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avec les pâturages les haies vives et les grandes rangées d'arbres. Mais une forte teinte germanique s'étend uniformément sur cette succession de pays. Elle s'atténue à mesure qu'on s'éloigne des côtes; elle s'accuse dans les articulations péninsulaires et insulaires. La différence est donc grande entre la côte et l'intérieur. Ce n'est pas seulement l'antithèse classique de la Plaine et du Bocage; mais, en dehors des différences qui tiennent à la composition du sol, il y a partout en Normandie celle qui résulte de la position maritime ou intérieure. L'influence maritime expire, dans le Pays de Caux, au seuil des falaises; elle pénètre plus librement dans le faisceau de pays qui se concentre entre la Seine et le Cotentin. On peut dire qu'elle étreint entièrement les extrémités de la péninsule et les îles.

La Normandie ne se termine donc pas avec le Bassin parisien. Elle ne coïncide pas avec ses limites. Elle empiète, non par voie d'extension, mais par ses origines mêmes, sur la partie à demi submergée du Massif primaire armoricain. Elle s'est constituée à la faveur d'un double travail politique : l'un qui consista à former un tout d'une série d'établissements échelonnés sur les côtes; l'autre fut un mouvement d'expansion, qui finit par se concentrer dans le cadre romain et ecclésiastique de la métropole de Rouen.

D'un groupement naturel de pays juxtaposés naquit ainsi une région politique, qui fut, non une province, mais un État. Ses limites sont des frontières artificielles et gardées par des lignes de forteresses. Ses capitales ont un aspect royal. Des carrières de la plaine de Caen sont sorties les constructions monumentales qui rappellent le nom de Guillaume le Conquérant.

Colonie maritime, la Normandie colonisa à son tour, et son génie put rayonner au dehors, surtout dans l'art de l'architecture, dont elle tira les matériaux de son sol. Mais un élément foncièrement indigène, rural même, s'incorpore à la personnalité de ce peuple. La richesse agricole du Caux, du Lieuvin, des Campagnes, contribua à enraciner chez les habitants cette haute estime des biens de la vie, dont se détache plus aisément l'habitant des landes et des maigres sols bretons. Il n'y a pas, a dit un illustre Breton, un seul saint de race normande. Sans refuser leur large part aux influences ethniques venues du dehors, on peut dire que la terre normande a été pour beaucoup dans la formation du caractère normand.

Le marin, dont la patrie est la mer, dont la jeunesse se passe entre les bancs de Terre-Neuve et les pêcheries d'Écosse, est en Normandie une minorité, qui de plus en plus décroît. Lui peut-être, mais lui seul, reste, dans ses habitudes comme dans son type, un spécimen à peu près pur de survivance ethnique lointaine. Il nourrit

pour le laboureur le fier dédain de l'homme de mer. Il aime, comme celui-ci, les longs repos après la vie périlleuse. Lorsque, dans un de ces nids de pêcheurs un peu isolés, comme il n'en reste plus guère, on le voit débarquer, grave et calme, dans son attirail de matelot, femme et enfants accourant sur la plage pour contempler le butin rapporté, l'imagination évoque volontiers, dans leur simplicité, les scènes des anciens temps. Mais quant à la population adonnée à l'élevage, à l'industrie, à la culture, qui est la grande majorité des populations normandes, le sol a exercé sur elle une forte prise. Ce génie, fait de régularité et de calcul, s'est méthodiquement appliqué à créer de la richesse, et à tirer immédiatement de cette richesse les embellissements et les commodités de l'existence. La table plantureuse, le luxe des costumes, le développement des industries textiles en rapport avec l'importance accordée aux soins de l'habillement, sont des traits qui de bonne heure' s'associent à l'idée de la contrée. La maison, même quand les matériaux de belle pierre manquent, marie avec élégance le bois avec la terre battue ou la brique; elle s'entoure d'arbres, se revêt d'une parure de lierre et de fleurs. Soit que l'on contemple ces campagnes si amples en leur fécondité paisible, soit que l'on déniche entre les vergers et les prairies les maisons basses enfouies dans la verdure, ou que l'on voie monter à travers les hêtraies la fumée des usines blotties au fond des vallées, ou bien encore que l'œil s'arrête à ces restes de châteaux, d'abbayes, à ces églises aux fins clochers qui presque partout s'élancent, c'est, sous les formes diverses que détermine le sol, une même image d'opulence ordonnée qui frappe l'esprit; et dans cette impression d'ensemble le présent se lie sans effort au passé.

III

LA RÉGION RHÉNANE

ENSEMBLE

DE LA RÉGION
RHÉNANE.

