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PIERROT.

Jarni! je vas dire à sa tante tout ce ménage-ci 1.

SCÈNE IV.

DON JUAN, CHARLOTTE, SGANARELLE.

DON JUAN, à Charlotte.

Enfin je m'en vais être le plus heureux de tous les hommes, et je ne changerois pas mon bonheur à toutes les choses du monde. Que de plaisirs quand vous serez ma femme, et

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Monsieu, que faites-vous donc là avec Charlotte? Est-ce que vous lui parlez d'amour aussi?

DON JUAN, bas, à Mathurine.

Non. Au contraire, c'est elle qui me témoignoit une envie d'être ma femme, et je lui répondois que j'étois engagé avec

vous.

CHARLOTTE, à don Juan.

Qu'est-ce que c'est donc que vous veut Mathurine?

DON JUAN, bas, à Charlotte.

Elle est jalouse de me voir vous parler, et voudroit bien que je l'épousasse; mais je lui dis que c'est vous que je veux.

Quoi! Charlotte...

MATHURINE.

DON JUAN, bas, à Mathurine.

Tout ce que vous lui direz sera inutile; elle s'est mis cela dans la tête.

CHARLOTTE.

Quement donc ! Mathurine...

'Quoique le lecteur n'ait pas besoin d'être renseigné sur les beautés d'une pièce de théâtre, et que nous soyons, comme on le voit, fort sobre de commentaires admiratifs, nous nous laissons entraîner ici, pour nous joindre au lecteur, et remarquer avec lui l'admirable souplesse du talent de Molière, qui sait peindre avec des traits si vrais une simple fille de campagne aux prises avec un roué de cour. Nous avons vu, depuis le Festin de Pierre, bien des paysans sur la scène, mais ce n'est qu'ici que nous sommes vraiment au village.

DON JUAN, bas, à Charlotte.

C'est en vain que vous lui parlerez; vous ne lui ôterez point cette fantaisie.

Est-ce que...?

MATHURINE.

DON JUAN, bas, à Mathurine.

Il n'y a pas moyen de lui faire entendre raison.

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DON JUAN, bas, à Mathurine.

Je gage qu'elle va vous dire que je lui ai promis de l'épouser.

CHARLOTTE.

Je...

DON JUAN, bas, à Charlotte.

Gageons qu'elle vous soutiendra que je lui ai donné parole de la prendre pour femme.

MATHURINE.

Hola! Charlotte, ça n'est pas bian de courir su le marché des autres.

CHARLOTTE.

Ça n'est pas honnête, Mathurine, d'ètre jalouse que monsieu me parle.

MATHURINE.

C'est moi que monsieu a vue la première.

CHARLOTTE.

S'il vous a vue la première, il m'a vue la seconde, et m'a promis de m'épouser.

DON JUAN, bas, à Mathurine.

Hlé bien! que vous ai-je dit?

MATHURINE, à Charlotte.

Je vous baise les mains; c'est moi, et non pas vous, qu'il a promis d'épouser.

DON JUAN, bas, à Charlotte.

N'ai-je pas deviné?

CHARLOTTE.

A d'autres, je vous prie; c'est moi, vous dis-je.

MATHURINE.

Vous vous moquez des gens; c'est moi encore un coup.

CHARLOTTE.

Le vlà qui est pour le dire, si je n'ai pas raison.

MATHURINE.

Le vlà qui est pour me démentir, si je ne dis pas vrai.

CHARLOTTE.

Est-ce, monsieu, que vous lui avez promis de l'épouser? DON JUAN, bas, à Charlotte.

Vous vous raillez de moi.

MATHURINE.

Est-il vrai, monsieu, que vous lui avez donné parole d'être son mari?

DON JUAN, bas, à Mathurine.

Pouvez-vous avoir cette pensée ?

CHARLOTTE.

Vous voyez qu'al le soutient.

DON JUAN, has, à Charlotte.

Laissez-la faire.

MATHURINE.

Vous êtes témoin comme al l'assure.

DON JUAN, bas, à Mathurine.

Laissez-la dire.

CHARLOTTE.

