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VIE DES VOSGES.

dents, c'est par l'Ouest que
s'est exercée surtout la force destructive
du climat : les traces laissées par les anciens glaciers jusqu'au delà
de Gérardmer attestent quelle fut, de ce côté, leur longueur.

Sur le Hohneck, des entassements de blocs granitiques arrondis montrent l'effet de ces destructions. Mais ce n'est pas seulement sur les roches que le climat a mis son empreinte. Au-dessus d'un niveau bien inférieur à celui qu'atteignent les arbres dans le Jura ou dans les Alpes, la végétation silvestre est mal à l'aise. Dès que les cimes dépassent environ 1 200 mètres, la forêt, si robuste dans les parties. inférieures, végète, se change en taillis buissonneux de hêtres tordus. marquant l'extrême résistance des arbres. Au-dessus de 1 300 mètres les arbres n'existent plus. On s'est étonné de cette limite relativement basse pourtant l'humidité spongieuse entretenue sur la surface peu perméable de roches, et au-dessus des plantes basses auxquelles la neige prête un abri, le déchaînement des vents, ne laissent à la végétation que la ressource de se faire rampante et humble; buissons ou gazons remplacent les arbres. A la forêt succède la chaume. C'est sous ce nom qu'apparaît, dans les Vosges, cette forme de végétation des hauteurs. A la différence des faignes, qui se trouvent à tous les étages, elle n'appartient qu'aux parties les plus élevées. Mais comme dans l'Ardenne, le Harz, c'est le même climat humide et venteux, qui substitue une nature tantôt herbeuse, tantôt marécageuse à la nature forestière.

Les chaumes ne sont pas dues à un recul de la forêt; peut-être ont-elles été élargies par l'usage séculaire des pratiques pastorales, mais elles ont toujours couvert une assez grande étendue dans les Vosges. On ne pourrait guère expliquer autrement la longue persistance de la faune originale de grands animaux dont parlent les témoignages historiques. Il y avait dans les Vosges, encore vers l'an 1000, des bisons, des aurochs, des élans, hôtes des grandes forêts hercyniennes, et qui ont disparu ou se réduisent à quelques individus confinés en Lithuanie ou sur les bords de la Baltique, gibier magnifique qui fit des Vosges un domaine de chasse cher aux Carolingiens. Une race de chevaux sauvages persistait encore au xvi° siècle. Plusieurs traits, dans cette faune, indiquent une nature de steppe. Elle se développa à la faveur du climat sec, dont l'apparition paraît bien prouvée aujourd'hui dans les intervalles glaciaires. C'est dans le læss des coteaux sous-vosgiens d'Alsace qu'ont été trouvés en abondance les ossements de chevaux sauvages, grands cerfs, rennes, chamois, marmottes, etc.'. Plus tard, les Chaumes, les éclaircies entre les forêts

1. Trouvaille faite en 1887 à Vöklinshofen, près de Colmar. (Voir Döderlein, Die diluviale Thierwelt von Vöklinshofen, Mitteilungen der Philomathischen Gesellschaft in ElsassLothringen, t. V, p. 86-92.)

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Les fractures qui s'étoilent autour du massif ont été tracées par M. Ch. Vélain, professeur à l'Université de Paris, d'après les reconnaissances qu'il a opérées sur le terrain pour la construction de la Carte géologique détaillée et dont il a bien voulu nous communiquer les résultats.

1. 1.

offrirent un refuge et des moyens de subsistance qui permirent à quelques espèces de se maintenir longtemps.

Dans le développement de la vie,, comme dans la structure, les Vosges offrent l'intérêt d'un fragment de monde ancien, curieusement situé entre des contrées que des courants de circulation sillonnent et renouvellent. Peu à peu l'ensemble des formes animées qui s'y était concentré disparaît, cède à l'intrusion de formes nouvelles. La flore de physionomie boréale, héritage des époques glaciaires, restreint de plus en plus son domaine, limité désormais aux parties les plus hautes ou les moins accessibles. Tel a été aussi le sort de ces animaux, également legs du passé, que leur taille et leurs exigences de nourriture livrèrent à une destruction plus ou moins rapide. Les Vosges se modernisent dans leur population d'êtres vivants, comme dans leur aspect. Les populations humaines qui les ont primitivement habitées, et qui nous ont légué dans les dolmens, les abris sous roches, les enceintes fortifiées, des traces de leur occupation, ont sans doute laissé des éléments dans la population actuelle; mais il semble que leurs débris, émiettés dans quelques vallées, soient destinés aussi à se fondre prochainement. La redoutable force de l'industrie moderne, avec les habitudes qu'elle semble trop généralement entraîner, portera peut-être le dernier coup à ces survivants.

