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sent à cette disposition fondamentale. Mais la surrection des Vosges semble avoir déchaîné de bonne heure des forces torrentielles dont la contrée a fortement subi l'empreinte. Quelle idée ne faut-il pas se faire de leur action, quand on retrouve sur des coteaux de plus de 400 mètres, près de Nancy, des blocs roulés d'origine vosgienne! Il est certain que les eaux courantes, avant de se combiner dans le réseau actuel, ont dans leurs divagations largement déblayé la surface. Elles lui ont imprimé ce modelé singulier dont Élie de Beaumont a magistralement résumé les principaux traits, tels qu'on peut les embrasser d'ensemble du haut des Vosges. Voilà bien, entre des surfaces planes ou mollement ondulées, ces monticules isolés qui se dressent comme des témoins. Ici les eaux ont librement vagabondé; elles ont déposé d'énormes nappes d'alluvions siliceuses qui, couvertes de forêts, font des taches noires dans la plaine. Là elles ont été arrêtées par des roches plus dures. Un combat, dont nous pouvons suivre les phases et les résultats dans la sculpture du sol, s'est engagé. Les roches calcaires, d'origine en partie récifale, dont la ligne s'opposait vers l'Ouest à l'irruption des eaux vosgiennes, ont fini par en avoir raison. Déchiquetée et même temporairement rompue, cette ligne a pu néanmoins prévaloir comme barrière. Les rivières se rangent, se réunissent à ses pieds; elles infléchissent leur direction d'après celle de l'obstacle. Elles cessent de suivre entre elles ce cours presque parallèle qui est le mode normal de ruissellement sur un talus incliné. Dès ce moment aussi cesse le type de Plaine ou Plateau, qui caractérisait jusqu'alors la région lorraine. Il fait place à un type différent, de dessin plus ferme, d'architecture plus soutenue: au plateau succède un pays de coteaux et de terrasses.

La combinaison de ces deux formes constitue la Lorraine le tout dans un espace restreint. C'est un ensemble qu'il est aisé d'embrasser d'un coup d'œil. Que ce soit de quelque cime des Vosges, ou de quelque belvédère situé le long de la côte oolithique, le regard, prévenu de ces contrastes, les retrouve, les compare, va de l'un à l'autre. Des raides coteaux qui enserrent à demi Nancy, on voit lentement s'élever vers l'Est les lignes assez tristes qui marquent la pente ascensionnelle du plateau. Ou bien il faut monter sur la colline si nettement détachée, si naturellement dominante que les hommes en ont fait de bonne heure une forteresse et un temple. Le coteau de Sion-Vaudémont est un excellent observatoire naturel. A l'Ouest les lignes sombres et plates de forêts s'enfoncent à l'horizon; à l'Est se déroule, dans sa gravité, la terre lorraine. Ni bois, ni prairies ne manquent, mais ce qui domine, ce qui revient toujours entre les villages disposés en échiquiers, c'est le

champ de labour, c'est-à-dire le sol nourricier dont s'est formé un peuple.

Il y a dans le plateau même autant de nuances et de variétés PLATEAU LORRAIN. que de zones de terrain. Avec la nature du sol changent la forme des vallées, l'aspect topographique, les cultures. Aux calcaires d'époque triasique correspondent ces campagnes pierreuses d'où les céréales ont presque éliminé les bois. Puis, la topographie se mamelonne davantage. Une glaise blanche, veinée de rouge, apparaît dans les fossés ou les tranchées. Dans les champs, de puissants attelages de chevaux ont peine à remuer cette terre gluante. Les eaux ont largement affouillé ces « marnes irisées » ; c'est à leurs dépens que se sont étendues les alluvions siliceuses dont le sol gris et spongieux porte les forêts plates à l'Est de Lunéville. Plus bas, les grands courants ont hésité devant la digue que leur opposaient les calcaires qui constituent l'étage inférieur du lias. Ce premier obstacle ne devait pas réussir à les arrêter; mais l'indécision du lit, les ramifications des rivières, l'effacement momentané des vallées montrent les difficultés qu'en ce passage a rencontrées leur écoulement. La Meurthe à Rosières-aux-Salines, la Seille en amont de Château-Salins, se traînent à la surface du plateau. Des étangs parsèment la région déprimée où se forme la Seille.

