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de leurs sources, ont frappé leur imagination. Telle est sans doute la raison qui a donné la primauté à la Seine. Elle est, non loin des passages, la première rivière permanente qui sorte d'une belle source, nourrie aux réservoirs souterrains du sol. Cette première douix de la Seine est une surprise pour l'œil dans l'étroit repli des plateaux qui l'encaissent1. Entre ces solitudes, elle est le seul élément de vie; auprès d'elle se rangent moulins, villages, abbayes et forges, s'allongent de belles prairies. Les affluents lui manquent, il est vrai; quelques-uns défaillent en route; mais voici qu'au pied du roc de Châtillon une douix magnifique vient encore subitement la réconforter. Lentement d'abord, comme un gonflement des eaux intérieures, elle sort, pure et profonde, de la vasque qui l'encadre; puis à travers les prairies et les arbres s'accélère vers la Seine, comme pour lui communiquer la consécration divine que lui attribuait le culte naturaliste de nos aïeux.

TRAVERSÉE

ZONE DE PLATEAUX CALCAIRES.

Au pied de Châtillon, le sillon marneux dont l'interposition produit la ligne des sources interrompt un instant la série des plateaux DE LA DEUXIÈME calcaires. Mais, après la traversée de la Vallée 2, une nouvelle bande de calcaires durs se dresse en travers du cours des rivières. Ce sont les roches appartenant aux étages moyen et supérieur des formations jurassiques. Elles constituent le Tonnerrois, le Barrois, et dessinent une nouvelle zone concentrique du Bassin parisien.

Un moment élargies, les vallées se resserrent de nouveau. Ce ne sont plus des talus marneux coiffés de corniches rocheuses, qui les encadrent, mais des escarpements raides, caverneux, parfois d'une blancheur éclatante. Les roches qui bordent l'Yonne à Mailly-leChâteau, la Cure à Arcy, sont perforées d'un labyrinthe de grottes; à Tonnerre, Lézinnes, Tanlay, Ancy-le-Franc elles fournissent les belles pierres dont églises et châteaux ont libéralement usé. Pétries de polypiers, ce sont des roches coralligènes; et, comme celles qui leur font suite de Commercy à Stenay, les tronçons d'un anneau de récifs bordant d'anciennes terres émergées. Mais cette roche éclatante est trop sèche pour que les plateaux y soient fertiles. Une nouvelle bande forestière s'étend ainsi. Elle va des bords de l'Armançon à ceux de la Meuse, de Tanlay à Vaucouleurs, n'interrompant les forêts que pour des champs rocailleux, au bout desquels on retrouve toujours les lignes sombres, et sur lesquels courent des routes solitaires qui semblent sans fin. La forêt de Clairvaux couvre plus de 4000 hectares. Entre l'Ornain et la Meuse, de Gondrecourt à Vouthon-Bas on fait 12 kilomètres sans rencontrer une maison.

1. 471 mètres d'altitude.

2. Voir plus haut, p. 110.

VALLÉES CALCAIRES

DE BOURGOGNE.

Toutefois ces plateaux s'inclinent lentement vers le centre du bassin, et leur aridité s'atténue à mesure. Des lambeaux de grès ferrugineux ou d'argiles, avant-coureurs de la nouvelle zone qui va succéder aux calcaires jurassiques, se répandent de plus en plus nombreux à la surface. Le sol devient plus varié; il prend une teinte roussâtre. Une nouvelle région métallurgique, le pays du fer entre Joinville et SaintDizier, exprime cette transition.

D'ailleurs, même entre les plateaux les plus arides, les vallées sont déjà plus larges et surtout plus voisines les unes des autres. C'est par les vallées que cette région calcaire reste bien bourguignonne. Si sèches, ces roches imprégnées de substances organiques ont pourtant de merveilleuses propriétés de vie. On voit, des moindres interstices dans les escarpements, sortir un fouillis buissonneux; les pierrailles assemblées en talus par les paysans s'enfouissent sous une fine et folle végétation de lianes et de ronces; entre ces rocailles ellesmêmes mûrissent les meilleurs vins. Les substances nutritives de ce terroir, concentrées, il est vrai, dans un étroit espace, communiquent aux plantes une vigueur savoureuse, qui passe aux animaux et aux hommes.

Ce sont déjà maintenant de belles et pures rivières qui, nourries de sources, méandrent sur le fond plat de ces vallées. Là-haut, dans la partie supérieure des versants, quelques taillis ou sèches pâtures annoncent la forêt qu'on ne voit pas : domaine vague que la culture dispute à la friche. Sur les flancs toujours assez raides de la vallée, mais plus bombés quand on a dépassé la formation corallienne, les talus, les croupes, ou les promontoires, ont fourni à l'homme les terrains propices à l'aménagement de ses vignes, de ses fruitiers ou vergers, qu'on dirait, comme le reste, perdus dans la pierraille. C'est le long de la ligne où le niveau de la vallée se raccorde avec le pied des versants que sont établis les villages. Entre eux et la rivière s'étend le tapis des champs de blé et des prairies jusqu'au lit sinueux, mais bien défini, que désignent des files d'arbres. Les eaux et le sol, aussi bien que les diverses zones de culture, tout est nettement délimité.

