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effondrée, les passages faciles se multiplient. Bitche, non moins que Saverne, offre une voie naturelle; elle conduit vers Metz, comme celle de Saverne vers Toul et Paris.

Cette chaîne de relations se lie, à Strasbourg, avec la navigation désormais plus facile du Rhin, avec les voies qui, par la dépression de Pforzheim, se dirigent vers le Neckar et le Danube. L'importance de la cité où se nouent ces rapports ne pouvait que s'accroître. Elle tenait les passages. On retrouvait la domination de ses évêques sur les roches qui surmontent Saverne, comme sur les coteaux d'Offenburg, qui surveillent la rive droite du Rhin.

Ce fut ainsi une nouvelle personnalité urbaine, commerçante et guerrière, qui grandit dans la famille des cités d'Alsace. Elle les domine, comme la flèche de sa cathédrale domine au loin les arbres parmi lesquels elle s'élance; mais elle est des leurs. C'est une république urbaine plutôt qu'une capitale de province. L'Alsace resta toujours le pays fortement municipal, dont la vie ne s'est jamais concentrée dans un seul foyer. De cette vie urbaine sont sorties les fécondes initiatives, aux temps de l'humanisme comme aux débuts de l'industrie moderne.

Chose remarquable cependant, l'autonomie de ces robustes individualités, urbaines, villageoises ou régionales, n'a pas nui au sentiment de l'unité de la contrée. Celle-ci a été aimée et étudiée comme peu d'autres. Une harmonie toujours présente s'exhale de cet ensemble que le regard peut presque partout embrasser la montagne, la plaine, le fleuve. Le monde de souvenirs et de légendes qui s'y rattache s'associe aux premières imaginations de l'enfance. Enfin même cette nature d'Alsace, tout empreinte encore de l'action puissante des phénomènes géologiques, garde certains traits de nature primitive, pour lesquels est ordinairement mortel le contact d'une civilisation avancée là peut-être est son charme le plus exquis, le principe de son action profonde sur l'homme.

LIVRE II

ENTRE LES ALPES ET L'OCÉAN

La France s'amincit entre les Alpes et l'Océan. Il n'y a guère à vol d'oiseau que 550 kilomètres entre Genève et La Rochelle, moins encore entre Grenoble et l'embouchure de la Gironde. Cette partie de notre territoire ménage ainsi aux populations et au commerce de la Suisse et de l'Italie du Nord une possibilité d'atteindre promptement l'Océan. Les Romains tirèrent parti de cette proximité, et tracèrent de Lyon une voie gagnant directement l'Océan. Des rapports se nouèrent ainsi entre l'Italie du Nord, la vallée du Rhône, le Massif central et la Saintonge.

Toutefois les conditions générales de structure opposent des obstacles. La région qui comprend les Alpes et le Jura, la vallée du Rhône, le Massif central a été plissée et disloquée plus qu'aucune autre. Des chaînes se sont dressées, tandis que des compartiments d'écorce terrestre s'enfonçaient. La direction de ces accidents est généralement du Sud au Nord ou du Nord au Sud : elle se répète dans les vallées du Rhône, de la Loire et de l'Allier, parties enfoncées; comme dans les chaînes des Alpes et du Jura, dans les massifs du Vivarais et du Beaujolais, parties en saillie.

Ces obstacles qu'il faut successivement traverser de l'Est à l'Ouest, diminuent, il est vrai, vers le Nord. A Lyon, la barrière est déjà atténuée. On gagne par Tarare la vallée de la Loire. Cependant il faut s'avancer encore plus loin vers le Nord et parvenir jusqu'au Charolais pour trouver un seuil où les montagnes s'effacent temporairement, et où il a été facile de pratiquer un canal de jonction entre la Saône et la Loire.

Le Massif central, qu'on rencontre au delà, s'abaisse et s'incline, dans son ensemble, vers l'Ouest. Toutefois les hauts plateaux du Limousin constituent avec les grands volcans d'Auvergne un noyau

montagneux que les communications évitent, et qu'elles doivent tourner, soit au Nord par la Marche, soit au Sud par le Quercy et le Périgord.

