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inverses. Elles finissent bien par revenir après un trajet plus ou moins long au fleuve central : le Neckar plus directement; la Moselle au prix d'un long circuit, et seulement par une voie détournée et sinueuse à travers les solitudes du massif schisteux. Mais, dans cette indépendance de développement, des attractions en sens divers ont tout le temps de se faire jour. La Moselle, continuée par la Meuse, à laquelle elle a jadis donné la main, incline vers le Bassin de Paris. A la suite des vigoureux empiétements qu'ont poussés vers le Nord la Saône et ses premiers affluents, la Lorraine a été profondément mêlée, d'un autre côté, à la Bourgogne. Elle obéit ainsi à des attractions spéciales, qui n'ont rien de commun avec celles des contrées qui lui sont symétriques à l'Est de la Forêt-Noire.

Puis, ces accidents ont produit dans le relief des inégalités assez fortes pour que les climats présentent d'assez notables différences. Là aussi est un principe de divergences dans l'aspect du pays et les mœurs des habitants. Il suffit pour le moment de signaler ces causes. Dans l'ensemble tectonique de la région rhénane, des contrées se détachent, ayant leur vie propre, gardant un certain degré d'autonomie naturelle. Trois exemples, ou plutôt trois types, se présenteront à nous les Vosges d'abord, puis la Lorraine et enfin l'Alsace. Si étroitement apparentées qu'elles soient par leur origine, ces contrées, en vertu même des lois physiques de leur évolution, n'ont pas cessé d'accentuer leur individualité propre. Relief, hydrographie, climat se sont développés dans le sens de diversité croissante.

LES VOSGES

CHAPITRE PREMIER

ASPECT GÉNÉRAL.

se

ES lignes d'un vert sombre, parmi lesquelles peu de formes particulières se détachent, annoncent de loin les Vosges, dans l'atmosphère nettoyée par les vents d'Ouest. A mesure qu'on s'en approche, la douceur générale des profils continue à être l'impression dominante, mais on distingue dans les formes quelque chose de robuste. Des montagnes trapues s'élèvent sur de larges bases; et sans ressauts, comme d'un seul jet, s'achèvent en cônes, en pyramides, en dos allongés ou parfois, quoique plus rarement qu'on ne dit, en coupoles. Au Sud, dans le massif tassé, laminé, injecté de roches éruptives, qui constitue le noyau le plus ancien, les chaînes s'ordonnent en longues rangées compactes, serrées les unes contre les autres, qui font l'effet de vagues accumulées. La vallée n'est entre elles qu'un sillon étroit et profond. Dans la région moins dure que constitue le grès permien aux alentours de Saint-Dié, les lignes se dégagent, les montagnes s'individualisent mieux, tout en conservant leur modelé caractéristique. Elles se campent les unes à côté des autres, dans leur superbe draperie de forêts.

Lorsque les roches archéennes disparaissent sous la couverture des couches sédimentaires qu'elles n'ont crevée qu'en partie, d'autres formes prennent le dessus. Ce sont celles qui caractérisent le grès dit vosgien, dont les roches rougeâtres, au grain très fin, couvrent au Sud le flanc occidental, et vers le Nord, à partir du Donon, toute la chaîne. D'abord les plates-formes de grès coiffent les cimes du granit; bientôt le grès couvre aussi les flancs. Il devient véritablement

1. On distingue dans les Vosges trois espèces de grès. Ce sont, par ordre d'ancienneté, le grès permien dit aussi grès rouge; le grès vosgien, très quartzeux; le grès bigarré. Ces deux derniers constituent l'étage inférieur du système triasique.

expressif, lorsqu'il a été fortement travaillé par l'érosion. Il se délite alors en plaques épaisses, empilées les unes sur les autres, souvent en surplomb. Quelquefois, brusquement, il se termine en corniche audessus d'une vallée creusée en abîme. C'est naturellement près des cimes que la désagrégation des grès a engendré ces fantaisies pittoresques, qu'on prendrait de loin pour des constructions faites de main d'homme. L'homme, d'ailleurs, a suivi l'exemple de la nature; et souvent le burg s'est dressé sur les substructions et même en partie dans les flancs de la citadelle naturelle. L'instinct bâtisseur a emprunté au sol non seulement des matériaux, mais des modèles; et les constructions de toute âge qui, de Sainte-Odile aux environs de Saverne, attestent son œuvre, s'incorporent à la roche même. Ces grès, très perméables, laissent filtrer les eaux; et sur les sables produits par leur désagrégation, les rivières coulent dans des vallées étroites au niveau uni. Là, entre des prairies, « les eaux glissent sans bruit sur un sable assez fin1».