Les maisons ne se disséminent pas non plus en désordre. Sur les plateaux elles se serrent autour des puits ou fontaines comme les cellules d'une ruche. Mais dans les vallées mêmes, où plus de liberté serait permise, elles restent agglomérées en villages; et ceux-ci, sur la bande qu'ils occupent, se placent de façon à profiter à la fois des champs et des vergers d'une part, et, de l'autre, des matériaux fournis par le bois et la pierre. Hautes et bien bâties, les maisons empruntent au sol jusqu'aux dalles plates ou laves qui, à condition d'être supportées par une robuste charpente en chêne, constituent

la plus solide des toitures. Ces procédés de construction donnent aux villages une sorte d'aspect urbain. Ils se succèdent nombreux dans la vallée, formant comme autant d'unités cohérentes en rapports faciles1. De distance en distance, un bourg un peu plus grand ou une ville se détache de la colline et vient empiéter sur les précieuses terres de la vallée; mais au-dessus ou à peu de distance on reconnait l'éperon ou le promontoire dont la position stratégique a créé le château, le vieil oppidum dont la ville est sortie : ainsi à Bar-surAube, Bar-sur-Seine, Bar-le-Duc, Gondrecourt, etc.

Ce pays bâtisseur a une vie urbaine limitée comme ses ressources, mais ancienne et fortement établie. On ne le soupçonnerait pas, d'après la faible densité générale de sa population. Remarquons toutefois que les ressources qu'il possède en propre et dont il peut disposer en faveur des régions voisines, sont de celles qui nécessitent par leur volume et leur poids un degré avancé d'outillage commercial. Ce sont les bois, les fers, les pierres à bâtir, les vins. Il faut, pour desservir ce commerce, des ateliers de manipulation, des entrepôts, surtout de puissants moyens de transport. De là, les efforts précoces pour développer l'usage des rivières. La batellerie ne put guère dépasser jamais Tonnerre sur l'Armançon, Troyes sur la Seine, Saint-Dizier, au seuil, mais en dehors de la zone des plateaux calcaires. Mais sur l'Yonne et la Cure, le flottage parvint jusqu'à Clamecy et Arcy. Ce sont les villes du bois; comme Joinville, Vassy, Saint-Dizier sont les villes du fer; Auxerre et Tonnerre celles du vin et des belles pierres. Il est vrai que spécialisées dans un genre particulier de travail et de trafic, elles sont des étapes plutôt que des centres. Elles semblent plutôt faites pour transmettre le mouvement que pour en être le but; mais ainsi précisément s'exprime la solidarité naturelle qui unit les différentes parties du Bassin parisien et les complète les unes par les autres.

VIE URBAINE.

L

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E nom de Champagne n'éveille généralement l'idée que d'une vaste plaine de craie. Il y a pourtant, entre cette plaine et les plateaux calcaires que nous venons de traverser, une Champagne humide, mais si coupée d'étangs, de ruisseaux et de forêts qu'elle n'a

1. La toponymie est caractéristique à cet égard. Voir (feuille de la carte d'État-major au 80 000 n° 83, Chaumont) le trajet de la Blaise à travers le calcaire corallien. En moins de 20 kilomètres se succèdent Blaisy (à la source), Juzennecourt, La Chapelle-en-Blaisy, La Mothe-en-Blaisy, Blaise et Guindrecourt-sur-Blaise.

RÉGION

ARGILEUSE.

ARGONNE.

jamais eu de nom générique. Les argiles ferrugineuses, sables et grès qui précèdent dans l'ordre chronologique la craie proprement dite, se déroulent en arc de cercle de la Puisaye à l'Argonne. Sur ce sol imperméable les eaux vagabondent, elles forment des étangs, d'innombrables noues; elles envahissent des forêts basses et fangeuses, salissent de leurs troubles les rivières que les calcaires jurassiques avaient maintenues si pures. Aux reliefs réguliers succède une topographie qui se perd dans la multiplicité menue des accidents de terrain; aux pierrailles et aux vignes, une zone d'humidité verdoyante et bocagère; aux chênes, les bouleaux; à la fine végétation de lianes, une végétation filamenteuse de genêts et bruyères. Les fruitiers se dispersent dans les champs; des lambeaux de forêts traînent un peu partout; et les maisons en torchis, en bois, ou en briques, brillent disséminées dans les arbres.