Telles sont les lignes générales qui doivent nous guider dans ce deuxième livre. La région dont nous abordons l'étude se subdivise naturellement en deux parties principales: 1° le sillon du Rhône et de la Saône avec son encadrement de montagnes; 2o le Massif central et sa liaison avec les plateaux calcaires qui, à l'Ouest, s'inclinent vers l'Océan.

I

LE SILLON DE LA SAÔNE ET DU RHÔNE

INTRE la zone des plissements alpins et le front de résistance

ENT

que les anciens massifs leur ont opposé à l'Ouest, il s'est produit, comme entre les massifs de Bohême et les Carpates, une longue dépression. Il faudrait plutôt dire une série de dépressions, car elles diffèrent entre elles de dimensions et de structure. Mais elles sont liées ensemble et tracent ainsi une voie qu'ont suivie les eaux et les hommes. Rien n'y rappelle l'harmonieuse symétrie de la vallée du Rhin. Beaujolais et Jura, Cévennes et Alpes sont dissemblables; les deux bords se montrent constamment dyssymétriques. L'ancien bassin lacustre qui a préparé la vallée de la Saône et le fiord pliocène marin qui a frayé la voie au Rhône, sont deux formes hétérogènes soudées ensemble. Chaque étape vers le Sud amène un changement d'aspect, d'autres rapports. Nous entrons dans une région où les oppositions se pressent, et où le contraste est la règle.

L'unité réside dans la direction que conserve ce sillon tourmenté, souvent rétréci, mais très anciennement esquissé. Ce genre d'unité favorise l'établissement d'une route de commerce, plutôt que la formation d'un État. Une certaine harmonie de proportion est nécessaire pour un développement politique de quelque importance. Cet avantage, que possède le Bassin parisien, manque à la vallée du Rhône. Ce couloir trace un cadre trop étroit pour que la vie d'un État distinct s'y meuve à l'aise.

LA BOURGOGNE

CHAPITRE PREMIER

PORTE

DE BOURGOGNE.

E heurtant aux approches des Vosges, les chaines plissées du

Sheulant and approche'svers le Nord-Est, s'infléchissent vers

l'Est. Un intervalle s'ouvre ainsi, d'environ 20 kilomètres; c'est la porte de Bourgogne. D'abord la contrée, monotone, ondule entre des étangs, des prairies, des lambeaux de bois. Mais elle ne tarde pas à s'accidenter; et vers Belfort, pour peu que l'œil soit exercé à saisir les variétés de formes de terrain, des singularités le frapperont. Le pays reste ouvert, partout pénétrable, sans être pourtant une plaine. Quelque chose de morcelé, d'hétérogène, perce dans les diverses aspects du relief et du sol. Les Ballons, brusquement terminés, dominent de 800 mètres une nappe d'alluvions siliceuses dont la surface, semée d'étangs, est colorée par des argiles rouges. La provenance de ces alluvions ne saurait faire doute; elles viennent des Vosges; mais le sol vosgien ne s'arrête pas là. Çà et là, au nord et à l'ouest de Belfort, des croupes arrondies, des dômes boisés s'élèvent isolément : Salbert, Chérimont, Forêt de Granges, à la végétation siliceuse, aux pentes humides, trempées de prairies et d'anciens marais. Au contraire, tranchant par leur couleur rousse, leur sécheresse, leur forme en éperons, des buttes calcaires pointent et s'alignent le roc armé et sculpté de Belfort, les Perches, le Mont-Vaudois; toute une série de témoins qui se succèdent vers le Sud-Ouest. Ainsi semblent se pénétrer, s'entre-croiser le pays vosgien et le pays jurassien. Ce morcellement et ce mélange de formes sont bien d'un pays de transition. L'incohérence des traits a été aggravée par les atterrissements confus accomplis par les eaux. Deux régions se rencontrent et semblent

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