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POSITION.

s'est montré fécond en conséquences géographiques, est le profond creusement des vallées principales. L'Orne traverse entre des berges relativement élevées la Campagne de Caen. Dans les argiles du Pays d'Auge la Touques affouille sa vallée jusqu'à faire apparaître le substratum jurassique. La Risle laboure d'un sillon profond les plateaux limoneux du Lieuvin. Enfin, dans la partie inférieure de son cours, la Seine a puissamment enfoncé ses méandres entre des rives qui de part et d'autre dominent de plus de 100 mètres le niveau de sa vallée. Cette énergie de corrosion, incompatible avec les faibles déclivités actuelles, suppose qu'il fut un temps où ces rivières disposaient de pentes plus fortes pour atteindre leur niveau de base, c'est-à-dire la mer. Non seulement la côte était plus éloignée, mais les terres étaient plus hautes. Plus tard le sol subit un abaissement. La mer, empiétant sur le domaine terrestre, envahit alors la partie inférieure des vallées, les transformant en estuaires. Ce fut le commencement de la phase actuelle. Les limites entre la terre et la mer devinrent telles que nous les voyons. Toutefois, comme si, après toutes ces vicissitudes, cette stabilité était encore mal assurée, le profil du littoral continue à se modifier sous l'action des courants. Tandis que les saillies s'émoussent, les estuaires tendent à leur tour à se combler, et la terre revendique par ses alluvions une partie du domaine perdu. Cette marche récente des phénomènes explique l'état actuel. Le Bassin parisien n'expire pas vers l'Ouest; il est tronqué. Une partie de son domaine est submergée. Mais la partie restée découverte conserve, avec une netteté intacte, les variétés distinctives des zones qui la composent. Bien mieux que dans le Sud du bassin et presque aussi clairement que dans l'Est, chaque zone apporte successivement dans le paysage la physionomie qui lui est propre; de sorte que, pour chaque bande que tranche la ligne transversale des côtes, apparaît un pays distinct. Ces divisions naturelles vivent dans l'usage populaire, et ont éveillé depuis longtemps l'attention des observateurs. Elles coexistent avec le nom général et historique de Normandie.

Si ces noms de pays expriment les particularités du sol, celui de Normandie résulte de l'unité que la contrée doit à sa position générale. On ne peut aborder l'étude de cette région sans attirer tout d'abord l'attention sur le conflit entre les forces locales du sol et les influences venues du dehors, conflit dans lequel se résument ses destinées historiques. Les influences extérieures ont été puissantes et prolongées. Elles ne constituent pas un accident, mais un fait normal; car, par position, la Normandie est un but. Son littoral, à l'inverse du littoral picard, regarde le Nord. Il est, pour le monde maritime du Nord, ce qu'est notre Armorique par rapport à la Bretagne insulaire,

ce que furent l'Égypte et la Cyrénaïque pour la Grèce, ce que d'un mot les anciens périples appelaient la côte d'en face. Les navigateurs saxons et scandinaves le rencontraient devant eux dans leurs expéditions vers le Sud, comme aujourd'hui les paquebots venus des embouchures de l'Elbe et du Weser dans leur trajet vers l'Amérique.

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CARTE 28.

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PARTIE OCCIDENTALE DU BASSIN PARISIEN. - NORMANDIE ORIENTALE.

La limite entre la Normandie et le Royaume suivait la Brèsle, l'Epte, laissait le Mantois au Royaume et atteignait l'Avre au confluent de l'Eure. Rouen occupe une position centrale dans ce cadre. Mais la Normandie se prolonge hors des limites du Bassin parisien, dans le Massif schisteux de l'Ouest (voir la carte 30).

En de telles conditions les articulations de rivages prennent grande valeur. La moindre amorce saillante, la moindre ouverture donne asile à un germe sur un littoral ainsi assailli par des courants de migrations et d'aventures. Avec ses rigides falaises, le littoral du pays de Caux n'est qu'assez peu favorable aux établissements maritimes pourtant, de Dieppe à Fécamp, les noms germaniques s'éche

LE PAYS DE CAUX.

lonnent sur le rivage1. Puis, de la Seine à l'Orne, de nombreuses embouchures fluviales, grandes et petites, ouvrirent des portes d'accès. Le Cotentin prêta enfin le secours et la tentation de ses promontoires extrêmes, où expirent les influences du dedans.

