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La Bourgogne est, au contraire, au plus haut degré une contrée politique, placée sur les routes de l'Europe. Les positions de villes, de centres féodaux, tiennent aux passages si nombreux que nous avons décrits.

La réapparition même des roches granitiques dans le Morvan et le Charolais n'interrompt guère vers l'Ouest la liberté des communications. Car toute cette extrémité septentrionale du Massif central a été étonnamment morcelée. Au cœur du Morvan, un ancien bassin permien, dont les schistes offraient aux eaux moins de résistance, subsiste : c'est le bassin d'Autun, centre de voies romaines. Entre l'Autunois et le Charolais, une dépression allongée, que signalent les plus anciennes cartes de France', partage ses eaux entre la Loire et la Saône. Entre le Charolais et le Mâconnais, des accidents géologiques ont, par effondrement, produit une sorte de golfe de plaine que sillonne la Grosne et où s'est placé Cluny. Au point où la rivière quitte les terrains primitifs et débouche parmi les calcaires, dans un horizon de prairies et de forêts, la célèbre abbaye dresse ses blanches tours romanes. Avantageusement placé pour influer à la fois sur la Loire et sur la Saône, Cluny est néanmoins tout bourguignon, par le site et par les hommes. On laisse derrière soi les vieux pays retirés, les landes de genêts et bruyères où de vieilles femmes. filent leur quenouille au bord des haies. Les sommets des montagnes, usés par la culture, deviennent gris et chauves; mais sur leurs pentes s'étale, entre des murs de pierre sèche, la grande rangée de vignobles, parsemés de fermes riantes et ouvertes, de villages, de châteaux, qui descend sans interruption jusqu'à la plaine aux hauts peupliers, dont Mâcon tient l'entrée.

En face de ces ouvertures multiples, le Jura tourne vers la Saône sa belle vallée du Doubs, ses riants bassins ou reculées taillées par les eaux dans la bordure marneuse qui longe les calcaires. A Salins, siège d'un comté puissant, s'amorce la route qui, par Pontarlier, coupe le Jura. Les grandes diagonales européennes, du Pas de Calais aux passages principaux des Alpes, traversent la vallée de la

Saône.

Ainsi s'ouvre en directions différentes, largement associée à ce qui l'entoure, la Bourgogne. La Méditerranée et les Pays-Bas, les pays rhénans et la France du Nord y ont mêlé leurs influences de. civilisation et d'art. Les monastères bourguignons, Cluny et Citeaux, pépinières de fondations lointaines, centres d'organisation et de gouvernement, furent de vraies capitales de la Chrétienté. La rivière

1. Geografia di Francesco Berlinghieri, Fiorentino, in terza rima (Florence, vers 1478, in-fol.), carte 6.

LA BOURGOGNE

CONTRÉE

POLITIQUE.

n'a créé sur ses bords que des villes de batellerie et d'entrepôt; c'est surtout au pied des montagnes que se sont, de part et d'autre, fixés les sièges d'influence politique.

Il en est résulté un dualisme qui date de loin: il se montre dans la domination rivale des Édues et des Séquanes, qui se disputaient les péages de la Saône; puis dans la juxtaposition des diocèses ecclésiastiques de Langres et de Besançon, dans celle enfin de la France et de l'Empire. Trop envahie par les forêts et par les eaux, la vallée n'a pas l'ampleur et la force nécessaires pour fixer un centre de gravité politique. Il manqua toujours à la Bourgogne une base territoriale en rapport avec l'étendue des relations qui s'y croisent. La position est propre à inspirer des tentations illimitées d'accroissement et de grandeur; on s'explique le rêve de Charles le Téméraire. Mais il y a dans la structure géographique un principe de faiblesse interne pour les dominations qui essayèrent d'y prendre leur point d'appui.

LA RÉGION LYONNAISE

CHAPITRE II

A

UX approches de Lyon, les traits se concentrent. L'intervalle entre le bord de l'ancien massif et les chaînes du Jura se réduit à 40, puis à 30 kilomètres. La dyssymétrie et les contrastes, entre la zone plissée, d'un côté, et le massif d'achoppement, de l'autre, s'accusent mieux. Ils cessent d'être atténués par l'écartement des lignes, par l'existence de couches sédimentaires en couverture sur les roches archéennes ou en rideau devant elles. Après le Mont d'Or, dernière et grande vague qui se dresse au nord de Lyon, les coteaux calcaires disparaissent pour longtemps du bord oriental de la vallée. On ne les retrouvera qu'aux abords de Valence, avec la Montagne de Crussol, dont la silhouette signale par sa couleur autant que par sa forme la réapparition des roches calcaires et le commencement du Midi.

Entre le Jura méridional et les monts du Lyonnais, si voisins qu'ils soient, les contrastes abondent, dans le relief comme dans la végétation et les habitants.

Il est impossible de traverser le Jura sans conserver une image très définie, très nette. Cela tient à la simplicité et à la fréquente répétition des mèmes formes. Lorsqu'on peut, de quelque distance, en embrasser une certaine étendue, ses chaînes semblent se confondre en une série de lignes soutenues, allongées, qui ne sont ni dentelées comme dans les Alpes, ni arrondies comme dans les vieux massifs. Lorsqu'on pénètre, il est vrai, dans ce petit monde jurassien, on perd l'illusion de cette régularité. Les crêts abrupts, les cluses étroites et courtes, les combes arrondies, les vals allongés, donnent un ensemble de formes qui n'est pas assurément sans grâce et parfois

JURA.