C'est là qu'affleurent les puissantes couches de sel qui se déposèrent par évaporation dans les lagunes des mers d'âge triasique. Quelle est au juste leur étendue? On l'ignore. Mais on sait que de temps immémorial les hommes exploitèrent les ressources de ce pays à sel. On a relevé des traces d'établissements anciens sur les terrains consolidés entre les marais, des vestiges de briquetages destinés peut-être à en rendre les abords praticables. Là sans doute, comme à Hallstatt, ou comme à Kissingen en Franconie, prirent place d'antiques exploitations but de routes, source convoitée de richesse dont il importait d'assurer la défense. Ce pays, le Saulnois, est certainement ainsi une des parties de la Lorraine où se déposèrent le plus tôt des germes de vie urbaine. Les petites villes qui le peuplent, Marsal, Château-Salins, appartiennent à la famille nombreuse en Europe de celles qui doivent leur nom au sel. Le transport de cette denrée donna lieu à des transactions étendues. Sur les berges de la rivière par laquelle les chargements de sel gagnaient Metz et Trèves, la forteresse en ruines de Nomény semble en sentinelle. Au nombre des causes de l'importance précoce de Metz il faut probablement compter sa position au confluent de la rivière de la Seille; il y eut là sans doute, comme sur la voie du sel entre les Alpes et la Bohême, une étape anciennement fréquentée par ce genre de commerce.

LE SAULNOIS.

PAYS AGRICOLES.

Déjà, au-dessus de ces plateaux, des coteaux isolés attirent l'attention. La côte de Virine domine de plus de 120 mètres son piédestal; des témoins semblables surgissent çà et là, vers Dieuze, GrosTenquin, etc. Ce sont les avant-coureurs de la formation marneuse et calcaire (de l'époque du lias), qui d'abord par lambeaux, puis avec continuité, va prendre possession de la surface. Le Madon à Mirecourt, la Moselle à Charmes, la Meurthe à Saint-Nicolas, la Seille à Château-Salins pénètrent dans cette zone, qui est celle du plus riche sol de la Lorraine. Paysage médiocre que ces vallées à berges molles encadrant le fond de prairies qui borde la rivière! Mais la vigne, à peu près absente jusque-là, garnit ces croupes; des villages situés dans toutes les positions, dans la vallée, à mi-côte, sur les plateaux, attestent la variété des ressources. Quelques forêts encore assombrissent la plaine, mais sur de grandes étendues le sol roux ne porte que des moissons. Des pays agricoles se sont formés ainsi et gravés dans la nomenclature populaire : le Xaintois à l'Ouest de Mirecourt, le Vermois entre la Moselle et la Meurthe, renommés de bonne heure pour leur fertilité. « Quand le Xaintois et le Vermois sont emblavés, la Lorraine ne risque point de mourir de faim» et dans ce dicton local on retrouve le persévérant instinct d'autonomie qui fait que pour ses habitants la Lorraine représente quelque chose qui se suffit à lui-même, qui vit de ses propres ressources.

Elles sont grandes en effet, bien qu'achetées toujours au prix d'un dur travail. Ce plateau, qui vient à l'Ouest expirer au pied des côtes oolithiques, est le noyau constitutif de la Lorraine. La frange des coteaux qui le terminent ajoute une parure à cet ensemble; mais le sol nourricier qui permit à des groupes d'hommes de se multiplier, de se constituer en force et en nombre, appartient à cette grande surface battue des vents, qui garde longtemps un niveau élevé et conserve encore dans sa végétation sauvage des restes d'espèces arctiques. La température y est rude; un ou deux mois de gelée sont, environ chaque année, le triste contingent de l'hiver; la végétation montre un retard de près de deux semaines sur celle des coteaux. Cependant ce climat apporte en été assez de chaleur pour qu'au-dessous de 300 mètres la vigne puisse prospérer, quand elle a eu la chance d'échapper aux gelées tardives. De la variété des couches entretenant de fréquents niveaux d'eau, de l'abondance des phosphates de chaux et des substances fertilisantes, s'est constitué un sol fécond et largement habitable. Les champs, les bois, et même les prairies, quoiqu'en moindre étendue, y sont enchevêtrés et assez rapprochés pour que, si voisins que soient les villages, ils disposent chacun de ces diverses commodités d'existence. Les matériaux de

