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CHAPITRE II

LES INFLUENCES DU DEHORS

LA MÉDITERRANÉE

Itinest guère qucher crument, quand et par quelles voies une

n'est guère de question plus importante pour la géographie poli

vie générale parvient à s'introduire à travers la diversité des pays locaux. Aucune étape n'est plus décisive et ne met plus de différences entre les contrées. Il y en a qui ne la franchissent pas. Elles restent morcelées à l'état de petits groupes que relie un lien très lâche, ou qui même sont à peu près isolés. Thucydide remarquait que de son temps la moitié de la Grèce, dans les montagnes et dans l'Ouest, n'était pas sortie de cet état social rudimentaire : on ne serait pas en peine encore de nos jours de citer des exemples pareils, sur les bords mêmes de la Méditerranée : l'Albanie, le Rif marocain nous montrent des types à peu près intacts de sociétés primitives. La tribu, le clan, le pays, le village sont, suivant les lieux, les cadres de cette vie. L'Afrique centrale ne nous a-t-elle pas révélé récemment, sur des étendues énormes, un état de dispersion politique à travers lequel nous voyons, aujourd'hui seulement, filtrer, avec l'Européen ou l'Arabe, les premiers filets de relations générales?

Telle est, en effet, la marche naturelle. Le choc vient du dehors. Aucune contrée civilisée n'est l'artisan exclusif de sa propre civilisation. Ou du moins elle ne peut engendrer qu'une civilisation bornée, comme une horloge qui, après quelque temps de marche, s'arrête court. Il faut, pour qu'elle s'élève à un degré supérieur de développement, que sa vie soit en communication avec celle d'un domaine plus vaste, qui l'enrichit de sa substance et glisse en elle de nouveaux ferments.

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RELATION
AVEC LA
MÉDITERRANÉE.

LE MONDE

Ces sources de vie n'ont pas manqué à la France. Elle y a puisé de divers côtés. Essayons de voir quelles ont été ses relations, d'abord avec la Méditerranée, puis avec la Péninsule ibérique, enfin avec l'Europe centrale.

Par la Méditerranée la France est en rapport avec le domaine terrestre où se constituèrent les premières grandes sociétés : les plaines alluviales de la Mésopotamie et du Nil, les contrées découvertes, enrichies de débris volcaniques qui s'étendent au pied du Taurus d'Arménie ou d'Asie Mineure, en général enfin l'Asie occidentale. La géographie botanique, qui étudie l'origine des plantes cultivées et qui en suit les migrations, est parvenue par ses recherches à jeter quelque jour sur l'antique histoire humaine. Elle constate que l'homme n'a trouvé nulle part, si ce n'est peut-être en Chine, des moyens de subsistance plus variés que dans les contrées qui viennent d'être nommées. Plus de la moitié des céréales et graines nourricières connues sont originaires de cette partie du continent. Là, depuis une antiquité qu'il est difficile d'évaluer, car elle précède les grands empires que nous fait connaître l'histoire, apparaît constitué un système d'agriculture fondé sur la charrue, dans lequel le bœuf a son emploi comme animal de trait.

Parmi les céréales venues d'Asie, les unes, comme le seigle et MÉDITERRANÉEN, l'avoine, sont restées longtemps étrangères aux contrées de la Méditerranée et semblent n'y être arrivées qu'après avoir passé par l'Europe centrale; mais les autres y apparaissent de très bonne heure.

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L'orge primitivement et plus tard le blé sont devenus, pour les riverains de cette mer, le fond de la nourriture. Parmi les plantes textiles figure au premier rang le lin, avec lequel ils tissent des étoffes. C'est sur ce mode d'existence que se greffèrent, suivant les localités, d'autres variétés d'exploitation du sol, inspirées par les conditions du relief et de climat : l'élevage avec transhumance périodique, dans les régions montagneuses qui se pressent le long de la Méditerranée; les cultures d'arbres et d'arbustes, sur les terrasses abondantes en sources, et dans les plaines où l'eau s'infiltrant ne peut être atteinte que par les plantes à longues et profondes racines. Toute une légion d'arbres fruitiers, portée par des migrations humaines, vint, avec la vigne, garnir les bords de la Méditerranée, et faire au pays de Chanaan, à l'Apulie et la Sicile cette renommée légendaire dont nos esprits ne sont pas encore affranchis. Cet art des plantations, que les Grecs distinguaient par le mot quτsús, est, comme l'indique fort bien Thucydide, un art délicat qui a pris naissance ultérieurement, et a progressé comme un luxe de civilisation avancée. Il achève de carac

