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pour qu'une série de marais et d'étangs longe le pied des coteaux. Le chenal reste toutefois distinct, grâce à un léger renflement qui relève vers le centre le profil de la vallée. Mais soit par des brèches naturelles, soit par des fossés de main d'homme, il communique souvent avec les sillons parallèles qui l'accompagnent. La vallée ressemble ainsi à un labyrinthe aquatique où dort une eau pure, profonde et herbeuse. Lorsque quelque ville aux remparts de brique se mire dans ces eaux dormantes, c'est une étrange apparition qui fait songer à des cités lointaines; tel est, par exemple, le site de Péronne. Dans la limpidité de ces eaux les sphagnes, dont les racines décomposées se transforment en tourbes, ont beau jeu pour se pro

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FIG. 11.

Vallée de la somme ENTRE AMIENS ET ABBEVILLE.

Contraste entre les campagnes sèches et la plate et large vallée, latéralement envahie par des tourbières à la base des berges crayeuses.

pager. La tourbe occupe une grande partie de la vallée. Elle ne tarderait pas à l'envahir tout entière, si une sorte de culture très spéciale n'avait pris possession de ce terreau noir et végétal : celle des hortillons. On voit aux abords des villes la vallée découpée comme un damier par des aires, petits lopins aménagés en jardins maraîchers. De petites barques longues et effilées, maniées à la perche, circulent entre ces mottes sises presque à fleur d'eau, et qui seraient à la merci d'un caprice de la rivière, si la Somme avait encore des caprices.

Ailleurs la vallée garde encore sa physionomie primitive, et l'on voit s'épancher les eaux, entrecoupées de halliers et d'épais fourrés. La pêche est abondante, le gibier pullule, car à l'époque des migrations les volées d'oiseaux aquatiques s'abattent sur ces nappes marécageuses. Quelque cahute de pêcheur, en bois ou en roseau, est installée dans les postes favorables. On a ainsi la surprise inattendue d'une échappée sur la vie que durent pratiquer les tribus anciennes qui trouvaient dans ces labyrinthes asile, refuge et moyen de subsistance. Mais pour le paysan d'aujourd'hui ces refuges aquatiques des restes d'une vie primitive ne représentent pas un domicile habitable : suivant son expression, «< on rentre dans le pays » quand on regagne les flancs secs de la vallée.

Les sites urbains, dans de pareilles conditions physiques, ont été fixés par les points où la traversée était le moins difficile. C'était un

LES VILLES
PICARDES.

I. 1.

7

PICARDIE,
RÉGION

POLITIQUE.

avantage décisif que l'existence de gués, ou d'un roc resserrant la vallée, ou d'appuis solides pour construire un pont. L'histoire, en multipliant les rapports, aida à la multiplication des villes. Après des bourgades gauloises vinrent des postes ou cités romaines, des monastères, des villas carolingiennes, des châteaux contre les Normands; et de tout cela se forme cette ligne de places, tant de fois disputée, qui fut le front de résistance de la monarchie française, le rempart compact dans lequel il ne pouvait se produire une brèche sans que l'émoi gagnât tout le royaume. C'est grâce à la vie urbaine née le long des rivières que ce pays agricole et rural accentua sa personnalité. Il n'y a pas à proprement parler de villes sur les plateaux; l'empreinte urbaine est au contraire marquée même sur les plus petites des villes baignées par les rivières picardes. Celles-ci fournirent à la vieille France des lignes stratégiques et politiques, comme le Havel et la Sprée au Brandebourg. Et c'était bien en effet une sorte de marche frontière que cette contrée située au seuil du germanisme.

L'ancien nom d'Amiens, Samarabriva, veut dire passage de la Somme. Ce n'est pas seulement parce que le coteau sur lequel se dressa depuis sa cathédrale offrait, au-dessus des marais où baignent encore les bas quartiers, un terrain solide : ce poste gaulois marquait sans doute le point extrême où la vallée restait franchissable, à une époque où les marées pénétraient plus profondément qu'aujourd'hui. Il existe à partir de Pecquigny, un peu au-dessous d'Amiens, une série de petites buttes dans lesquelles des coquilles marines s'associent à des formations fluviales ainsi qu'à des débris de poterie; elles indiquent un niveau anciennement plus élevé de la mer. Elle a déposé, en effet, un cordon littoral dont la trace est visible au pied de la falaise de Crécy, ainsi que dans les molières ou marais de Cayeux. Le long des falaises du Pays de Caux on voit des affouillements à 6 ou 7 mètres au-dessus du niveau actuel des hautes marées. On comprend qu'à l'époque où le Pas de Calais était encore fermé ou incomplètement ouvert, des marées beaucoup plus élevées aient assailli nos côtes. Aujourd'hui le flot recule. La mer comble les baies et accumule les débris à l'entrée de la Somme. Du roc de craie où végète Saint-Valery, on voit un estuaire vaseux où se traînent quelques chenaux d'eau grise. Des montagnes de galets s'entassent au Hourdel; l'ancien port de Rue est à l'intérieur des terres. La vie maritime s'éteint à l'embouchure de la Somme.

