Images de page
PDF
ePub

grande règne dans les choses. Lorsqu'on cherche à approfondir, on s'aperçoit qu'une même teinte de civilisation ou de langue couvre des éléments ethniques très différents, et qui n'ont nullement, sous l'étiquette qui les dissimule, abjuré leurs différences.

CONTINENTALE ?

Engagée, bien que moins profondément que la Germanie et la ENQUOI LA FRANCE Russie, dans la masse continentale, la France tire de cette position se montre-t-elle les éléments essentiels qui composent chez elle la nature vivante. Elle est à cet égard un morceau d'Europe. Par sa végétation, par sa composition ethnique et par les traces primitives de civilisation, elle sert de prolongement à des phénomènes qui ont eu pour se développer un champ considérable d'étendue. Son rôle, comme nous verrons, est de les résumer.

Les influences continentales auxquelles la France est soumise ne forment pas un seul tout. Elles l'ont assiégée de divers côtés, elles proviennent de centres d'action très différents. On peut dire qu'il y a, pour nous, contiguïté continentale au Sud et à l'Est.

§ 1.

Les anciens qui visitaient la Gaule étaient frappés, aux approches de la Garonne, de changements dans le type, la langue, les mœurs des habitants; ils traduisaient cette impression en disant que les Aquitains tenaient des Ibères plus que des Gaulois. Plus de vingt siècles ont contribué à amortir ces différences; cependant elles ne laissent pas de se manifester encore à l'observateur, et les recherches, si incomplètes qu'elles soient encore, de l'anthropologie, confirment cette impression. Elles nous montrent en outre que ces analogies remontent aux temps préhistoriques, bien au delà de l'époque déjà avancée où un nom commun, celui d'Ibères, était parvenu à s'établir sur la péninsule.

Au Nord des Pyrénées, vers l'Ouest comme vers l'Est, la composition du monde végétal garde une empreinte ibérique; car il n'est pas douteux que ce soit en Espagne qu'il convient de placer le centre de formation où se sont multipliés, pour rayonner en sens divers, les genres d'ulex, cistes, thyms, génistées, etc., dont les espèces s'avancent vers le Rhône et vers la Loire.

D'autre part, dès le Périgord on se trouve en présence de groupes humains dolichocéphales à cheveux très noirs, dont le type s'écarte autant des brachycéphales du Massif central que des dolichocéphales blonds du Nord de la France1. Traversé par d'autres races, modifié

1. Observations résultant des conseils de revision (Dr R. Collignon, Anthropologie du Sud-Ouest de la France, Mémoires de la Soc. d'anthrop., 3° série, t. I, fasc. 4, 1895.) D'après

CONTIGUITÉ CONTINENTALE

AU SUD.

RAPPORTS AVEC

LE MONDE

IBÉRIQUE.

par les croisements, ce type persiste néanmoins à réapparaître dans toute la zone méridionale qui s'étend jusqu'aux Alpes. Les populations proprement pyrénéennes sont, il est vrai, assez différentes entre elles le Navarrais à visage long et mince; le Basque aux tempes renflées et au menton pointu, aux larges épaules et aux hanches rétrécies comme un ancien Égyptien; le Catalan à large face et à épaisse encolure, ne se ressemblent guère. Mais ils représentent des éléments qui n'existent pas ailleurs dans la composition ethnique de la France; ce sont les avant-gardes dont il faut chercher le centre au delà, vers le Sud.