L'élément le plus ancien de la population vosgienne appartient au même type brachycéphale que celui qui prévaut dans le Morvan et le Massif central. Traversé par d'autres couches de populations, que l'exploitation des mines ou une colonisation sporadique ont, à diverses époques, implantées jusque dans l'intérieur des Vosges, il subsiste néanmoins dans les hautes vallées des deux versants. Il descend sur le versant oriental avec les vallées dites welches, qui ont conservé leur patois roman. Une empreinte gauloise prononcée reste sur les Vosges. Les plus anciens monuments où se marque la main de l'homme ressemblent à ceux qui existent en différentes parties de la Gaule. Le Donon, comme le Puy de Dôme, a son culte perpétué plus tard par un temple. Sur le promontoire fameux où la légende de sainte Odile a succédé peut-être à quelque ancien sanctuaire, se dressent les restes d'une enceinte fortifiée semblable à celles qui couronnaient le mont Beuvray et d'autres sites stratégiques d'oppida gaulois. Ce fut sans doute un refuge, rendu nécessaire par les invasions qui vinrent de bonne heure assaillir la riche plaine. Chaque jour, les découvertes préhistoriques nous font mieux apprécier l'importance des groupes de population qui avaient occupé les fertiles terrasses limoneuses bordant le pied oriental du massif. Menacées par des ennemis, les

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POPULATIONS
HUMAINES.

populations du versant alsacien recherchèrent sur les sommets l'abri des fortifications naturelles. Ce sont elles qui ont dressé sur les cimes ces camps retranchés dont on voit des restes non seulement à Sainte-Odile, mais à Frankenburg, à l'entrée du Valde-Villé. C'est partout le rôle de la montagne d'offrir asile aux races refoulées.

Bien plus âpre, bien plus longue est la pénétration par le versant opposé. La vallée lorraine, irrégulière et raboteuse, serpente péniblement sur le flanc occidental du massif. Elle est tournée vers les vents pluvieux. Elle n'a ni le climat, ni les ressources naturelles des vallées du flanc opposé, ni le châtaignier, ni la vigne. C'est par saccades et par des efforts répétés qu'une population parvint à s'y constituer. Plus encore que sur le côté alsacien, il fallut l'action systématique des monastères pour introduire dans ces solitudes forestières la culture et la vie Épinal, Remiremont, Saint-Dié, Senones, Étival, etc. La vallée lorraine des Vosges ne s'est peuplée et n'a vécu que par l'appui des petites villes qui se sont formées sur sa périphérie. Plusieurs de ces villes gardent encore quelque chose de la physionomie de ces marchés urbains qui, à proximité des montagnes, s'établissent pour servir aux transactions avec les montagnards. Leurs grandes halles, leurs rues à arcades, leurs larges places les caractérisent, aussi bien que les eaux vives de leurs fontaines. C'est là que le Vosgien venait, à époques fixes, troquer son bétail ou les produits de son industrie, pour le grain nécessaire à sa nourriture, pour le lin qui devait occuper son travail d'hiver.

Avec la ténacité caractéristique de nos vieilles races de montagnes, une population s'implanta jusque dans les intimes replis du massif. Elle se fit place aux dépens des forêts, sur les flancs inférieurs des vallées, sur les versants où s'attardent les rayons du soleil. Dans les basses, le long des collines, tant qu'il fut possible de faire pousser entre les pierres quelques-unes de ces récoltes de seigle ou de méteil qu'on voit encore à moitié verts à la fin d'août, s'éparpillèrent les granges, séjours permanents de ces montagnards. Ces maisons larges et basses, dont les toits en bardeaux s'inclinent et s'allongent pour envelopper sous un même abri le foin, les animaux et les hommes, sont les dernières habitations permanentes qu'on rencontre avant les chalets où les marquaires viennent, en été, pratiquer leur industrie 1. Quelquefois un coin de terre plus soigné où l'on cultivait un peu de chanvre, où croissent quelques légumes, avoisine ces granges. On voit, dans les vallées qui confluent à la Bresse, le domaine qu'elles

1. Marquaire, altération française de melker (celui qui trait les vaches).

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