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recouvre, prend définitivement possession du sol. C'est alors que se dessine la véritable Brie, sans épithète. On voit se former sa physionomie opulente et grave dans la régularité des champs, de beaux arbres distribués par files ou par groupes; et ces grands horizons au bout desquels il est bien rare que l'œil ne s'arrête encore à quelque lisière de bois estompé dans la brume.

Ce fut une conquête agricole, de grande conséquence pour le développement de la région tout entière, que la mise en valeur de la Brie. Il fallut qu'un aménagement présidat à l'écoulement des eaux, triomphât des obstacles opposés par l'horizontalité fréquente du niveau; que par des cavités naturelles ou faites de main d'homme, par des rus artificiels on réussît à drainer et à égoutter le sol : opérations sans lesquelles la Brie serait restée ce qu'était encore il y a quarante ans le Gâtinais, une terre misérable où des manouvriers agricoles vivaient dispersés dans l'air lourd et malsain des étangs. Nous ne savons à quelles générations il faut faire honneur des premiers travaux d'assainissement, qu'encouragea évidemment la présence d'une couche épaisse de limon fertile. Ce fut, en tout cas, à une date très ancienne, puisque déjà un peuple gaulois, celui des Meldi, s'était constitué dans la partie occidentale du plateau.

La population s'y répartit à l'état disséminé, mais d'après un mode original. Ce qui représente ici l'unité constitutive de groupement, c'est la grande ferme carrée, bien plus fréquente que dans les plaines picardes où la rareté des eaux fait dominer le village. Durant des milliers d'hectares, au Sud et au Nord de Coulommiers, il n'y a pas d'autre forme d'établissement humain que ces fermes qui se répartissent à 7 ou 800 mètres de distance, au milieu des champs, rarement au bord des routes, chacune avec ses chemins d'exploitation. Un bouquet d'arbres ou un petit verger, des rangées de meules coniques les signalent. Les quatre murailles nues de l'enceinte. n'avaient autrefois qu'une seule ouverture; quelques-unes étaient de vraies citadelles, entourées de fossés, garnies de tourelles, capables de soutenir un siège. Cet aménagement stratégique n'est plus qu'une curiosité du passé; il disparaît; mais, malgré le prosaïsme nécessaire qui a comblé les fossés, percé plus d'ouvertures, le contraste subsiste entre l'enceinte muette et la cour grouillante1. Au centre, le fumier où picore la volaille; autour, les étables, les bergeries et la maison, c'est-à-dire l'habitation où se maintenait rigoureusement autrefois la hiérarchie de cette république agricole. Là se groupait en deux tablées, l'une pour les fermiers, l'autre pour le personnel de manouvriers, bergers et ouvriers agricoles, le peuple de la ferme. C'était 1. Voir, par exemple, le tableau de N. Lépicié au Musée du Louvre (no 549).

VALLÉES

DE LA BRIE.

jadis un peuple attaché en permanence à la ferme, dont a tête et les bras mettaient en valeur les 100 ou 150 hectares, qui dépendent, soit réunis, soit morcelés, de ce centre d'exploitation. Cette physionomie rurale de la Brie se modifie aux approches de Paris; elle s'ennoblit à mesure que le faisceau des vallées se resserre et qu'entre elles recommencent à se montrer les grandes forêts, conservées pour la chasse et la vie seigneuriale.

Côteaux de l'Hautie

Dans ce massif compact les courants n'ont pratiqué que des vallées rares, mais de plus en plus profondes et sinueuses. Par le large couloir d'Épernay, taillé dans les sables, la Marne s'enfonce entre les calcaires et travertins où, comme ses affluents, elle s'imprime en vigoureux méandres. Des châteaux, des fertés ont ainsi trouvé, sur les parois qui bordent immédiatement l'alluvion, des sites favorables. Mais ce qui, à partir de ChâteauThierry, caractérise plus encore ces vallées briardes, c'est, conformément à la pente géologique, l'apparition des couches supérieures, que constituent des gypses, puis

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Calcaire de Beauce

Sables de Fontainebleau
Travertin de Brie

d Argiles vertes

C Gypse

6 Travertin de-StOuen

a Calcaire grossier

FIG. 20.

