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vent même les maisons ne sont que des bouques, c'est-à-dire des chaumières sommairement construites, comme une chose qui ne vaut pas la peine qu'on s'y applique, sous la menace, toujours à craindre, du fleuve.

Un proverbe de ce pays, qui abonde en dictons populaires, peint ainsi Chinon :

Assise sur pierre ancienne;

En haut le bois, en bas la Vienne.

Le bois couvrait autrefois la plus grande partie des plateaux entre lesquels s'insinuent ces vallées; il n'en revêt plus aujourd'hui qu'une partie. Il n'y a guère plus d'une centaine de mètres, et souvent moins, de différence de niveau; mais ce sont les maigres terres de l'argile à silex qui constituent souvent la surface, et l'on sait quelle est leur pauvreté. La vaste Gâtine, qui s'étend au nord de Langeais jusqu'à Châteaurenauld, n'a commencé à être défrichée qu'au XIe siècle. Au Sud, les plateaux sont moins ingrats; calcaires ou faluns ont vers leur centre fourni les éléments d'une précoce culture; des voies anciennes les sillonnent: eux aussi pourtant montrent une périphérie encore en grande partie occupée par des bruyères ou des bois.

CONTRASTES

En ces contrastes est le secret de l'infirmité de la Touraine. Entre ces vallées riantes et populeuses, beaucoup d'intervalles sont DE LA TOURAINE. pauvres, presque vides. Il manque généralement à ces plateaux la précieuse nappe de limon qui a assuré au Nord de la Seine, entre la Marne et l'Escaut, une incomparable supériorité économique. En dépit du charme des vallées, malgré l'illusion que peut causer la somptuosité des châteaux nés de la faveur royale ou de la mode plutôt que des conditions locales, la force de production est moindre que dans ces pays limoneux du Nord de la France, si précoces dans leur abondance agricole, aussi riches par leurs plateaux que par leurs vallées, supérieurs par là aux contrées du Sud comme à celles de l'Est dans le Bassin parisien. Si séduisante, la Touraine est un peu grêle. Elle n'a pas les mêmes facultés de développement. On est étonné, quand le regard s'est promené sur ces magnifiques vallées, de constater la faible densité de population, la pénurie relative de bétail que trahissent les chiffres d'ensemble. Cependant ces causes de pauvreté sont atténuées en partie par les articulations qu'ont découpées les rivières. Les plateaux, du moins au Sud, s'amincissent; à leur extrémité, ce sont des becs qui s'allongent par les bandes d'alluvions que déposent en se rapprochant les rivières. Ainsi est constitué «< ce bon pays de Véron », comme dit Rabelais, coin

ROUTES ET IMPOR

enfoncé dans l'angle de la Loire et de la Vienne pays resté longtemps isolé dans sa richesse, comme d'autres dans leur pauvreté.

Le paysan des plateaux offre déjà bien des traits du paysan de l'Ouest, isolé dans ses métairies, nourrissant sous une apparence de douceur un esprit de superstition et de méfiance. Au contraire la vie urbaine et surtout villageoise a pris fortement racine aux flancs des vallées : vie joyeuse de vignerons auprès desquels les gens des Gâtines et plateaux semblent de pauvres hères. Ils sont fiers de leur bien-être, exigeants pour leur nourriture et leur costume, soigneux de leur habitation. Cependant l'exiguïté de ces habitations étonne. La Touraine est par excellence le pays des petites maisons blanches, sans étages, à toits d'ardoise. De même dans les habitations rurales l'aménagement destiné au bétail, instruments, cheptel agricole, est rudimentaire. C'est que, pour les cultures délicates auxquelles l'homme s'adonne de préférence, l'outillage est réduit; l'outil principal, ce sont les bras du vigneron lui-même. De là, l'étroitesse de la maison; de là, aussi, ce corps souvent courbé, avec ces bras noueux comme les ceps qu'ils ont l'habitude de tailler.

Ce contraste entre les populations des plateaux et celles des vallées va s'accusant vers l'Ouest. A mesure que le Massif primaire d'Armorique fait sentir ses approches, la vallée, devenue plus ample et plus basse, prodigue davantages ses dons. Le Loir sinueux s'épanouit à partir de Montoire dans l'aimable vallée qu'ont chantée Ronsart et Racan; tandis que sur les sables qui font au Nord leur* apparition, un pays coupé de haies et de forêts se prolonge de Château-du-Loir au Perche. En bas, l'abondance et la vie douce; en haut, déjà le commencement de la vie rude et pauvre de ces marches de l'Ouest; contraste dont les luttes de la Révolution nous font sonder la réalité. Nulle part la vallée de la Loire n'est aussi animée et joyeuse que dans cette large ouverture qu'encadrent les coteaux de Chinon, de Bourgueil et de Montsoreau. L'esprit est alerte et la langue colorée, sur cette terre rabelaisienne où se déroule, entre Picrochole et Gargantua, une guerre moins fertile encore en coups qu'en paroles. L'abbaye de Thélème est la seule qui convienne et qui plaise à ces caractères raisonneurs et affranchis, pour lesquels la nature se montre indulgente. Jusqu'à Saumur et au delà, la côte aux vins pétillants entretient la vivacité et la joie au cœur des habitants de la Vallée.