Cependant, en arrière de ce littoral et sur le littoral même, réagissait en un sens contraire la force ancienne et accumulée des influences intérieures. Toute une vieille et riche civilisation subsistait là, fondée sur la terre. Et cette force du sol était une garantie de résistance et de durée pour l'ancienne langue, les anciennes traditions, les anciennes races.

Le nom de haute Normandie se présente de lui-même à l'esprit, quand, vers Yvetot ou Yerville on embrasse autour de soi l'horizon. De larges ondulations se déroulent à perte de vue. On en a gravi péniblement l'accès. Que l'on vienne de Rouen, du Vexin ou du Pays de Bray, ou du rivage de la mer, il a fallu s'élever le long d'étroites vallées tapissées de hêtres, on a franchi des lambeaux de forêts, réduites aujourd'hui, mais qui jadis couvraient tous les abords; et voici maintenant que s'étend un pays découvert qu'aucune ligne de relief ne borne à l'horizon. Entre les champs de blé, dont les ondulations contribuent à amortir encore les faibles mouvements du sol, se dessinent çà et là des bandes sombres : ce sont des rangées d'arbres derrière lesquels s'abritent les fermes, ou à travers lesquels se dispersent les maisons des villages. Estompées dans la brume, ces lignes forment des plans successifs. Cela donne une impression à la fois d'ampleur et de hauteur. En fait, le niveau général reste élevé; de 200 mètres au sommet de la convexité du plateau, il ne descend guère au-dessous de 100 mètres aux bords des falaises. Entre la basse vallée de la Seine au Sud et la dépression verdoyante du Bray au Nord, ce bastion de craie revêtu de limon se projette tout d'une pièce, comme un témoignage de résistance aux affaissements qui ont affecté le reste du littoral normand.

Pourtant le Pays de Caux n'est Normandie que pour l'histoire et la géographie politique; il est avant tout, et le paysan le sait, un pays distinct. Le limon, déposé en couches puissantes sur la convexité du plateau, y a favorisé de temps immémorial la vie agricole. Cette puissance diminue, il est vrai, vers la périphérie; mais à l'aide du marnage, c'est-à-dire en ramenant à la surface la craie sous-jacente, il a été possible d'amender l'argile à silex et d'étendre les cultures

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1. Dieppe (diep, djupa, deóp = fonds). · Les Dales (Dal-r). - Fécamp (fiskr = pêcherie). Sanvic (sand vik crique de sable), etc. (Joret, Des caractères et de l'extension du patois normand. Paris, 1883, p. 35).

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aux dépens des bois. Jusqu'à nos jours, c'est dans ces gains successifs que tient toute l'histoire du Pays de Caux. Ainsi se sont multipliées les fermes entourées de leurs vergers ou masures, d'où le fermier surveille son bétail, et que flanquent des fossés, ou levées de terres garnies de hêtres. Ainsi ont pullulé jusqu'à couvrir parfois plusieurs kilomètres, ces villages dont les rues sont des bosquets et dont les maisons s'espacent entre les pommiers. L'eau est rare, mais l'argile voisine de la surface permet de maintenir des mares; et la population put ainsi se répandre avec plus de liberté qu'en Picardie. Sur ces plains, dans ces campagnes, la richesse agricole, aidée du tissage domestique, avait concentré une population nombreuse, qui s'égrène maintenant au profit des vallées. Ici seulement le Cauchois. se sent chez lui; ici il retrouve, avec ce qui reste encore du mode d'existence traditionnel, les façons de parler, le patelin cher à ses oreilles. Il est étranger dans les vallées.

