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PARTIE

SOISSONNAIS

ET LAONNAIS.

Les considérations géologiques nous conduisent d'elles-mêmes à SEPTENTRIONALE. établir dans la région tertiaire une distinction importante. Le Laonnais et le Soissonnais se différencient assez nettement du Valois et de l'Ile-de-France proprement dite. En effet, les couches géologiques se relèvent sensiblement au Nord-Est de Paris. Le relèvement est assez rapide pour que, de Paris à Laon par exemple, on voie successivement des roches de plus en plus anciennes affleurer à la surface. Aussi, tandis que, dans la partie septentrionale, l'érosion a enlevé les parties les plus récentes, celles-ci subsistent, d'abord par lambeaux, puis par nappes étendues dans la partie méridionale. Dans le Nord de la région tertiaire les étages inférieurs ont seuls résisté et constituent la surface. Dans le Sud, le couronnement supérieur est resté intact 1.

Il en résulte une notable différence d'aspect, dont la mince chaîne boisée qui se déroule au Nord de Villers-Cotterets, entre les platesformes du Valois et du Soissonnais, dessinerait assez exactement la limite. Cette arête s'allonge dans le sens des courants qui ont balayé la surface; mais, épargnée par eux, elle a conservé son couronnement de sables supérieurs et même de meulières de Beauce, c'està-dire les premiers vestiges de formations que l'on ne rencontre largement étalées que tout à fait au Sud de la région tertiaire.

Pourtant, à ne considérer que les plateaux, la physionomie ne changerait guère entre le Valois et le Soissonnais. Dans l'un et dans l'autre cas, la dureté de la roche a façonné la surface en vastes plates-formes. Sur le limon roux qui les recouvre, le blé et aujourd'hui la betterave trouvent un sol à souhait. Mais l'eau n'existe qu'à une grande profondeur; et les villages, dont les noms s'accompagnent parfois d'épithètes significatives', ont-ils dû presque exclusivement choisir leur site au bord des vallées, sur les corniches entaillées dans l'épaisseur des plateaux. Ils s'y sont portés en nombre; on voit leurs maisons serrées en garnir les découpures. Mais les intervalles que laissent entre elles les vallées sont assez larges pour qu'on fasse des lieues sans en rencontrer un seul. De loin en loin quelque grand bâtiment carré signale une de ces fermes typiques, où se centralise l'exploitation agricole de toutes les surfaces ou parcelles qui se trouvent sur le plateau. Ces campagnes ont une certaine majesté dans leur vide, quand les jeux de lumière passent sur leurs moissons à perte de vue. La jachère autrefois y jouait un grand rôle, et la pâture des moutons était la ressource naturelle dans l'intervalle des assole

1. Voir plus haut, fig. 12.
2. Berzy-le-Sec.

ments. Ils produisent encore aujourd'hui l'effet de solitudes, quand on les compare aux deux foyers de population dont l'existence distincte, au Nord et au Sud de l'Ile-de-France, fut un fait de grande. -conséquence historique.

La différence entre ces deux pays limitrophes, comme d'ailleurs entre tous ceux de la région tertiaire, consiste dans les vallées. Celles du Valois sont d'étroits couloirs, serrés entre les rampes du travertin lacustre ou du calcaire marin qui les encadrent jusqu'au bas. Perforées d'anciennes habitations de troglodytes, les roches tombent en escarpements, sur lesquels on voit, à Crépy, grimper les remparts d'une vieille ville. L'eau s'infiltre à travers leurs flancs fissurés;

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VALLÉES DU VALOIS.

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Vallée étroite dont le fond ne se raccorde que par des parois presque abruptes aux plateaux limoneux.

mais sur le fond plat de la vallée brille un ruisseau d'eau bleue, parfois une belle source, tête de la rivière, site naturel d'établissement humain (Nanteuil). Découpées par de petits jardins maraîchers aux approches des villes, herbeuses ailleurs et couvertes de grands rideaux de peupliers, ces vallées offrent un lit fertile; mais entre leurs versants raides et nus une vie variée n'a pu s'épanouir.

Les percées des rivières sont autrement importantes dans le Soissonnais et le pays de Laon. Celle de l'Aisne à Soissons, de la Vesle à partir de Fismes, de la Lette au pied de Coucy, sont de spacieuses vallées auprès desquelles paraissent mesquines les vallées . mêmes de la Marne et de la Seine en amont de Paris. Le travail des eaux, favorisé ici par la nature des couches, est arrivé à un degré de ciselure qui partout festonne et rétrécit les plateaux. Il a été facile aux eaux de se tailler de larges passages à travers les sables et les argiles de l'étage inférieur de l'éocène. Aussi les plateaux, au Nord de l'Aisne, sont-ils de plus en plus découpés; ils s'individualisent en petits massifs (Saint-Gobain), ou se réduisent à de simples buttes (Montagne de Laon). Entre eux les vallées, creusées dans les sables, ont adouci leurs flancs; les éboulis des couches supérieures ont pu s'y maintenir et composer de leur mélange avec les sables ces fertiles terres franches où sont cultivés des fruits, des légumes, la vigne même dans les endroits abrités.

