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Massif central, de la Bretagne et du Sud-Ouest de l'Angleterre. Il semble qu'ensuite, pendant de longues périodes, les forces internes soient restées en repos. Vers le milieu de la période tertiaire, elles se réveillèrent; et c'est alors que de nouvelles contractions produisirent les plissements des Pyrénées, des Alpes, des Apennins, etc. Ces derniers accidents affectèrent surtout la région voisine de la Méditerranée; mais leur contrecoup se fit sentir sur la partie contiguë de l'Europe qui avait déjà subi jadis l'assaut des forces internes. Ici, toutefois, comme l'effort vint se heurter à des masses depuis longtemps consolidées et qu'un tassement prolongé avait rendu moins plastiques, il se traduisit, non par des plissements nouveaux, mais par des dislocations et des fractures. Ces fractures accompagnées de pressions latérales eurent pour résultat de surélever certaines parties de la surface, tandis que d'autres s'affaissèrent.

On distingue ainsi, sur notre territoire, deux types de structure. L'un est la zone d'anciens massifs qui se succèdent de la Bohême au pays de Galles, soit par le Massif rhénan et l'Ardenne, soit par les Vosges, le Massif central et l'Armorique, fragments de la grande chaîne dressée à la fin des temps primaires. Entre ces piliers restés debout, de grandes surfaces, comme privées de support, ont cédé à un mouvement prolongé d'affaissement. On voit ainsi entre les pointements des anciens massifs s'étendre des aires d'enfoncement: tantôt des bassins comme ceux de Souabe, de Paris, de Londres; tantôt une fosse comme la vallée du Rhin. La mer, qui occupait jadis ces dépressions, ne les a pas complètement évacuées. La Manche, la mer du Nord interrompent, par transgression, la continuité d'anciens massifs. Mais la nappe dont elles recouvrent le socle continental est mince. Ce sont des mers à fonds plats, dont les flots dissimulent sous des profondeurs inférieures à 200 mètres une partie du bassin de Paris, de celui de Londres, du Massif armoricain.

L'autre zone est celle qu'occupent les chaînes de plissements récents qui s'allongent le long de la Méditerranée, en partie aux dépens du lit de méditerranées antérieures. En longues guirlandes se déroulent les chaînes élevées, aériennes : de Berne, Grenoble, Pau, on les voit, par un temps favorable, s'aligner sous le regard. La destruction s'exerce sur elles avec une activité à peine amortie1. Les chaines cou

1. Toute région en relief est exposée à une destruction rapide. La gelée désagrège les roches les plus résistantes; les glaciers usent leurs bords et leur lit; la force des eaux, excitée par la pente, ravine les flancs des montagnes, en arrache des blocs qui, réduits par le frottement à l'état de galets, puis de sable et de boue, sont entraînés au loin et forment des plaines de sédiment. Lorsque ce travail de destruction s'est prolongé pendant des périodes géologiques, l'usure est telle que les anciens massifs montagneux ont un aspect émoussé et que leur niveau se rapproche de celui des plaines. La Bretagne offre, chez nous, le meilleur type de cette topographie. Au contraire, dans les chaines d'origine relati

rent en général parallèlement aux rivages; ou bien, comme les Pyrénées orientales, elles sont brusquement, en pleine hauteur, interrompues par eux. La mer se creuse à leur pied en fosses profondes;

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Cette carte montre le contraste des deux types généraux de structure qui se rencontrent en France. L'ancienne continuité des massifs archaïques, entre lesquels se sont enfoncés des bassins, se décèle par des pointements isolés. La continuité de la zone de plissements récents se marque par des traits qui jalonnent l'intervalle entre les Alpes et les Pyrénées. des abîmes de plus de 2 000 mètres sont, entre Nice et Toulon, aussi bien que sur la côte méridionale du golfe de Gascogne, tout voisins du littoral. Dans les parties que la mer a délaissées depuis les derniers temps géologiques, la nature des dépôts indique souvent des profondeurs considérables; la faune fossile diffère entièrement de

vement récente, comme les Alpes, les formes sont hardies et élancées, parce que la destruction n'a pas eu le temps d'accomplir toute son œuvre. Dans le premier cas la lutte est presque arrivée à son terme; dans le second, elle est en pleine énergie.