Les vallées ne peuvent pas être nombreuses en ce pays perméable. Sur la convexité du Pays de Caux on peut faire jusqu'à 20 kilomètres sans en rencontrer une. Jusqu'au niveau où les eaux infiltrées dans la craie blanche se combinent en courants assez forts pour atteindre l'assise marneuse sur laquelle elle repose, il n'y a ni vallée ni rivière. Mais, au contact du niveau de sources, la rivière sort, abondante et limpide. Dès sa naissance quelque ancienne abbaye, un château, des moulins, et aujourd'hui des files d'usines signalent la nouvelle venue. Par leur pureté et par la rapidité que leur imprime la pente, ces rivières tentent l'industrie. Ce qu'elle a fait de ces vallées, on en juge par les rues d'usines qui, le long du bec de Cailly, du Robec, de la rivière de Sainte-Austreberte montent à l'escalade du plateau. Mais cela ne date pas d'hier. C'est par les vallées que la Normandie est devenue industrielle. Elles s'insinuent entre les flancs épais du plateau, comme des veines par lesquelles pénètre et circule une vie différente, vie qui expire sur le plateau même.

Ce dualisme est fortement empreint sur tout le pays. Les petites rivières cauchoises ne disposent que d'une vingtaine de kilomètres pour racheter la différence de pente entre leur source et leur embouchure. Elles ne tardent donc pas à entailler profondément le plateau. L'argile à silex, mise à nu sur les flancs, apparaît avec ses rocailles rousses, que parvient à peine à tapisser, grâce aux éboulis, une végétation buissonneuse. Une ceinture de taillis et de bois, rebelle à toute culture, interrompt ainsi la continuité entre les plateaux limoneux d'en haut et les fonds verdoyants d'en bas. Sur ces pentes raides les charrois sont difficiles, presque impossibles; il faut remonter jusqu'à la naissance de la vallée. C'est pour cela que les routes

VALLÉES NORMANDES.

cherchent à se maintenir autant que possible sur le dos du plateau, en évitant les échancrures de la périphérie. Il n'y a sur les versants ni niveau de source, ni inflexion de relief pouvant faciliter à mi-côte l'établissement de villages. C'est donc presque l'isolement entre vallées et plateaux. En bas l'industrie, ou, aux bords de la mer, quelque établissement de vie maritime. En haut les villæ ou villes, c'est-à-dire les établissements ruraux autour desquels s'est perpétuée la vie agricole. Si l'on pousse dans le passé l'analyse de ces contrastes, on reconnaît dans les découpures des vallées et dans les interstices du rivage les voies par lesquelles se sont introduits les éléments étrangers, rénovateurs, auxquels la Normandie doit son nom. Mais l'on se

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VALLÉE ET Bbaie

DE LA SEINE.

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Les établissements humains des plateaux limoneux et ceux des fonds de vallée sont séparés par des pentes raides, tapissées de bois.

rend compte aussi d'une des causes qui ont mis obstacle à une complète transformation ethnique de la contrée. L'existence d'un plateau compact, dans lequel s'était enracinée une population profondément agricole, assez dense pour porter et maintenir un nom de peuple, a certainement contribué à la conservation du passé.

Mais, immédiatement au pied du plateau crayeux, la Seine a entaillé sa vallée. Elle a multiplié ses méandres; et peu à peu, entre ses bords écartés, fuyant en lignes sombres, s'introduit un large estuaire maritime.

La Seine commence, presque au sortir du cirque parisien, à prendre sa physionomie normande. Peu après Meulan, les blanches roches de la craie commencent à affleurer au soubassement des coteaux. Au delà de Mantes, le paysage a déjà changé. Les collines à zones de végétation étagée qui caractérisent la topographie parisienne ont fait place à de véritables downs, croupes à demi pelées ou tapissées de maigre gazon, roches de composition homogène que l'érosion a modelées en hémicycles de régularité quasi géométrique. La vallée qu'ils encadrent est plus profondément burinée dans la masse. A Vernon, ces coteaux de craie, éventrés de carrières, couronnés de bois, prennent une certaine ampleur. Des flancs de la roche, percés jadis de demeures troglodytiques, sortent les matériaux de construction depuis longtemps utilisés par l'homme. La Seine, qui

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