Ici, en effet, grâce aux découpures et aux articulations du sol,

VALLÉES

DU SOISONNAIS.

agit une autre cause de diversité, où le climat se combine avec le relief: c'est l'orientation. Déjà l'éloignement de la mer a diminué un peu la nébulosité, accru légèrement l'intensité des rayons solaires : aussi l'orientation prend une valeur inconnue dans le modelé amorphe de la Picardie crayeuse. Les versants tournés vers l'Est et le Sud-Est sont particulièrement favorisés. Sur les flancs orientaux du Massif de Saint-Gobain, des monts voisins de Laon, des coteaux de Craonne se déroule une ceinture presque ininterrompue de villages, pratiquant sur un sol très morcelé les cultures les plus variées. Tandis que la grande culture règne sur les plateaux, là pullule cette population de petits cultivateurs, horticulteurs ou vignerons, qui est une des créations de nos coteaux. Car, à quelques différences près, on la retrouve

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Vallée harmonieusement développée, à fond humide, à profil adouci et à couronnement régulier. Des prairies dans le bas, des vergers sur les éboulis, des villes ou villages sur les calcaires, enfin de grandes cultures s'y étagent.

sur les pentes orientales des côtes bourguignonnes ou lorraines. Plus loin, au delà de la Montagne de Reims, toute autre culture a disparu devant la vigne; mais les célèbres coteaux, assombris en été par la verdure glauque des ceps, qui s'étendent de Vertus à Ay et dont Épernay est le centre, sont strictement limités aussi à l'orientation Sud-Est. Le lit des vallées est formé par le fond d'argile plastique qui retient les eaux et entretient une végétation épaisse et drue d'arbres et d'herbes. Les eaux que laissent filtrer les calcaires des plateaux et les sables des pentes, s'y rassemblent assez abondantes et assez irrégulières parfois pour nourrir des marécages, qu'il a fallu assécher en leur donnant un écoulement. On voit ainsi, au Sud de la Montagne de Laon, s'allonger, jusque vers Anizy-le-Château, une ligne d'anciens marais, fossé naturel qui a contribué à renforcer la position stratégique de l'ancienne cité épiscopale.

Ce sont, en général, les calcaires qui de leurs plates-formes résistantes constituent le couronnement des vallées. Mais, par endroits, comme dans le Massif de Saint-Gobain, la couverture de sables et grès qui leur succède dans l'ordre chronologique n'a pas été 1. Sables moyens (voir fig. 12).

1

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La succession des terrains est la même que dans le Soissonnais (fig. 14); mais l'érosion, s'exerçant ici avec plus de puissance, a détaché du massif tertiaire un certain nombre de témoins de dimensions inégales, depuis le pilier qui porte la ville de Laon jusqu'au petit massif de la forêt de Saint-Gobain. Sur les flancs très découpés une ceinture de bourgs, villes, châteaux et villages correspond à la bande comprise entre le calcaire grossier et l'argile plastique. En général ils se ramassent à l'orientation du Sud et de l'Est. Avec la plaine crayeuse commence un groupement tout autre, analogue à celui des plaines picardes (voir carte 10).

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ASPECT DES

HUMAINS.

emportée; elle surmonte les larges plateaux agricoles. Avec elle apparaît la forêt, fidèle compagne des sables dans toute l'étendue de la région tertiaire. Elle se montre ici avec ses futaies de hêtres, entre lesquelles se dessinent nettement quelques vallées sèches, mais propres à la culture. Des abbayes, parmi lesquelles celle de Prémontré, d'où partit au Moyen âge la colonisation des marais du Brandebourg, sont l'expression historique de la partie forestière du petit massif. Prémontré, Saint-Gobain, héritier des verriers d'autrefois, sont ÉTABLISSEMENTS nés sur les sables et dans les forêts; Laon s'est fièrement cantonné sur sa montagne isolée, d'où sa cathédrale aux quatre tours, veuve de deux autres, d'inspiration guerrière autant que religieuse, domine au loin la contrée; Soissons s'est étalée comme au fond d'un cirque, dans le plus ample des bassins que dessine la vallée de l'Aisne. Mais la zone de peuplement par excellence est celle qui se déroule sur le bord des plateaux, à la naissance des fertiles talus d'éboulis, c'està-dire dans les conditions les plus favorables pour profiter des divers éléments de richesse locale qui se concentrent sous la main. Entre les prairies de la vallée et les forêts des parties supérieures, s'étagent les vergers, puis les champs, dans un rayon de quelques kilomètres, avec des différences d'altitude qui ne dépassent pas 150 mètres. On ne saurait guère imaginer de pays plus complet, plus harmonique. L'excellence du sol s'y combine avec la présence de matériaux de construction, le bois, et surtout l'admirable pierre calcaire aux vives arêtes, aussi apte aux fines ciselures qu'aux entassements gigantesques, qui ajoute au pays un aspect monumental, devenu inséparable de sa physionomie. C'est elle qui dresse partout, dans les moindres villages, ces maisons sveltes et blanches, auprès desquelles les anciennes masures de torchis et de chaume de la Picardie crayeuse ou de la Champagne devaient sembler humbles et souffreteuses. Avec l'apparence de sculpture que leur donnent les pignons découpés en gradins, elles respirent une sorte d'élégance générale à laquelle répondent la beauté des édifices, la majesté des arbres, la variété des cultures. L'énorme donjon de Coucy, assis au-dessus des pentes de vergers, au bout du promontoire qui surmonte la fraîche et large vallée, est la plus frappante évocation du passé local. C'est une puissance née sur place, du sol et de la pierre dans laquelle elle est taillée, en parenté avec ce qui l'entoure, l'insolente expression d'une large opulence rurale :

REIMS, CAPITALE

HISTORIQUE.

>>

«< Roi ne suis », disait le maître du lieu : « je suis le sire de Coucy. Nous sommes habitués à faire pivoter notre histoire autour de Paris pendant longtemps elle a pivoté entre Reims, Laon, Soissons et Noyon. C'est à la convergence des rivières que Paris a dû progres

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