D'autres grès, plus argileux et de teintes plus bigarrées, apparaissent sporadiquement et finissent même, dans la région des sources de la Saône, par occuper toute la surface. De nouveau alors la topographie se modifie. Le relief se déroule en ondulations comme celles qu'on voit, entre Épinal et Xertigny, s'allonger à perte de vue vers l'Ouest. Au lieu de cônes à pans découpés, ce sont de molles croupes, le plus souvent cultivées, qui constituent les parties supérieures. Des étangs, faings ou tourbières, y marquent la stagnation des eaux. Quoique dans son ensemble le pays soit encore boisé, la forêt s'éclaircit; elle se décompose, pour ainsi dire, en un foisonnement d'arbres entremêlés de cultures, toujours assez maigres. Partout où dominent ces grès argileux, on constate le même changement. C'est une clairière de ce genre qui, dans la partie septentrionale des Vosges, constitue, au plus épais du massif forestier, le Pays de Bitche. Un roc de conglomérat, épargné par la dénudation, reste debout; il a fixé le site du fort et de la ville.

Partout cependant, soit qu'elle domine effectivement, soit que les défrichements l'aient morcelée, la forêt reste présente. Elle hante l'imagination ou la vue. Elle est le vêtement naturel de la contrée. Sous le manteau sombre, diapré par le clair feuillage des hêtres, les ondulations des montagnes sont enveloppées et comme amorties. L'impression de hauteur se subordonne à celle de forêt. Même après qu'elle a été extirpée par l'homme, la forêt se devine encore aux écharpes irrégulières qu'elle trace parmi les prairies, aux émissaires 1. Élie de Beaumont et Dufrénoy, Explication de la carte géologique de lu France, t. I, 1841, p. 286.

LA FORÊT VOSGIENNE.

qu'elle y projette, soit isolés, soit en bouquets d'arbres grimpant sur des blocs de roches. De ces prairies brillantes jusqu'aux dômes boisés, c'est une symphonie de verdure qui, par un beau jour, monte vers le bleu cendré du ciel. Mais le charme grave qui s'exhale du paysage ne parvient pas à dissimuler la pauvreté native du sol. Les substances azotées manquent à ces terrains presque exclusivement siliceux. Ces prés, sauf dans quelques parties privilégiées, ne nourrissent qu'un bétail mesquin; les vaches suisses ont peine à s'y entretenir.

Les distinctions que la géographie actuelle établit dans cet ensemble furent lentes à se présenter à l'esprit des hommes. Pendant longtemps tout se confondit pour eux en une région forestière, où l'arbre était roi, et où l'homme, en dehors de la chasse et des ressources dépendant de son ingéniosité, trouvait peu à vivre. C'était une de ces grandes silves qui de l'Ardenne à la Bohême couvraient la majeure partie de l'Europe. Sans quitter les bois on pouvait aller, vers le Sud-Ouest, comme vers le Nord, bien au delà de la contrée sur laquelle se localise aujourd'hui le nom de Vosges. Tout le pays des sources de la Saône appartient encore par la nature du sol à l'ancienne Forêt : c'est encore la Vôge, au dire des habitants. Et vers le Nord, après que la zone de forêts s'est momentanément amincie au col de Saverne, elle ne tarde pas à s'étaler de nouveau. Un écureuil pourrait sauter d'arbre en arbre dans la Haardt qui entoure en arc de cercle les plateaux que traverse la Sarre. A Forbach, comme à Bitche, comme dans le pays de Dabo, ou au Sud de Baccarat ou d'Épinal, les hêtres se mêlent ou se substituent aux sapins; mais c'est toujours même sol, même paysage forestier sur le sable et mêmes conditions d'existence. C'est là ce que saisit d'instinct le langage populaire. L'homme désigne et spécialise les contrées d'après les services qu'elles lui rendent. Pendant longtemps il ne put tirer qu'un maigre parti de ces solitudes silvestres. Il les confondit en un vague ensemble; et c'est ainsi que les habitants des contrées cultivées et fertiles qui en garnissent les abords parlaient, dès le temps de César, d'une Forêt des Vosges allant des environs de Langres jusqu'au pied des Ardennes. Cela voulait dire que dans toute cette étendue régnait une sorte de marche forestière, qui était pour les gens des plaines voisines une région inhospitalière et avare. Plus tard, avec les exagérations qui leur sont propres, les légendes issues des monastères traduisaient la même impression de répugnance. L'installation dans ces solitudes y est célébrée comme une entreprise héroïque.