La Touraine, réunion de vallées au point où le Bassin parisien TANCE HISTORIQUE confine à l'Armorique et à l'Aquitaine, se trouve beaucoup plus que DE LA TOURAINE. le Berry, qui est trop enfoncé dans l'intérieur, mieux même que le Maine et l'Anjou, qui se serrent le long du Massif armoricain, sur une

des grandes voies de circulation. C'est le chemin du Sud-Ouest; et de bonne heure les voies romaines convergèrent vers le confluent du Cher et de la Loire. Il y avait là à l'origine une de ces bourgades telles que les Gaulois en établissaient volontiers dans des iles ou des péninsules fluviales: la fortune de Tours lui vint surtout de l'accès direct qui de ce point s'ouvre vers la vallée de la Vienne et Poitiers. Il suffit de franchir l'extrémité amincie des plateaux de la Champagne tourangelle et de Sainte-Maure pour atteindre, au confluent de la Vienne et de la Creuse, une des plus charmantes contrées de France. C'est le pays de Châtellerault, dont l'aspect verdoyant et les douces collines ménagent une transition aimable vers les raides et secs escarpements du Poitou calcaire. Les sables dits cénomaniens1 y affleurent, comme dans la région du Maine dont ils constituent le sol typique, et, dans ce cas comme dans l'autre, c'est par la largeur des vallées que se manifeste leur présence. La Vienne à Châtellerault s'est frayé dans ces couches friables une vallée dont les proportions en largeur ressemblent à celles que l'Huisne et la Sarthe se sont taillées dans les sables de même nature et de même âge.

Mais les voies qui ont adopté la vallée de la Vienne continuée par le Clain, ont une importance plus générale que celle à laquelle les rivières mancelles ont prêté leurs vallées. C'est une porte de peuples. Deux grandes régions d'influences souvent contraires, lente ment réconciliées dans l'unité française, entrent ici en contact: l'Aquitaine, vestibule du monde ibérique, et la France du Nord façonnée par son contact permanent avec le germanisme. Une traînée de noms historiques s'échelonne entre Poitiers et Tours: noms au loin populaires de batailles ou de sanctuaires, comme celui de Sainte-Catherine-de-Fierbois, où Jeanne d'Arc fit chercher l'épée de Charles-Martel. Le vocabulaire géographique de notre peuple d'autrefois était restreint; il se composait des noms que répétaient les marchands et les pèlerins; mais d'autant plus s'incrustaient dans la mémoire les localités en petit nombre qu'il savait retenir. C'étaient les points brillants dans l'obscurité qui enveloppait le monde extérieur. La légende travaillait sur cette géographie populaire. Elle matérialisait ses souvenirs dans un objet, un édifice; et partout où pénétraient les routes, pénétrait aussi le renom du lieu consacré. La prodigieuse popularité de la Légende de saint Martin s'explique par le nombre et la fréquentation des voies qui convergeaient vers Tours. Il n'est pas étonnant que, dans cet état d'esprit, de nombreux pèlerins s'acheminassent des points les plus éloignés pour participer aux

1. Formation déposée au début des temps crétacés.

bienfaits de la sainteté du lieu. Telle fut longtemps la cause du renom de Tours, et de la basilique de Saint-Martin, lieu entre tous auguste, dont la sainteté se communiquait aux pactes jurés à son autel. C'était donc une possession enviable que celle du vénéré sanctuaire. Celui qui se rendait maître de Tours et des lieux fameux dont s'entretenaient les imaginations populaires se mettait par là hors de pair. A Tours, comme à Reims, comme au Mont-Saint-Michel, où PhilippeAuguste s'empressa si habilement d'imprimer le sceau de la royauté française, résidait une de ces puissances d'opinion qu'il était facile de traduire en instrument de puissance politique. Dans l'idée qu'évoquait alors le mot « roi de France » entraient les souvenirs de ce qu'offrait de plus sacré la vieille terre des Gules.

CHAPITRE VIII

PARTIE OCCIDENTALE DU BASSIN

PARISIEN. NORMANDIE

L

E Bassin parisien est, à l'Ouest, tranché brusquement par la mer. Successivement, de la Picardie aux schistes du Cotentin, les formations de plus en plus anciennes dont il se compose : craie blanche, argiles et sables de la base de la craie, calcaires jurassiques, marnes du lias, se remplacent à la surface. Elles se dessinent avec netteté, chacune avec son aspect propre, dans la topographie, et s'appellent le Pays de Caux, la Vallée d'Auge, la Campagne de Caen, le Bessin. Mais le moment où elles viennent de s'étaler à la surface est aussi celui où elles sont interrompues par la mer. Sur le plateau crayeux du Pays de Caux cette rupture a quelque chose de saisissant. Les champs touchent au tranchant des falaises, le sillon se continue presque jusqu'au bord; la plupart des vallées se terminent, suspendues à moitié hauteur, sans se raccorder avec le rivage qu'elles dominent d'une cinquantaine de mètres, parfois davantage. Il est clair que lorsque le profil normal des vallées s'est fixé la côte était plus éloignée; un accident ultérieur a fait disparaître le raccordement avec le niveau de base'.

Un autre caractère, qui ne saurait manquer de frapper, et qui

1. En accord avec ces indices, on a constaté qu'au large de l'embouchure de la Seine les lignes bathymétriques accusaient un prolongement sous-marin de la vallée. Sur les côtes du Calvados, des tourbières, aujourd'hui sous la mer, attestent, pour l'époque où elles se sont formées, une plus grande extension des terres. On est ainsi amené à assigner une date récente à la ligne actuelle du littoral normand. A une époque où peut-être l'homme occupait déjà ces régions, les terres se prolongeaient vers le fond d'un golfe occupant le grand axe de la dépression de la Manche. Celle-ci se creusait entre les ailes relevées d'un synclinal, dont la continuité subsiste encore, puisque les couches se correspondent de la rive française à la rive anglaise.

ÉVOLUTION

GÉOLOGIQUE

DE LA RÉGION.

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