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se mamelonne, se couvre d'arbres, soit en haies le long des champs, soit en groupes autour des mares, plutôt qu'en forêts. L'œil est déconcerté par l'affleurement de couches diverses, par les différences de produits et de cultures; tantôt terres grasses et fortes où croît le froment, tantôt maigres varennes ou même brandes. Cette diversité se traduit par l'incertitude du modelé, un certain désordre de formes. Autant la viabilité paraît simple sur les plateaux calcaires, autant elle se morcelle et se complique ici; ce sont partout petits sentiers, tracés capricieusement au gré de l'éparpillement des fermes sur cette surface où nulle part ne manque l'eau. Mais c'est une circulation menue, rendue difficile par la nature argileuse des terrains : au lieu des rapides carrioles des plaines calcaires, de petites charrettes traînées par des ânes en sont le véhicule le mieux approprié. Ajoutez à ces traits les mantes à capuchon du costume des femmes, les intonations lentes et un peu chantantes du parler et vous avez quelque chose d'archaïque ou plutôt d'un peu vieillot, qui se dégage comme une impression d'ensemble du pays et de ses habitants.

L'aspect général du pays est donc difficile à définir; pourtant, dans ce curieux mélange, c'est l'abondance d'arbres qui domine. Tel est bien le trait que semble avoir saisi l'instinct populaire. Le nom de Boischot (de boschetum), synonyme de Bocage, est le signalement le plus caractéristique qu'on en puisse donner. Comme toujours le langage a saisi ces distinctions.

Dans ces traînées de sables granitiques qui forment des brennes et des brandes aux principaux débouchés de rivières, dans ce modelé puissamment fouillé par les eaux, s'exprime la dépendance de la contrée envers le Massif central. Partout se multiplient les signes de transition. De quelque côté qu'on se tourne, tout indique indécision et mélange. Le Massif lui-même s'atténue vers le Nord, il expire souvent par une pente insensible. Les noms historiques de marche limousine, marche poitevine expriment l'effacement de limites. La Sologne se répète dans le pays d'étangs et de bois qui s'étend entre la Loire et l'Allier.

Seul, parmi ces pays d'affinités incertaines, le Berry a son assiette naturelle, son caractère régional marqué. Mais il a beau occuper une position géométriquement centrale par rapport à l'ensemble de la France, il marque la fin, et non le centre d'une région. A peine sortis du Massif central, l'Indre et le Cher dévient vers l'Ouest le Berry penche avec eux vers la Touraine et le Poitou. Bourges, Tours et même Poitiers sont plus naturellement liés ensemble que Bourges et Orléans. Du côté du Nord, le Berry s'est trouvé séparé de la Loire par

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des contrées boisées, de circulation difficile, Sancerrois et surtout Sologne. Ce n'est que partiellement et par un seul côté qu'il touche à la Loire. C'est au contraire avec l'Ouest que l'unissent les relations, les anciens pèlerinages, les affinités de dialectes, probablement aussi les affinités ethniques. Il est le vestibule de cette région où les monuments mégalithiques, dolmens ou menhirs, vont se multiplier.

Historiquement c'est entre la Bourgogne et l'Aquitaine qu'il a servi de passage 2; les plus anciennes voies sont celles qui, profitant des plates-formes calcaires, le traversaient en diagonale de l'OuestNord-Ouest à l'Est-Sud-Est. Par là son rôle n'a pas été insignifiant; mais il a été autre que celui qui semble résulter de sa position géométrique. A mesure que d'autres courants ont prévalu, le Berry s'est trouvé relégué sur une voie de traverse; il a cessé d'occuper une des voies principales. Cet isolement relatif a nui à son développement. Son activité, si considérable dans la Gaule ancienne, s'est ralentie peu à peu. Le livre est resté ouvert à l'un de ses premiers feuillets.

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U fond du Vivarais, dans une des contrées les plus étranges de la France et du monde, vaste plate-forme herbeuse toute hérissée de cônes et de pitons phonolithiques, dépassant 1 500 mètres, naît le premier ruisseau de la Loire. Du haut du cône élancé qui lui donne naissance on verrait se dresser la cime provençale du mont Ventoux; on n'est qu'à 120 kilomètres de la Méditerranée. L'hiver, ces pâturages de laves ou ces croupes arénacées de granit disparaissent sous d'épais tapis de neige. En automne et au printemps, de furieux combats s'y livrent entre les vents. Du Sud-Est viennent les grands orages d'automne qui produisent des crues terribles vers la vallée du Rhône, et dont les éclaboussures atteignent la Loire et l'Allier; de l'Ouest, les vents humides qui, d'une bouffée subite, peuvent engendrer des pluies générales, de brusques fontes de neiges. C'est un laboratoire de phénomènes violents. Comme il n'y a guère plus de 45 kilomètres entre les sources de la Loire et de l'Allier, les deux rivières en ressentent presque simultanément les effets.