Pour nous, aujourd'hui, cependant, les vraies Vosges, avec le petit monde vosgien qui s'y est formé, se concentrent dans le vieux

massif archéen et la région de grès qui en recouvrent immédiatement les flancs. Elles s'arrêtent au Nord vers le col de Saverne. A l'Ouest elles enveloppent la vallée de la Moselle jusqu'aux environs d'Épinal. Le massif semble, il est vrai, brusquement s'arrêter au Nord de Belfort; mais il est facile de s'assurer que par une sorte de torsion, il s'infléchit; car des fractures en étoilement montrent jusqu'aux abords de Plombières avec quelle intensité s'est encore exercée dans ce coin extrême des Vosges l'action dynamique.

Ainsi délimité, ce massif n'offre pas, comme les Alpes, un système ramifié de vallées; mais il n'est pas non plus un simple compartiment découpé de failles, comme le Harz ou la Forêt de Thuringe. Des vallées profondes, des plis étroits sans continuité absolue, mais en succession marquée, quelques longs couloirs comme ceux qui entaillent les grès permiens de Saint-Dié à Schirmeck ou à Villé, articulent l'intérieur et tracent les cadres d'une vie vosgienne originale. Aujourd'hui les influences extérieures l'assaillent de deux côtés; l'usine s'introduit par les vallées qui remontent de Lorraine et d'Alsace; mais au-dessus de 400 mètres vit encore une région plus purement vosgienne, dont la nomenclature est presque une description', et indique les formes de relief, d'hydrographie ou de végétation remarquées ou utilisées par l'homme.

Dans le vert des prés, dans l'étendue des faings, assemblages de tourbières et d'étangs qui s'étalent sur les plateaux rocheux, dans le nombre des lacs qui dorment dans les vallées ou qui garnissent les alentours des cimes, se montre l'empreinte du climat humide qui a contribué à modeler les Vosges. Souvent une brume obstinée voile les cimes. En hiver et en automne, des rafales du Sud-Ouest, n'ayant rencontré sur leur route aucune chaîne de la taille des Vosges, s'abattent avec leur fardeau de vapeurs sur les versants occidentaux, font rage sur les promontoires, tels que le Ballon de Servance, qu'elles frappent de plein fouet. Une immense faigne, d'aspect tout scandinave, s'étend aux sources de l'Oignon. Les rivières, sur le flanc occidental, s'enfoncent très loin vers l'intérieur du massif; elles se nourrissent de réservoirs spongieux qui criblent la surface. Les masses énormes de débris quartzeux répandues par les courants diluviens autour des Vosges, mais notamment en Lorraine, sont des phénomènes pleinement en rapport avec cette direction des courants pluvieux. Ils nous enseignent que si c'est à l'Est que les forces mécaniques internes ont produit les principaux acci

1. Basses, Creux, Collines, Faings, Voivres, Rupts, Feys, Chaumes, ou First, etc. First, synonyme allemand de Chaume, se change, par un quiproquo fréquent d'une langue à l'autre en fêtes, et même en fée (Hautes-Fêtes, Haut des Fées, Gazon de Fête).

CLIMAT.

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