UN VAL

DANS LE JURA.

sans grandeur. Mais les lignes soutenues reviennent sans cesse; elles obsèdent le regard et l'esprit.

Le regard ne se promène pas sans fatigue sur les blanches. rocailles sans eau. C'est seulement de loin en loin que, sur les plateaux fissurés et secs, quelque ravinement a été poussé assez bas pour mettre à découvert les trésors cachés d'hydrographie souterraine. Alors des sources magnifiques miroitent entre les parois moussues des roches. Des rivières surgissent, formées dès leur naissance 1. Brusquement, par des coudes, ces rivières passent d'un val à un autre; elles prêtent leur force à l'industrie, au flottage, mais non à la navigation; elles ne forment pas une vallée unique, mais elles. relient un chapelet de vals successifs.

Le tout donne l'impression d'une masse homogène qui a conservé en partie sa structure primitive. La simplicité de cette structure se montre sinon intacte, du moins assez clairement encore à découvert. Ces plis longitudinaux qui se déroulent en faisceaux, divergeant ou convergeant tour à tour, enferment entre eux des sillons de forme elliptique. C'est bien le canevas du dessin, celui qui retrace les voies primitives d'écoulement des eaux. Il est arrivé souvent, il est vrai, que le sommet des voûtes, détruit par l'érosion, s'est transformé en combe; les rivières sont parvenues à amincir, puis à détruire les parois interposées entre deux sillons limitrophes. Cependant les traits fondamentaux subsistent. Le val, entre les plis qui l'enlacent, reste l'unité principale, autonome dans son cadre. Des traînées de lacs montrent que le drainage est encore inachevé. En se frayant à travers chaines et plateaux les voies capricieuses qu'elles ont adoptées, les rivières n'ont pas encore entièrement réussi à entraîner les couches de marnes et d'alluvions qui remplissent les parties synclinales des plis.

Ces vals occupent les parties les plus hautes. Ils se répartissent surtout à l'Est et au Sud. Il faut franchir la zone du vignoble, puis celle des plateaux arides et forestiers qui lui succède au-dessus de de 400 mètres. On voit alors, entre l'Ain et la Valserine, entre celle-ci et la Bienne, entre la Bienne et l'Ain, le long du cours supérieur de l'Ain et du Doubs, se dessiner de petites unités cantonales qui ont leur nom spécial. Le Valromey, le val Mijoux, le val de Mièges, et plusieurs autres, sont des noms et des entités vivantes. C'est d'après ces divisions que les habitants se connaissent et se distinguent.

Entre les barres ou crêtes de calcaires qui en dessinent l'encadrement, l'existence de ces populations des Vals tient aux qualités du sol marneux, d'âge néocomien, qui en occupe le fond. Assez argileux

1. Sources de la Loue, du Dessoubre, du Doubs. Orbe au-dessus de Vallorbe, etc.

pour garder l'humidité, ce sol doit aux débris calcaires qui s'y combinent avec l'argile une abondance de sels savoureux et une facilité à se désagréger et à s'échauffer, qui le rendent très propre à la formation de prairies. Souvent, par bouquets épars, les arbres se mêlent aux prés, et composent ainsi ces prés-bois où le feuillage filtrant les pluies, tamisant les rayons, prête son ombre aux vaches qui errent sur ces hauts lieux. C'est alors une impression de grande douceur. Des pâtis communaux s'étalent sur les versants rocailleux qui séparent le fond du val et le sommet des hauteurs. Enfin, bordant les cimes, des forêts de sapins et d'épicéas semblent isoler du reste du monde ce petit coin écarté.

A la faveur de cette avantageuse combinaison de bois, de prairies, de pâturages, à laquelle s'ajoute la pierre à bâtir, naquit, sans doute au Moyen âge, sous l'influence des églises ou des seigneurs qui cherchèrent par des franchises à y attirer des colons, un type intéressant de vie pastorale. L'originalité de la géographie politique du Jura tient au développement harmonique qu'a pris ce mode d'existence. Les ressources des pâtis communaux se combinent avec celles des prairies. Pendant les longs hivers séparés du monde, une industrie domestique des plus variées a pu élire domicile dans les belles et larges maisons de pierre, qu'on s'étonnerait de trouver à des hauteurs de plus de 800 mètres, si la montagne n'en fournissait pas les matériaux. Ces cadres fermés de faible étendue ont rendu naturelle et facile la pratique des associations ou fruitières. Ils conviennent à de petites sociétés concentrées. Cependant aux ressources locales s'ajoutaient, autrefois surtout, des habitudes d'émigration temporaire. Ces habitants des Vals, qui revendiquent pour eux seuls le titre de montagnots, étaient connus dans l'ancienne France. Ceux de Grandvaux se livraient au roulage; ceux de Nantua allaient peigner le chanvre; d'autres encore avaient leurs métiers ambulants et temporaires. Bien des causes travaillent aujourd'hui à désagréger ces communautés cantonales; il est à souhaiter que l'esprit d'association et d'industrie les défende. Elles sont, dans le corps national, un ferment d'esprit d'initiative et d'entreprise.

Le Massif central projette au sud de Lyon son promontoire le plus occidental; éperon de roches de gneiss et de granit, qui semble avoir refoulé devant lui les dernières chaînes méridionales du Jura. Dès qu'on a dépassé vers le Sud la route qui par Beaujeu mène de la Saône à la Loire, les altitudes augmentent; et le Massif, si défiguré

1. Les Francs de Mièges; les Franches-Montagnes. 2. Boissellerie, tabletterie, plus tard horlogerie.

MONTS DU LYONNAIS.

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