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SUCCESSION DES ASSI

TRANCHES AFFLEURENT SUR LE
FLANC DES VALLÉES A PARTIR
DE CHATEAU-THIERRY, DANS LA
RÉGION PARISIENNE.

SES GÉOLOGIQUES DONT LES des marnes et un cordon de glaises et argiles vertes, surmonté par le calcaire et les meulières de Brie. Les flancs des vallées montrent dès lors un aspect plus varié. Le soubassement de calcaire grossier se déroule en talus raide et uniforme, rayé de champs; mais au-dessus, dès qu'affleurent les bandes de gypse et d'argile, le modelé change, il s'évase en cavités douces où trouve à se nicher, avec ses vignes et ses vergers, la petite culture.

Désormais le type de la vallée parisienne est fixé. Cette bande argileuse, déroulée à flanc de coteau, accompagne fidèlement le profil de toutes nos collines; l'œil cherche instinctivement, dans la région parisienne, les peupliers qui la signalent. Elle est peu épaisse, mais singulièrement continue. Comme elle trace sur son parcours un niveau d'eau et de sources, elle constitue une des lignes les mieux caractérisées d'établissements humains. Parfois, dans les carrières de gypse si fréquentes aux environs de Paris, on voit le contact de ces argiles se déceler par des teintes finement verdâtres qui se mêlent au gris de la roche. Le plus souvent on ne peut que les deviner aux touffes d'arbres, aux rangées de villages qui suivent la zone à proximité.

La seule différence entre la vallée briarde au-dessous de Château-Thierry et celle des environs de Paris, c'est que, dans la Brie

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parisienne elle s'étale généralement à flanc de coteau. C'est que près de Paris l'édifice géologique est resté plus complet; il a conservé le couronnement des couches supérieures qui là-bas ont disparu de la surface.

La Marne a franchement entamé le massif de la Brie: la Seine a cherché à s'échapper vers le Sud-Ouest. Elle s'est détournée pendant 65 kilomètres de sa direction normale. Elle a même abdiqué temporairement sa forme de vallée dans le large sillon qui borde le pied du Massif tertiaire et que les suintements de la craie, de concert

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LE CIRQUE
PARISIEN.

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okil.

CARTE 21. DÉBLAIEMENTS OPÉRÉS PAR LES EAUX DANS LA RÉGION PARISIENNE. Les alluvions anciennes retracent les chenaux successifs par lesquels la Marne a débouché dans le cirque parisien; un de ces chenaux est suivi, à partir de Claye, par le canal de l'Ourcq.

Les sables supérieurs (sables de Fontainebleau) ont été réduits, au Nord de la Seine, à de minces bandes, qui forment les coteaux boisés de Dammartin (Goelle) entre l'Ile-deFrance et le Valois, ceux de Montmorency et du Vexin. Mais, au Sud, leur niveau sensiblement plus bas les a mieux protégés, et ils impriment leur physionomie au paysage. L'Oise a largement déblayé les sables et argiles au Nord de Luzarches; mais, à partir de Beaumont, elle se resserre dans les calcaires et fixe à proximité de Paris les passages vers l'Ouest (Pontoise).

avec les inondations de la rivière, transforment périodiquement vers la fin de l'hiver en une plaine noyée. Il fallut à la Seine la poussée de l'Yonne, le choc de la ligne directrice des grands courants du Morvan, pour qu'elle se décidat à creuser, dans l'extrémité de la Brie, de Melun au cap de Villeneuve-Saint-Georges, une vallée plus courte, mais analogue à celle de la Marne.

Ramenées ainsi l'une vers l'autre, les deux rivières ont tâtonné pour se rencontrer. Des traînées d'alluvions anciennes montrent les

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issues successives par lesquelles elles ont communiqué. La Seine a contribué à déblayer la grande plaine qui s'ouvre au Nord du débouché de Villeneuve-Saint-Georges. Mais elle y a été puissamment aidée par la Marne '. Il est impossible de ne pas être frappé de la prépondérance qui appartient aux grands courants de l'Est et du Nord-Est, dans le déblaiement de ce qui est devenu la dépression parisienne (30-20 m. d'altitude absolue). La Marne, secondée par l'Ourcq, a fait irruption par Claye et Gagny et déblayé au Nord des coteaux de Vaujours et des collines d'Avron, de Romainville et de

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CARTE 22. TYPE DE GROUPEMENT DES ENVIRONS DE PARIS (CÔTE DE SANNOIS). Cette colline, orientée E. S. E.-O. N. O, dans la direction des courants qui ont déblayé la région tertiaire, représente un des minces lambeaux de couches supérieures (voir fig. 20) qui ont subsisté au Nord de la vallee de la Seine. Les découpures qui festonnent les flancs sont entaillées dans le gypse. Cormeilles et Montigny ont leur centre (église) au niveau de la ligne de sources.

