'ils peuvent avoir; qu'ils

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