Peut-être n'a-t-elle jamais été bien forte. La Picardie est moins ouverte à la mer que la Normandie ou la Flandre. Ses principales communications furent toujours avec l'intérieur. Encore même faut-il

distinguer. A mesure que les sillons marécageux s'élargissent, les tranches qu'elles divisent parallèlement deviennent plus étrangères les unes aux autres. Le Ponthieu, comme pays, est séparé du Vimeu par la Somme. La Bresle sépare la Normandie de la Picardie, comme l'archevêché de Rouen de celui de Reims, comme jadis la deuxième Lugdunaise de la deuxième Belgique. Le nom de Picard, quel que soit sa signification, ne s'est jamais étendu aux habitants du pays au sud de la Bresle au contraire il s'appliquait et s'applique encore dans l'usage à ceux du Laonnais, du Soissonnais, du Valois1. Union significative, qui n'est pas fondée sur une conformité de sol, mais par un phénomène analogue à celui des Flandres, sur des rapports de position et de commerce. Ce groupement, cimenté déjà dans les divisions de l'ancienne Gaule, s'exprima plus tard par une dénomination plus ethnique que politique, la « nation picarde ». Il y eut là, en effet, un peuple. Il occupait la grande zone agricole qui s'étend le long de la Meuse et de la Sambre jusqu'aux pays de la Somme et de l'Oise. Il tenait les abords de la principale voie romaine. Il parlait des dialectes étroitement voisins. Ses mœurs, sa manière de vivre, son tempérament étaient analogues. Mille dictons rappellent, chez le Picard et le Wallon, un genre d'esprit qui n'existe pas chez le Brabançon ou le pur Flamand. Des contes ou proverbes devenus populaires dans la France entière ont une origine wallonne ou picarde. Ce peuple, demeuré roman, se détache devant le germanisme en physionomie tranchée. Il est fortement lui-même. Pour la France il fut la frontière vivante.

1. Ce n'est que par Louis XI qu'ils ont été administrativement détachés de la Picardie, pour être adjugés au gouvernement de l'Ile-de-France.

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CHAPITRE II

LA PARTIE SEPTENTRIONALE DE LA

RÉGION TERTIAIRE: LAON ET SOISSONS.

STRUCTURE

DE LA RÉGION
TERTIAIRE.

D

ANS l'uniformité des régions de la craie, les pays nettement individualisés sont rares. Il ne s'en offre guère que lorsque l'enlèvement de la couverture crayeuse met à jour des couches plus anciennes, comme c'est le cas pour le Boulonnais et le Bray. Voici pourtant entre les deux zones picarde et champenoise une région qui tranche nettement sur ce qui l'entoure, mais par l'effet de causes contraires. Elle s'annonce du côté de la Picardie vers Noyon, Clermont-en-Beauvaisis; du côté de la Champagne vers Laon, Épernai, Montereau; et il est impossible de ne pas être frappé des différences qui se révèlent aussitôt dans le relief, la coloration, le réseau fluvial, la végétation, et par mille détails locaux. Mais ce n'est pas à un bombement des couches qu'est dû le changement de physionomie; c'est à un enfoncement. La craie plonge en profondeur, et les couches qui viennent affleurer à la surface, au lieu d'être plus anciennes, sont plus récentes. Elles se succèdent, suivant que l'érosion les a épargnées, apportant chacune dans le paysage leur note distincte.

Cette région, bien qu'en saillie dans le relief, est géologiquement la partie la plus déprimée du Bassin parisien, la seule qui ait pu conserver les dépôts tertiaires. Mais leur extension fut autrefois bien plus grande. Tout dépôt que les mouvements du sol avaient porté à un niveau élevé était condamné à disparaître par l'effet des grandes dénudations. Ce qui a résisté n'a pas laissé d'être déchiqueté et morcelé. C'est ainsi que sur les bords, des parties détachées, véritables témoins, précèdent la masse. Celle-ci a été maintenue surtout par des

formations de calcaire marin ou de travertin d'eau douce qui, très dures dans leur partie centrale, ont résisté à l'assaut des courants diluviens venant de l'Est. Ces calcaires, qu'on voit à l'état de massifs isolés dans le Laonnais, de larges plateaux dans le Soissonnais, le Valois et la Brie, ont des origines et des dates diverses. Mais par leur propriété commune de dureté ils ont servi de noyau à la région tertiaire. Ils en constituent l'ossature, en règlent la topographie. Ils sont la barrière dont les eaux ont affouillé le pied. De Montereau à Reims, c'est par un arc de cercle de hauteurs boisées, faisant alterner des cirques et des promontoires, qu'ils se dessinent; à Craonne, à Noyon, à Clermont, c'est par des coteaux isolés, mais de silhouette plus nette, plus fière que les molles croupes auxquelles ils succèdent.

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S

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niveaux de sources

C'est une histoire compliquée, sinon dans l'ordonnance générale, du moins dans le détail, que celle de cette dépression du Bassin parisien, dont le débrouillement depuis Cuvier a occupé des générations de géologues. On la voit tour à tour envahie par des débris argileux apportés Fie. 12. du Massif central, occupée à plusieurs reprises par des sables et des calcaires marins en communication avec les mers de Belgique, couverte tantôt par des lagunes saumâtres, tantôt par des lacs d'eau douce. Quoique naturellement ces formations successives n'aient pas eu la même extension, elles ont souvent empiété les unes sur les autres, car les envahissements étaient faciles sur ces plages amphibies, par lesquelles se terminait un golfe de mers peu profondes. En fait, les formations les plus diverses se superposent en bien des régions, notamment aux environs de Paris. Bien que quelques-unes remontent aux premières époques de l'âge éocène, leur origine est encore relativement assez récente pour que l'usure des âges n'ait pas aboli, en les métamorphosant, les différences de texture et de composition qui les spécialisent. Elles ont ainsi conservé ce qu'on pourrait appeler leur fonction géographique. Comme autant de feuillets intacts, elles traduisent chacune des phases de cette évolution par des formes de relief et par des caractères de végétation.

SUCCESSION DES ASSISES GÉOLOGIQUES ET ÉLÉMENTS DU RELIEF DANS LA RÉGION TERTIAIRE DU BASSIN PARISIEN.

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