Montmartre, la dépression qui s'appelle la Plaine de Saint-Denis. Le mince arc de cercle des coteaux de Vaujours et de Montfermeil s'interpose, laminé par les courants, entre cette plaine d'alluvions et l'anse abritée dans laquelle les remous laissèrent tomber les sables et graviers de la station préhistorique de Chelles. Puis, par le détroit de Nogent, la Marne vint mêler son champ d'action à celui de la Seine. Avant de fixer son confluent à Charenton, elle a poussé jusqu'entre Sucy et Bonneuil un méandre aujourd'hui atrophié, mais dont la trace est visible. Confondant enfin leurs efforts, les deux courants ont largement entaillé une vallée commune, qui ne se ferme qu'à 35 kilomètres de leur confluent, devant les coteaux de l'Hautie, dont l'obstacle contient et dirige vers le fleuve principal le cours de l'Oise.

La vallée a pris dès lors la forme et les proportions d'un grand

1. La topographie de la région parisienne est admirablement éclairée par la carte géologique Paris et ses environs, à l'échelle de 1: 40 000 (en 4 feuilles), qu'a publiée en 1890 le Service de la Carte géologique détaillée de la France (Paris, Baudry).

cirque. La Seine y promène ses méandres. Au Nord, l'horizon est accidenté par les étroites rangées des collines ou par les buttes qu'ont respectées les courants. Au Sud, règne la ligne continue à laquelle la Seine appuie ses puissants méandres. Des hauteurs s'y rattachent et s'allongent en forme de terrasses entre les sinuosités du fleuve. Le spectacle de l'ample cirque revient ainsi successivement à SaintCloud, Saint-Germain, Andrésy, toujours le même dans son ordonnance générale, mais varié dans le détail. Les rampes qui bordent l'ouverture et le sommet des méandres ménagent des abris qui, dans les replis de cette vallée très déprimée, suffisent à créer, aux orientations favorables, de petits climats locaux. L'empereur Julien parle des vignes et des figuiers qu'il y avait vu cultiver; il les y verrait encore.

11. LA VALLÉE DE L'OISE DANS LA RÉGION

PARISIENNE

L

'OISE, dans ce faisceau de rivières, a une physionomie à part. Depuis Compiègne jusqu'au moment où, au pied du roc de Beaumont, elle pénètre dans les calcaires, son cours est généralement tracé à travers des argiles et des sables qui donnent à la vallée un aspect tout autre. C'est qu'en effet les terrains qui dominent dans cette vallée sont les couches meubles situées à la base des formations éocènes, qui se superposent immédiatement à la craie. L'Oise a établi cette section de son cours dans une sorte de charnière qui suit à peu près le contact de la craie blanche et des terrains tertiaires.

On se souvient que nous avons signalé en Picardie l'existence d'une série d'ondulations par lesquelles la craie se relève et s'enfonce alternativement: après l'anticlinal du Boulonnais, le synclinal de la vallée de la Somme, enfin l'anticlinal du Bray. L'extrémité orientale de ces accidents est traversée à plusieurs reprises par le cours de l'Oise. Lorsque ce sont les voûtes anticlinales de ces ondulations dont le prolongement croise la vallée, le bombement crayeux affleure à la surface, et immédiatement au-dessus de lui les sables et les argiles qui le suivent dans la série chronologique. Ce cas se reproduit plusieurs fois entre le confluent de l'Aisne dans l'Oise et celui de l'Oise dans la Seine: d'abord en face de Compiègne, puis en face. de Pont-Sainte-Maxence; enfin entre Précy et Beaumont-sur-Oise. Chaque fois, le phénomène se traduit par un élargissement anormal de la vallée et l'apparition d'une dyssymétrie qui est une surprise pour le regard. Tandis qu'à gauche le net dessin du relief et les couronnements boisés ne cessent pas d'indiquer la présence du Massif

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