L

A Lorraine et l'Alsace s'adossent au Massif des Vosges Ces deux contrées se touchent; naguère elles se complétaient. Bien que très différentes, au moins par l'aspect, elles sont impossibles à expliquer l'une sans l'autre. Le rapport intime qui les unit se révèle dans leur structure et dans leur participation à une même histoire géologique. Il résulte aussi d'un autre genre de ressemblances qui assaillent l'esprit au seul appel de leur nom. Ces contrées sont des frontières. Elles l'ont été dès l'origine de l'histoire. Elles n'ont cessé de l'être que temporairement, sous les Mérovingiens et les Carolingiens. Leur existence est traversée, dominée même, par les conflits généraux des États et des peuples.

La Lorraine et l'Alsace ne peuvent être considérées isolément; elles font partie d'une région où elles se coordonnent avec d'autres contrées analogues dans une histoire géologique commune. La rive droite et la rive gauche du Rhin, la Forêt-Noire et les Vosges, les pays du Neckar et ceux de la Moselle forment dans l'évolution du sol un ensemble qu'on ne peut morceler sans nuire à l'intelligence de chaque partie. Cette région, que nous appellerons rhénane, a été primitivement continue; l'interruption tracée par la plaine du Rhin n'a commencé à exister qu'après de longs âges. Il faut se la représenter, dans cet état primitif, comme un large bombement, un dôme. qui se serait graduellement soulevé. Peu à peu, en s'exagérant, ce mouvement produit au point faible, c'est-à-dire, au sommet de la voûte, une rupture, première esquisse de la dépression future. C'est le commencement d'accidents qui désormais ne cesseront pas de se répéter. Lorsqu'arrive l'âge des grands soulèvements alpins, les accidents qui en sont le contre-coup se multiplient sur cette fente qui les attire. C'est alors qu'on voit pour la première fois une dépression, sous forme de bras de mer1, s'allonger à la place qu'occupe aujour1. Époque oligocène.

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La grande rivière Souabe, le Neckar, ne se montre sur la carte que par sa source et son embouchure; mais la Moselle y déroule son arc-de-cercle enveloppant le Plateau lorrain, longeant les Côtes, pénétrant enfin dans le Massif schisteux rhénan. En sens inverse de la direction des rivières, une série de dépressions et de passages (Toul, Saverne, Strasbourg, Pforzheim), ouvre une voie vers la vallée du Danube.

DIFFÉRENCES

AVEC LE BASSIN PARISIEN.

d'hui la plaine rhénane. A mesure que la dépression s'enfonce, les bords se relèvent. Du côté où les Vosges et la Forêt-Noire, chaînes jumelles, se regardent, des fractures ou failles découpent leurs bords; des pans entiers de roches, entraînés le long de ces fractures, s'appuient aux chaînes restées debout. Du côté opposé, des accidents semblables se sont produits, mais plus locaux, moins pressés, sans la continuité qu'affectent sur l'autre versant les longues dislocations qu'on peut suivre. La Lorraine vers l'Ouest, la Souabe et la Franconie de l'autre côté sont des plateaux inclinés en sens inverse : la plaine rhénane est le résultat final d'une lézarde qui s'est peu à peu agrandie.

Tel est, sommairement, l'enchaînement de faits qu'il est inutile de poursuivre ici en détail. Il présente un ensemble lié. Une conception générale doit présider à l'étude des divers éléments du groupe. On ne peut faire complètement abstraction, même quand on borne son étude à une partie, des autres parties qui lui correspondent.

Mais les ressemblances, dans la région rhénane, ne vont pas au delà des traits généraux de structure. Entre les diverses contrées de ce groupe naturel il y a symétrie, correspondance incontestable, mais non centralisation.

C'est en cela que consiste la grande différence entre cette région et le Bassin parisien. Dans celui-ci, malgré les nuances qui diversifient le climat et le sol, malgré les infidélités commises par quelques fleuves ou rivières au réseau fluvial, les influences générales dominent, les particularités se subordonnent à l'ensemble, tout conspire à créer une vie commune, qui naît des conditions naturelles. C'est à l'épreuve des événements et des habitudes que chaque partie apprend qu'elle ne peut se désintéresser de l'ensemble. Les échanges, les relations liées à la vie agricole ou aux industries locales sont autant d'influences familières et constantes qui entretiennent le sentiment de vie commune.

La région rhéna ne, telle que nous l'avons délimitée, n'embrasse pas une plus grande étendue que le Bassin parisien; tout au contraire1. Mais les unités secondaires y conservent bien plus de relief et de vigueur. L'hydrographie, le climat, pour ne citer que les agents de diversité les plus puissants, introduisent des différences marquées. L'enfoncement, probablement encore persistant, de la plaine rhénane, a créé un réseau particulier de rivières qui gagnent directement le Rhin. Les rivières nées au contraire sur les plateaux lorrain et souabe obéissent dans une bonne partie de leur cours à des pentes

1. Lorraine, Vosges, Plaine du Rhin 34 000 kmq. environ; Forêt-Noire, Souabe et Franconie = 39 000 kmq. En tout, 73 000 kmq.

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