1. Sur les dialectes, voir Hipp. Fr. Jaubert, Glossaire du centre de la France, 1864, 2o éd. et 1869 (supplém.).

2. La présence d'une colonie des Bituriges Cubi à Bordeaux est l'expression de ces anciens rapports. Pour les routes qui se reliaient à Bourges, voir la carte du réseau des voies romaines, qui est insérée à la fin de cette étude.

La Loire en dévale par des pentes très rapides '. Entre les gorges où successivement elle s'encaisse jusqu'à son entrée dans le Forez, elle se donne à peine, dans quelques petits bassins comme celui de Bar, l'espace nécessaire pour calmer son cours, amortir sa rumeur de torrent, étendre des grèves dans la concavité des méandres. Partout l'érosion s'est exercée avec d'autant plus de force que les gneiss et granits que traversent la Loire et l'Allier sont peu perméables, et qu'ainsi l'effort intact du ruissellement attaque tous les matériaux moins résistants qui s'offrent à lui. Les marnes de formation lacustre oligocène qui s'échelonnent le long de leur cours, surtout les débris des éruptions volcaniques qui jusqu'à la Limagne et jusqu'au Forez encombrent leurs vallées, voilà l'inépuisable masse de matériaux que tantôt lentement, tantôt par soubresauts, la Loire finit par entraîner jusqu'à la mer.

C'est séparément que les deux fleuves jumeaux, la Loire et l'Allier, l'un au débouché du Forez, l'autre à celui de la Limagne, entrent dans le Bassin parisien. Une longue mésopotamie, formée de sables et argiles siliceux, les tient encore longtemps séparés; non sans laisser leurs vallées s'élargir en grandes prairies où paissent des bœufs blancs. Le paysage est modifié à Digoin, Decize, Saint-Pierrele-Moutier transition entre la physionomie de la région tourmentée dont ils sortent et celle de la région plus paisible où ils vont entrer. Toutefois le régime reste ce que l'ont fait les conditions d'origine. Les deux rivières, entre leurs rideaux de saules, peupliers et oseraies, se réduisent parfois à des filets limpides. Mais dans ce même lit on peut voir, si quelque bourrasque a frappé le Vivarais et les Cévennes, une trombe d'eau noirâtre se précipiter, égale pour quelques heures au débit moyen du Danube.

Le fleuve, définitivement formé au Bec d'Allier, entre comme un personnage étranger dans le Bassin parisien. La pente, l'indécision. de son lit, les scèneries qui l'encadrent, jusqu'à la teinte gris-clair de ses eaux, contrastent avec les rivières du groupe de la Seine. Dans sa traversée, de Decize aux Ponts-de-Cé, il a plus de 400 kilomètres à parcourir; et néanmoins il ne perd jamais sa marque d'origine. Du Bec d'Allier à Orléans sa pente dépasse encore notablement celle que conserve entre Laroche et Montereau le plus rapide des affluents de la Seine. C'est toujours le fleuve à lit mobile, sorte de grève mouvante qui va des montagnes à la mer. Dans les grandes crues, le fond même du lit s'ébranle. En temps ordinaire chaque remous, chaque tourbillon entraîne quelques particules de vase ou de sable. Les

1. En moyenne 4 m. 50 par kilomètre entre la source et Roanne.

grèves elles-mêmes, qui paraissent oubliées par les courants paresseux, se désagrègent et s'égrènent silencieusement au fil des eaux. Elles coulent peu à peu vers la mer; et les vases qui jaunissent la surface de l'Océan jusqu'à Noirmoutiers et qui se prolongent même jusqu'à Belle-Isle, indiquent le terme final du travail de transport, les substructions du futur delta qu'il est en train d'édifier.