HARMONIE

ET ÉQUILIBRE

DES PARTIES.

celle des anciennes mers qui ont envahi le bassin parisien. Il est visible que la nature a travaillé dans ces deux régions sur un plan différent. La diversité actuelle de physionomie est l'avertissement de diversités invétérées et séculaires.

Nous ne pousserons pas plus loin, pour le moment, ces comparaisons. On voit que la structure de la France n'a rien de l'unité homogène qu'on se plaît parfois à lui attribuer. Le Massif central, par exemple, ne peut être considéré comme un noyau autour duquel se serait formé le reste de la France. De même que la France touche à deux systèmes de mer, elle participe de deux zones différentes par leur évolution géologique. Sa structure montre à l'Ouest une empreinte d'archaïsme; elle porte, au contraire, au Sud et au Sud-Est, tous les signes de jeunesse. Ses destinées géologiques ont été liées pour une part à l'Europe centrale, pour l'autre à l'Europe méditerranéenne.

Mais l'individualité géographique n'exige pas qu'une contrée soit construite sur le même plan. A défaut d'unité dans la structure, il peut y avoir harmonie vivante; une harmonie dans laquelle s'atténuent les contrastes réels et profonds qui entrent dans la physio1 nomie de la France.

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Cette harmonie est en effet réalisée. Elle tient surtout à la répartition suivant laquelle se coordonnent, en France, les principales masses minérales 1. Les massifs anciens avec leurs terres siliceuses el froides, les zones calcaires au sol chaud et sec, les bassins tertiaires avec la variété de leur composition, se succèdent dans un heureux agencement. Les massifs ne sont pas, comme dans le NordOuest de la Péninsule ibérique, concentrés en bloc. L'Ardenne, l'Armorique, le Massif central, les Vosges, alternent avec le bassin parisien, celui d'Aquitaine, celui de la Saône. En vertu de cette dispo

1. La qualité des sols tient à leur composition minéralogique. Les roches primitives et primaires (granits et schistes) engendrent par leur décomposition des sols pauvres en chaux et en acide phosphorique, plus favorables, tant qu'ils ne sont pas amendés, aux bois et aux landes qu'aux cultures. Les terrains de l'époque secondaire, parmi lesquels les calcaires dominent, sont souvent trop secs (Causses, Champagnes), mais généralement assez riches parmi eux, le calcaire coquillier (Lorraine) et le lias sont regardés par les agronomes comme donnant des terres naturellement complètes ». Les terrains tertiaires se distinguent par une grande variété, qui est avantageuse soit pour la formation des sources et le mélange des cultures, soit pour l'abondance des matériaux (argile plastique, calcaire et gypse des environs de Paris). Quelques sols, il est vrai, sont très pauvres (sables de Fontainebleau argile à silex); mais d'autres sont très fertiles, comme les molasses d'Aquitaine; ou privilégiés par les multiples ressources qu'ils offrent à l'homme, comme le calcaire grossier parisien. Les alluvions fluviatiles ou marines doivent souvent une grande fertilité au mélange d'éléments dont elles se composent (Val de Loire; Ceinture dorée en Bretagne). — Nous aurons maintes fois, dans le cours de ce travail, à mentionner ces terrains et d'autres encore nous chercherons toujours à en expliquer les caractères; mais pour les détails qui ne sauraient trouver place ici, le lecteur pourra se référer à la Géologie agricole d'E. Risler (Paris, Berger-Levrault, 1884-1897, 4 vol.), et notamment au chapitre xix du tome quatrième (Terres complètes et terres incomplètes).

sition équilibrée, aucune partie n'est en état de rester confinée à part dans un seul mode d'existence.

Partout, sur la périphérie des différents groupes

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entre mon

tagne et plaine, terres froides et terres chaudes, bocage et campagne, bon et mauvais pays, éclatent des contrastes dont s'est emparé et qu'exprime avec sûreté le vocabulaire populaire. Si les hommes ont saisi ces différences, c'est qu'elles les touchaient de près, qu'elles se traduisaient en réalités pratiques. Ces réalités, c'était pour eux la manière de se nourrir, de se loger, de gagner sa vie. Suivant que le sol est calcaire ou argileux, pauvre ou riche en substances fertilisantes, suivant que l'eau se ramasse en sources, ou court en mille filets à la surface, l'effort de l'homme doit se concerter autrement. Ici il se livrera aux cultures de céréales; là il combinera avec une agriculture plus maigre un peu d'élevage, ou un peu d'industrie; ailleurs il saura pratiquer l'art de diriger et de rassembler ces eaux diffuses qui semblaient vouloir échapper à son action. Tout cela s'exprimera pour lui dans un nom : celui d'un «pays » qui souvent, sans être consacré par une acception officielle, se maintiendra, se transmettra à travers les générations par les paysans, géologues à leur manière. Le Morvan, l'Auxois, la Puisaye, la Brie, la Beauce et bien d'autres correspondent à des différences de sol.