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tériser, par l'usage de l'huile et du vin combiné avec celui du blé et du pain, une manière de vivre qui s'est formée et propagée dans la zone qui comprend l'Asie occidentale et les bords orientaux de la Méditerranée. Malgré toutes les acquisitions dont s'est accru le patrimoine du monde méditerranéen par des emprunts faits à l'Inde, au Soudan et à l'Amérique, l'existence humaine, en tant que mode de culture et de nourriture, y reste constituée sur les mêmes bases, figée et désormais à peu près invariable, comme toutes choses remontant très haut dans le passé.

On comprend sans peine l'influence que ce type de civilisation matérielle, peu à peu enrichi par les prestiges de l'industrie et de l'art, servi par des courtiers comme les Phéniciens et les Grecs, a exercée autour de lui. La Méditerranée fut un des traits d'union, le principal certainement qui nous en rapprocha.

Il semblera peut-être qu'on ne puisse apprécier trop haut le rôle de la Méditerranée dans nos destinées. Cependant la France n'est ni une péninsule ni une île. Elle a sur la Méditerranée moins de façade que l'Espagne. Elle ne touche à cette mer que par un littoral qui n'a guère plus de 600 kilomètres. En outre, entre le Rhône et les Pyrénées, la côte est mal abritée, battue du mistral.

Mais ce littoral doit une signification unique à sa position entre les Pyrénées et les Alpes. Les Pyrénées s'abaissent à son approche et ouvrent au col du Pertus et sur la côte des issues telles que pour en trouver de semblables il faudrait aller à l'autre extrémité de la chaîne. Les plantes s'y sont avancées librement; on compte plus de cinquante espèces végétales, d'origine ibérique, qui les ont franchies et ne disparaissent que vers Montpellier. Ce fut aussi un passage pour les hommes. La circulation, rejetée vers la côte, continue à la serrer de près, car elle y trouve la communication la plus directe vers l'Italie. De la Catalogne au Piémont, c'est un trait de liaison qui a fait sentir son influence sur la civilisation provençale, et sans lequel la formation de ce que l'on a appelé ainsi serait inintelligible.

De leur côté les Alpes achèvent sur ce littoral le grand demicercle concave qu'elles opposent à la Méditerranée. Cette mer a peu d'ouvertures vers l'intérieur; presque partout elle est bloquée par des montagnes. Mais il y a, aux deux extrémités de la chaîne des Alpes, deux lacunes importantes de la barrière qui ferme l'Europe centrale. De l'Adriatique au Danube, comme du golfe du Lion au Rhin, il est possible de tourner les Alpes. Des voies de commerce très anciennes s'avancèrent dans ces directions; Hérodote en a connaissance 1, et

1. Hérodote, III, 115.

CONTACT

DE LA FRANCE

AVEC LA MÉDITERRANÉE.

LE COMMERCE
DE L'ÉTAIN EN
GAULE.

LE BASSIN

DE LA VILAINE.

malgré les mythes dont elles s'enveloppent, elles traversent de quelques traits de clarté l'obscurité de l'Europe primitive.

Enfin le Rhône, continué par la Saône, ouvre en droite ligne une voie fluviale de plus de 700 kilomètres, dirigée vers le Nord. Quoique la vallée du Rhône se compose en réalité d'une série de bassins, l'atténuation qu'éprouve ici l'obstacle dressé devant la Méditerranée est sensible. Par cette trouée du Sud au Nord, une carrière plus libre s'offre aux échanges de la nature et des hommes. Cette avenue conduit à d'autres la Loire à Roanne n'est séparée du Rhône que de 70 kilomètres; on gagne aisément la Seine par les rampes calcaires de Bourgogne, et l'on arrive par la vallée du Doubs à l'un des carrefours de l'Europe. Ainsi des voies naturelles, parties du littoral méditerranéen, traversent la Gaule vers l'Espagne, les Iles Britanniques, l'Europe centrale.

Mais il fallait qu'un intérêt considérable et permanent appelât le commerce vers ces routes qui s'ouvraient. Seul l'attrait d'un de ces minéraux dont l'usage est indispensable à une société civilisée pouvait attirer chez nous les marchands et les voyageurs de la Méditerranée orientale, et amener entre des contrées aussi éloignées que les deux extrémités de la Gaule des relations assez régulièrement suivies pour exercer sur ce pays une profonde action géographique.