Un reste des énergies torrentielles que déchaîna la surrection du massif survit dans la physionomie de ce fleuve. Pendant plus de la moitié de son cours, jusqu'à Briare1, la Loire conserve la direction qui guida vers le Nord les torrents des âges miocènes; elle semble leur héritière directe. Pourtant elle n'a pas suivi jusqu'au bout leurs traces. Celles-ci, par des traînées de sables granitiques, se prolongent vers le Nord, de façon à atteindre la Seine aux environs de Paris. La dépression occupée avant eux par le vaste lac qui déposa les calcaires de Beauce, leur avait frayé la voie. Il paraissait naturel qu'à son tour le fleuve continuât à s'y conformer. Il y était invité par les grandes lignes générales de pente qui, entre Briare et Montargis, continuent à s'incliner vers le centre du Bassin parisien. Aucun obstacle de relief ne se dresse entre son lit et celui des affluents de la Seine; l'espace intermédiaire est une plate-forme presque unie; si bien qu'il a été facile de réparer la mutilation du réseau hydrographique et de restituer par des canaux la continuité fluviale interrompue. Cependant, la Loire, infidèle à la pente si marquée que décèle la différence d'altitude entre son niveau à Briare (130 m.), et celui du Loing à Montargis (90 m.), sur un intervalle d'environ 40 kilomètres, a été détournée et a échappé à l'attraction de la Seine.

D'abord le divorce ne semble pas définitif; c'est par une légère déviation que la Loire s'écarte, de Briare à Orléans. Cessant de couler suivant l'orientation des failles qui du Sud au Nord ont découpé la partie orientale du Massif central, elle s'incline légèrement vers le Nord-Ouest. Après Orléans seulement elle tourne au Sud-Ouest, et le divorce avec la Seine est opéré.

Vers le sommet de la courbe qu'elle décrit ainsi vers le Nord s'étend une dépression, largement entaillée dans le calcaire de Beauce. Le fleuve y perd temporairement une partie de ses eaux, car ces calcaires sont très fissurés. Il ne les retrouve que peu à peu; avec le Loiret seulement, la plus belle de ces dérivations souterraines, la restitution est complète. Cette partie septentrionale du cours de la Loire forme ce qu'on appelle le Val d'Orléans, véritable unité géographique d'environ 15 000 hectares.

1. 523 kilomètres sur 980.

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E fleuve, dès Briare, est attiré vers la dépression; mais c'est plus bas, au-dessous de Gien, vers Sully, qu'il s'y engage. Sept kilo- ' mètres séparent alors les deux bords de la vallée; les molles croupes de Sologne d'un côté, et, de l'autre, les terrasses de sable rougeâtre de la forêt d'Orléans s'écartent dans ce cadre agrandi, la Loire dessine de larges courbes entre les digues ou turcies qui l'enserrent. Partout l'alluvion vaseuse qu'elle a déposée, la laye bienfaisante, s'étend. Quelques plis marécageux subsistent encore au pied des coteaux du front septentrional ils sont rares. Depuis longtemps la culture a pris possession de ces alluvions, et les a victorieusement disputées aux crues. Les vignes et les vergers garnissent les rampes du Val; plus on avance vers Orléans, plus ils envahissent le Val luimême; ils s'y mêlent alors aux parcs et aux grands bouquets d'arbres qui répandent sur le pays un aspect d'élégance seigneuriale. Mais en amont, c'est plus humblement, par des champs de labour, que s'annonce le Val. La glèbe luisante et onctueuse donne le secret de l'abondance précoce qui y attira des populations, créa un foyer de travail humain, fixa un centre historique.

C'était entre les régions ingrates qui couvrent le fleuve au Nord et au Sud, comme une oasis de fertilité. Ce val, parmi ceux qu'arrose la Loire, semble la contrée qui fut le plus tôt aménagée, purgée de marécages, dépouillée de bois, protégée contre les reprises du fleuve. Aujourd'hui, une foule de petites maisons qui ont dû se contenter des matériaux, cailloux ou briques, fournis par le sol, garnit l'intervalle entre les nombreux villages. Mais dans ceux-ci des vestiges d'art roman subsistent de toutes parts. La masse découronnée de l'église de Saint-Benoît, en belle pierre de Nevers, domine, écrase presque champs, maisons et villages. Bâtie sur l'emplacement d'un établissement romain, l'église bénédictine de l'ancienne abbaye de Fleury évoque les grandes écoles carolingiennes, l'ancienne richesse et la fleur de civilisation née en pleine barbarie grâce à cette richesse. Le vieux Capétien qui dort sous les dalles du chœur1 témoigne à sa façon que, pendant une assez longue période, ce fut là, entre Gien et Orléans, que parut se fixer le centre de notre histoire. De Saint-Benoît, SaintAignan, Germigny à Orléans, c'est un voyage au pays des Capétiens. Ce qui vit ici dans les monuments, ce n'est pas, comme au Nord, le classique XIIe siècle, mais quelque chose de plus ancien et de plus 1. Philippe Ier.

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