C'est ainsi qu'à travers nos contrées sub-pyrénéennes apparaît l'image d'une contrée plus vaste, de ce continent en petit qu'on nomme la Péninsule ibérique. Avec sa superficie qui dépasse d'un cinquième celle de la France, elle pèse sur la partie rétrécie qui lui succède immédiatement au Nord, et il faut ajouter que cette masse compacte n'est séparée de l'Afrique que par un fossé de 14 kilomètres, de formation assez récente pour que le roc de Gibraltar conserve encore un groupe de singes, marquant l'extension extrême de ces animaux terrestres vers le Nord. Les zoologistes distinguent dans la faune de l'Espagne plusieurs espèces par lesquelles elle se rattache à celle du Nord de l'Afrique : il serait imprudent de ne pas tenir compte dans l'histoire des hommes de relations terrestres dont la trace reste imprimée sur la répartition actuelle des espèces vivantes, et dont l'interruption est encore d'étendue insignifiante. Dans les cadres de civilisations primitives, tels qu'on peut aujourd'hui les entrevoir, le monde ibérique paraît inséparable des pays de l'Atlas jusqu'aux Canaries inclusivement et même des grandes îles de la Méditerranée occidentale, Sardaigne et Corse. Les observations de l'anthropologie et de l'ethnographie confirment le lien d'affinité que pouvait faire soupçonner l'examen de la flore et de la faune. Lorsque les observateurs grecs entrèrent pour la première fois en relations avec les peuples ibériques, surtout des cantons reculés du Nord-Ouest de l'Espagne, ils furent profondément frappés de ce qu'offrait de particulier leur manière de se nourrir, de se vêtir, de combattre, de danser. Poussant plus loin leurs observations ethnographiques, ils signalèrent, en ce qui concerne l'hérédité, le rôle de la femme, etc., des usages en désaccord avec ce qu'ils connaissaient. Visiblement ils se trouvaient en présence de formes spéciales de civilisation. L'isolement pouvait expliquer la persistance des coutumes;

l'indice céphalique tiré du rapport entre les deux diamètres, l'un transversal, l'autre longitudinal, du crâne, on distingue des brachycéphales (crânes courts et presque ronds) et des dolichocéphales (crânes allongés).

mais ces coutumes elles-mêmes gardaient une saveur d'originalité, dont les Grecs ne trouvaient pas chez eux l'équivalent. Et en fait, les progrès de l'archéologie préhistorique révèlent chez ces peuples les indices de plus en plus nombreux d'une civilisation primitive foncièrement différente de celle de l'Europe centrale. Le groupe d'animaux domestiques n'est pas le même; il ne se compose à l'origine que de la chèvre, du mouton, du chien; le bœuf et le porc ne semblent y avoir été introduits que plus tard; la chèvre est par tradition l'animal qui sert à la nourriture 1. La langue enfin nous a conservé une preuve frappante de l'originalité du monde ibérique : le dialecte ibère encore actuellement en usage aux confins de la Gascogne ne ressemble à aucune des langues de l'Europe; c'est une sorte de témoin linguistique, dernier représentant d'une famille de langues qui dut être nombreuse, et grâce auquel on peut expliquer l'analogie de certains. noms de lieux épars du Sud de la France au Sud de l'Espagne 2.

Ce monde ibérique représente en son état actuel une réduction d'un état ancien qui embrassait un groupe considérable de peuples ayant entre eux des rapports de culture commune. Les témoignages classiques sont nombreux et précis pour attester son extension au Nord des Pyrénées. Ils nous la montrent, au ve siècle avant notre ère, embrassant le Sud de notre pays jusqu'à la Garonne et au Rhône; mais quelle a pu être, antérieurement à cette époque, la surface occupée par ces anciennes couches de population? Voilà ce qu'il est difficile, dans l'état présent des recherches, de déterminer.

On peut affirmer toutefois que cette surface avait couvert au Nord des Pyrénées une étendue plus ample que celle qu'indiquent les textes. Cette civilisation, si profondément empreinte d'archaïsme, nous reporte à une période assez lointaine pour qu'il soit naturel de tenir compte, en l'étudiant, des conditions créées en Europe par la grande extension des glaciers quaternaires 3. C'est dans les régions restées à peu près indemnes des changements apportés alors à la nature vivante,

1. Posidonius, dans Strabon, III, III, 7.

- Il en est encore ainsi dans l'Andorre.

2. Illiberris, ancien nom de Grenade; Elimberris, Auch; Illiberris, Elne; Calagurris, Calahorra en Espagne, etc.

3. A mesure que la question dite glaciaire a été serrée de plus près, on a été amené à reconnaître qu'il existe un rapport entre les faits assez complexes qui ont signalé cet épisode de la vie terrestre et la répartition des civilisations primitives. Quelques mots d'explication ne seront pas inutiles sur ce point.