Ce fut le commerce de l'étain qui joua ce rôle. L'étain était pour des raisons bien connues un des métaux les plus recherchés par le commerce antique, mais les plus rares1. Parmi les contrées privilégiées où on le trouve sont les massifs de roches archéennes qui, dans la Galice, dans notre Bretagne, et dans la Cornouaille anglaise, se projettent en saillie sur l'Océan. Les mines d'étain de la Cornouaille (anciennes Cassitérides) conservaient hier encore le premier rang dans la production du globe. Celles de la Galice (ancien pays des Artabres), quoique moins riches, continuent à être exploitées. Notre Bretagne a cessé de fournir de l'étain; mais elle prit certainement sa part dans l'approvisionnement d'étain de l'ancien monde.

Le bassin de la Vilaine est une région éminemment stannifère. Le minerai affleure près du promontoire de Piriac entre l'embouchure de la Loire et celle de la Vilaine. On sait aujourd'hui que l'exploitation ne se borna pas aux alluvions et au minerai de la côte. Assez loin dans l'intérieur, près de Ploërmel et aux environs de Nozay, on a relevé des traces considérables de travail, qui ne laissent aucun doute sur l'extension de cette ancienne métallurgie de l'étain. Ce n'est probablement pas une coïncidence fortuite que l'existence, aux abords

1. Voir t. I, liv. I, chap. 1, p. 10 de l'Histoire de France: Les origines, la Gaule indépendante et la Gaule romaine, par M. G. Bloch.

de ces gisements, d'un peuple de renommée ancienne, les Vénètes. Rien de plus naturel que la formation d'une puissance maritime et commerciale à proximité des gisements d'un minerai précieux, et sur une côte découpée, bordée d'iles, propice aux débuts de la navigation, comme celle qui s'étend entre Quiberon et Le Croisic. Le nom du peuple vénète n'attendit pas pour être connu que le conflit avec César le rendît célèbre; il figure dans des témoignages de bien plus ancienne provenance1 comme habitant l'extrémité de la Celtique. C'était un des peuples qui pouvaient disputer aux Artabres et aux Bretons insulaires le titre de « derniers des hommes », vers les confins occidentaux de la terre habitée; ses relations allaient jusqu'à l'Irlande, et il est permis de voir dans cette marine vénète l'aînée de ces marines celtiques qui explorèrent le Nord de l'Atlantique avant les Scandinaves.

Ce ne fut donc pas à l'aveugle, à travers l'inconnu, que les navigateurs de la Méditerranée ou de Gadès (Cadiz actuelle) se lancèrent vers les lointaines Cassitérides. Des régions où la métallurgie était connue et pratiquée leur ménagèrent des étapes. Lorsque le voyageur marseillais Pythéas, au Ive siècle avant notre ère, alla visiter l'île de Bretagne, son trajet, commencé à Gadès, au Sud de l'Espagne, suivit sans doute les voies fréquentées par les marins de cette ville. Son itinéraire est visiblement lié aux relations qui unissaient dès lors les principaux foyers du commerce océanique. C'est ainsi que nos côtes armoricaines furent parmi celles qu'il décrivit en détail. Il dépeint à l'extrémité de la Celtique une vaste protubérance découpée de promontoires et d'îles; il y a là le cap Cabæon, le peuple des Ostimii, l'île d'Uxisama2. Grâce aux renseignements commerciaux, la péninsule armoricaine est une des premières contrées dont quelques détails se dessinent dans le Far-West européen. Ce que l'on commence à signaler, ce sont les traits propres à frapper des commerçants et des marins, tout ce qui sert de repère à la navigation, caps, promontoires et îles. La contrée s'éclaire par les extrémités. Une auréole légendaire flotte, dans la Méditerranée, sur ces caps où se dressent des sanctuaires de Melkhart-Hercule ou d'Astarté-Vénus; et dans l'Océan, sur ces îles lointaines, comme la pauvre petite île de Sein, dont on se raconte les mœurs et les costumes étranges.

Mais l'étain des Cassitérides voyagea aussi par la Gaule. En

1. Poème anonyme attribué à Scymnus de Chio (Geographi græci minores, édit. Didot, 1855-61, t. I, p. 202).

2. Strabon, I, IV, 5. Uxisama, c'est-à-dire Ouessant, dont le nom par une anomalie qui n'est qu'apparente, se trouve ainsi un des plus anciennement signalés de notre vocabulaire géographique.

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