Ces pays sont situés, les uns par rapport aux autres, de façon à pouvoir recourir aux offices d'un mutuel voisinage. Le bon pays est tout au plus à quelques jours de marche du pays plus déshérité, dont l'habitant a besoin d'un supplément de gains et de subsistances. Celuici peut trouver à sa portée les ressources qu'en d'autres contrées il faudrait aller chercher bien loin, avec moins de certitude, avec plus de risques. La France est une terre qui semble faite pour absorber en grande partie sa propre émigration. Une multitude d'impulsions locales, nées de différences juxtaposées de sol, y ont agi de façon à mettre les hommes à même de se fréquenter et de se connaître, dans un horizon toutefois restreint.

Plus on analyse le sol, plus on acquiert le sentiment de ce qu'a pu être en France la vie locale. Aussi des courants locaux, facilement reconnaissables encore aujourd'hui, se sont formés spontanément à forgets la faveur de la variété des terrains. Leurs buts sont rarement éloignés : marchés, foires ou fêtes dans le voisinage, tournées périodiques aux époques de morte-saison, enrôlements au temps des moissons. Mais ces dates attendues et espérées prennent place dans les préoccupations ordinaires de la vie. Les différences qui sont mises par là en rapport ne sont pas de celles qui ouvrent des horizons lointains; ce sont des contrastes simples et familiers, qui s'expriment par dictons, pro

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PASSAGES

DE CIRCULATION

GÉNÉRALE.

verbes ou quolibets. Malgré tout il en résulte une ventilation salubre. On est moins étranger l'un à l'autre. Il se forme un ensemble d'habitudes dont s'est visiblement imprégnée la psychologie du paysan

de France.

Des courants généraux se sont fait jour à travers la foule des courants locaux. Car la vie générale a trouvé aussi des facilités dans la structure de la contrée. Elle s'est frayé des voies à la faveur des seuils qui séparent les massifs, et des dépressions qui longent les zones de plissement. La vallée du Rhône, sur le bord extérieur des Alpes, le couloir du haut Languedoc sur le front septentrional des Pyrénées, rentrent dans cette seconde catégorie. A la première appartiennent les seuils qui, entre les Vosges et le Morvan (Bourgogne), entre le Limousin et l'Armorique (Poitou), séparent les anciens massifs.

Si remarquables dans l'économie générale de la contrée, ces seuils ne sont en réalité que les parties surbaissées de rides souterraines qui rattachent ici les granits des Vosges à ceux du Morvan, là ceux du Massif central à ceux de la Gâtine vendéenne. Les dépôts sédimentaires qui les recouvrent dissimulent cette connexion, que trahissent seulement, en Bourgogne comme en Poitou, quelques pointements isolés au fond des vallées. Il aurait suffi que l'érosion, qui sur tant d'autres points a débarrassé les terrains primitifs de leur couverture sédimentaire, poussât un peu plus avant son œuvre pour que la liaison granitique qui existe souterrainement se poursuivît au grand jour. Qu'en serait-il résulté pour les communications, privées de la facilité que les dépôts calcaires ménagent à la circulation? Sans doute les relations entre les hommes seraient devenues plus malaisées. Peut-être les voies du commerce eussent-elles pris d'autres directions. Assurément les séparations seraient restées plus fortes entre le Nord et le Sud. Cela n'a pas eu lieu; et l'on voit ainsi comment une circonstance, qu'on peut qualifier de secondaire au point de vue de l'évolution géologique, est devenue capitale au point de vue de la géographie humaine.

Mais une réflexion doit nous retenir de pousser plus loin. Les rapports dont il vient d'être parlé supposent dans une région un certain degré de vie générale. Or, comment naît et s'éveille une vie générale, c'est ce que nous n'avons pas examiné encore. Nous sommes amenés à cette question.

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