Non, non, il faut savoir la vérité.

MATHURINE.

Il est question de juger ça.

CHARLOTTE.

Oui, Mathurine, je veux que monsieu vous montre votre

bec jaune.

MATHURINE.

Oui, Charlotte, je veux que monsieu vous rende un peu

camuse 1.

CHARLOTTE.

Monsieu, videz la querelle, s'il vous plaît.

MATHURINE.

Mettez-nous d'accord, monsieu.

CHARLOTTE, à Mathurine.

Vous allez voir.

MATHURINE, à Charlotte.

Vous allez voir vous-même.

CHARLOTTE, à don Juan.

Dites.

MATHURINE, à don Juan.

Parlez.

DON JUAN.

Que voulez-vous que je dise? Vous soutenez également toutes deux que je vous ai promis de vous prendre pour femmes. Est-ce que chacune de vous ne sait pas ce qui en est, sans qu'il soit nécessaire que je m'explique davantage? Pourquoi m'obliger là-dessus à des redites? Celle à qui j'ai promis effectivement n'a-t-elle pas, en elle-même, de quoi se moquer des discours de l'autre; et doit-elle se mettre en peine, pourvu que j'accomplisse ma promesse? Tous les discours n'avancent point les choses. Il faut faire et non pas dire; et les effets décident mieux que les paroles. Aussi, n'est-ce rien que par là que je vous veux mettre d'accord; et l'on verra, quand je me marierai, laquelle des deux a mon cœur. (bas, à Mathurine.) Laissez-lui croire ce qu'elle voudra. (bas, à Charlotte.) Laissez-la se flatter dans son imagination. (bas, à Mathurine.) Je vous adore. (bas, à Charlotte.) Je suis tout à vous. (bas, à Mathurine.) Tous les visages sont laids auprès du vôtre. (bas, à Charlotte.) On ne peut plus souffrir les

Métaphoriquement, casser le nez, rendre confus. On remarquera, dit M. Génin, que l'on emploie à rendre la même pensée deux images contraires, étre camus, et avoir un pied de nez

autres quand on vous a vue. (haut.) J'ai un petit ordre à donner, je viens vous retrouver dans un quart d'heure 1.

SCÈNE VI.

CHARLOTTE, MATHURINE, SGANARELLE.

Je suis celle qu'il aime, au moins.

CHARLOTTE, à Mathurine.

MATHURINF, à Charlotte.

C'est moi qu'il épousera.

SGANARELLE, arrêtant Charlotte et Mathurine.

Ah! pauvres filles que vous êtes, j'ai pitié de votre innocence, et je ne puis souffrir de vous voir courir à votre malheur. Croyez-moi l'une et l'autre ne vous amusez point à tous les contes qu'on vous fait, et demeurez dans votre village.

SCÈNE VII. DON JUAN, CHARLOTTE, MATHURINE,

SGANARELLE.

DON JUAN, dans le fond du théâtre, à part. Je voudrois bien savoir pourquoi Sganarelle ne me suit pas.

SGANARELLE.

Mon maître est un fourbe, il n'a dessein que de vous abuser, et en a bien abusé d'autres; c'est l'épouseur du genre humain, et... (apercevant don Juan.) Cela est faux 2; et quiconque vous dira cela, vous lui devez dire qu'il en a menti. Mon naître n'est point l'épouseur du genre humain, il n'est point un fourbe, il n'a pas dessein de vous tromper, et n'en a point abusé d'autres. Ah! tenez, le voilà; demandez-le plutôt à lui-même.

DON JUAN, regardant Sganarelle, et le soupçonnant d'avoir parlé. Oui!

SGANARELLE.

Monsieur, comme le monde est plein de médisants, je vais au-devant des choses; et je leur disois que si quelqu'un leur venoit dire du mal de vous, elles se gardassent bien de le croire, et ne manquassent pas de lui dire qu'il en auroit menti.

'L'idée si heureuse et si habilement exploitée, de faire courtiser en mème temps deux villageois s par don Juan, appartient tout entière à Moliere. 'L'arrivée de don Juan au moment où son valet le traite impitoyablement est

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