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CARTE 35. LE XAINTOIS, PAYS DE LA PLAINE LORRAINE.

Ce pays agricole, circonscrit dans un hémicycle de forêts qui suit les grès infraliasiques, a la topographie molle que donnent les marnes du lias. Les cultures de céréales y occupent environ 62 p. 100 du territoire. De très anciennes mentions dans les chartes attestent son importance précoce. Les villages s'y serrent en fortes unités agglomérées. Mais la population est entrée, depuis quarante ans, dans une voie de diminution rapide.

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POPULATIONS
DU PLATEAU

LORRAIN.

construction s'offrent sur place et en abondance: ici pierres calcaires, là briques ou tuiles, le bois partout. Cette terre, pourvu que des attelages robustes en déchirent les flancs, fournit à l'homme tout ce qui lui est utile; elle est reconnaissante, mais, il est vrai, sans grâce et sans sourire.

La population qui en tire parti se compose de petits propriétaires; race économe, calculatrice et utilitaire. Des lots d'exploitation agricole très morcelés forment le patrimoine de ces habitants strictement groupés en villages; ceux-ci, très uniformes, très régulièrement répartis. Le passé n'y a guère laissé de châteaux; le présent n'y a pas implanté d'usines. La monotonie de l'aspect n'est que le juste reflet de l'uniformité d'occupations et de conditions sociales. Dans la plate campagne, des communautés rurales aux noms généralement terminés par les désinences court ou ville, s'espacent à trois ou quatre kilomètres de distance. Il est rare qu'elles contiennent plus de 300 personnes; souvent il y en a moins. Là se concentrent tous les travailleurs et propriétaires, y compris le berger communal. Tout rentre dans le village : les pailles, qu'il est nécessaire d'engranger; le bétail, qui ne peut passer la nuit dehors.

De loin, on n'aperçoit qu'un groupe pelotonné de maisons presque enfouies sous des toits de tuiles descendant très bas. Une ou deux routes, bordées de peupliers, sont le seul ornement des abords. L'organe central est une large rue irrégulière, où se trouvent les puits, les fontaines, ou parfois de simples mares. Fumier, charrettes, ustensiles agricoles se prélassent librement sur l'espace ménagé des deux côtés de la chaussée, le long des maisons. La force d'anciennes habitudes, un certain dédain de l'agrément transpirent dans l'aménagement de ces villages agricoles lorrains : le jardin n'est qu'un potager; un toit commun abrite hommes, bêtes et granges. Néanmoins la maison est en réalité ample, bien construite. Elle paraît triste quand on vient d'Alsace ou des Vosges; rien n'est sacrifié au pittoresque. C'est la demeure d'une population depuis longtemps figée dans ses habitudes, ennemie des innovations. Sur cette terre, qui nourrit sans enrichir, les rapports de l'homme et du sol semblent manquer d'élasticité. Le pays vosgien nous avait offert le spectacle de rapports en perpétuel mouvement, s'assouplissant aux conditions d'une nature. variée, substituant tour à tour le hameau au chalet, l'usine à l'abbaye. Rien de semblable ici : le contraste n'est pas seulement dans l'aspect, le relief, la nomenclature : il est aussi dans l'homme.

On se sent en présence d'un type frappé à l'effigie du sol. Cette population de villageois-campagnards représente un groupe plutôt géographique qu'ethnique. Sur les limites de la Bourgogne comme

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