On ne se doute pas de l'aspect du pays, quand on le traverse suivant les vallées des principales rivières : on ne voit alors que des alluvions étalées en vastes nappes, à peine assombries au loin par des lignes de forêts. Le peu de consistance du sol, incapable d'offrir une grande résistance aux eaux, donne une grande ampleur aux vallées. Celle de la Seine en amont de Troyes, de l'Aube à Brienne, et surtout celle de la Marne entre Saint-Dizier et Vitry, sont de véritables campagnes enrichies par les dépôts limoneux enlevés aux plateaux calcaires. Là s'établirent les centres précoces de richesse agricole. Les parties argileuses de la zone champenoise n'étaient encore que des fondrières fangeuses dont seulement au XIIe siècle les Cisterciens et les Templiers tentèrent le défrichement, tandis que depuis des siècles des populations étaient établies et concentrées dans ces plaines. Celle du Perthois, que traverse la Marne, est, sous ce nom anciennement connu, la première plaine fertile d'ample dimension que l'on rencontre entre le Rhin et Paris. Dans la vallée de la Seine, Troyes est la première grande ville que baigne le fleuve; bien située au contact de régions agricoles et forestières, voisine de la forêt d'Othe qui lui a fourni non seulement les charpentes de ses vieilles maisons, mais de précieux germes d'industrie, elle domine la batellerie supérieure de la Seine. Ces plaines d'alluvions furent les passages par lesquels la Champagne se relie à la Bourgogne et à la Lorraine. La circulation était difficile à travers les fondrières des forêts plates d'Aumont, d'Orient, du Der, du Val, etc., autant qu'à travers celle d'Argonne.

Celle-ci est un pays de même nature. Si, au lieu d'être déprimé, il s'élève en saillie, c'est qu'un mélange de silice a rendu l'argile dont il est constitué assez résistante pour former, sous le nom de gaize,

une sorte de banc glaiseux et compact. A l'Est, les dômes qui surmontent la petite ville de Clermont, ont, par exception, des silhouettes assez vives; le modelé est en général informe. Les versants, boisés comme les sommets, s'élèvent d'un jet. Les eaux ont isolé ce pâté d'argile, en ont pétri les contours, mais n'ont pas réussi à en entamer l'intérieur. Rares sont les brèches qui le traversent. Le défilé des Islettes coupe un long couloir, qu'aucune autre ouverture, pendant cinq lieues, ne dégage. On y chemine entre un double rideau de forêts sur des sentiers gluants et blanchâtres. Des maisons en torchis et poutres croisées, dont les toits en forte saillie ne sont que trop justifiés par le ciel pluvieux, font penser aux loges qu'élevaient les «< compagnons des bois » : charbonniers, tourneurs, forgerons, briquetiers, potiers. On s'imagine volontiers ces figures hirsutes à physionomies un peu narquoises, un peu étranges, telles que Lenain, dans la Forge, les représente, si différentes de ses paysans. Il y avait en effet entre ces hôtes de l'Argonne et les paysans voisins une vieille antipathie nourrie de méfiance. Encore aujourd'hui l'habitant de l'Argonne a conservé l'humeur vagabonde, errante: il circule, émigre en été, exerce des métiers roulants, va louer ses bras au dehors.

Au sortir de l'Argonne, des mamelons écrasés, de laides successions de guérets annoncent la Champagne crayeuse. Cependant une ligne de sources, correspondant à l'affleurement de la craie marneuse de l'étage turonien, fait naître à la lisière des deux régions une rangée de villages, dont l'un est Valmy. Mais ensuite l'eau disparaît sous l'immense filtre de la craie blanche. La contrée change encore une fois d'aspect. Dans l'encadrement des prairies et des rideaux de peupliers, les principales rivières lèchent de larges vallées effacées. Mais dans l'intervalle qui les sépare, rien que des plaines ondulées, dont le petit cailloutis blanchâtre du tuf crayeux forme le sol. Un pli de terrain suffit pour masquer l'horizon; et quand, par hasard, on peut embrasser de grandes étendues, on éprouve un sentiment de vide, car les hommes ont l'air de manquer, comme les eaux.

Que sont donc devenus les ruisseaux et les rigoles si nombreux dans la zone d'amont? Une partie s'est infiltrée avec les eaux de pluies sous les argiles à travers les sables, et a pénétré par des fissures dans le massif de la craie champenoise. Sur toute l'étendue du talus bordier, toute circulation de surface semble confisquée en dehors des grandes rivières. Celles-ci continuent à se grossir des eaux de sources qui affleurent dans leur thalweg; elles augmentent et deviennent navigables. Mais les affluents manquent. C'est seulement après 30 ou 40 kilomètres, vers Somme-Suippe,

CHAMPAGNE
CRAYEUSE.

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