La question a été renouvelée depuis environ un quart de siècle par des recherches de plus en plus amples et méthodiques. Nous savons maintenant que par le nom de période glaciaire il faut entendre en réalité non une période pendant laquelle l'extension extraordinaire des glaces aurait été continue, mais une série d'époques marquées par de grandes oscillations de climat, dont l'influence se fit sentir sur l'ensemble de la Terre. Les progrès des glaciers furent coupés d'intervalles de recul, pendant lesquels le climat se rapprochait de celui de l'époque actuelle. Ces intervalles furent assez longs pour que la végétation eût le temps de reconquérir les espaces qu'elle avait dû abandonner. Une constatation non

CONTACT

DE LA FRANCE
AVEC L'EUROPE
CENTRALE.

c'est-à-dire en Espagne et dans le Nord de l'Afrique, que s'était formée cette civilisation son expansion fut naturellement dirigée vers les contrées qui avaient échappé le mieux à ces mêmes changements. Aucune ne pouvait être plus favorable au développement de peuples primitifs que la région basse et ensoleillée qui s'étend en diagonale de la Garonne au Midi de la Bretagne. Sans doute on y trouve encore des preuves nombreuses de l'existence du renne, tandis qu'elles manquent au Sud des Pyrénées. Mais par la faiblesse du niveau, la nature sèche du sol, la lumière, cette région s'est dégagée plus tôt et plus complètement de l'influence exercée par le voisinage des glaciers qui avaient envahi les Alpes, les Pyrénées et une partie du Massif central. Le ciel et le sol s'y montrent également cléments. Ces contrées, dont la nature nous séduit encore par sa douceur un peu molle, furent des premières de l'Europe occidentale où l'humanité primitive commença à s'épanouir.

§ 2.

Cependant la région de contact par excellence est pour la France l'arrière-pays continental qui s'étend à l'Est. De ce côté, pas de séparation naturelle. La France s'associe complètement aux parties d'Europe adjacentes. Ce n'est pas contact qu'il faudrait dire, mais

moins importante, c'est qu'il y eut de grandes inégalités dans l'étendue que couvrirent à diverses époques les glaciers. Jamais, dans leurs empiétements successifs, ils ne semblent avoir atteint l'extension qu'ils avaient prise au moment de l'une de leurs premières invasions celle que marque, par une ligne rouge, la carte insérée plus loin (no 2). A cette époque, les glaciers scandinaves poussèrent leurs moraines frontales jusqu'en Saxe et en Belgique; ceux des Alpes s'avancèrent jusqu'à Lyon; il y eut dans les Vosges et en Auvergne des glaciers analogues à ceux qui se voient présentement dans les Alpes. L'homme existait pendant cette période, et manifestait son activité par des essais d'industrie (civilisation paléolithique et néolithique). Si par les invasions temporaires des glaciers une grande partie de l'Europe fut longtemps interdite au développement de la vie, d'autres régions au contraire s'y montrèrent alors plus favorables qu'elles le sont actuellement. Tel fut le cas pour les régions en partie aujourd'hui sèches et arides, du bassin méditerranéen et du Nord de l'Afrique. Les vestiges d'érosions puissantes laissés par les eaux indiquent qu'un climat plus humide que celui de nos jours y régna, pendant que le Nord de l'Europe était sous les glaces. Les traces de civilisation très ancienne qu'on découvre dans le Sud de l'Europe et jusque dans les parties inhabitées du Sahara, s'expliquent par ces conditions favorables. C'est à ces origines que se rattache l'ensemble de coutumes qui caractérise ce que nous avons appelé le monde ibérique, et qui remonte à une date reculée dans la préhistoire.

A la lumière de ces faits, dont la plupart n'ont été dégagés que dans ces dernières années, on voit aisément qu'une distinction, chronologique aussi bien que géographique, s'impose entre les sociétés primitives. Les contrées qui, comme le Sud de l'Europe, jouirent d'une immunité presque complète, et celles même qui, comme la France, ne furent que très partiellement atteintes par les glaciers, offrirent plus de facilités aux œuvres naissantes de la civilisation. Entre les contrées mêmes que les glaciers couvrirent entièrement, il y eut de grandes différences. Celles qui, comme l'Allemagne centrale et la Belgique, ne furent envahies qu'à l'époque de la plus grande extension glaciaire et restèrent indemnes dans la suite, s'ouvrirent plus tôt au développement des sociétés humaines, que la Scandinavie et l'Allemagne du Nord, qui eurent à subir à plusieurs reprises le retour offensif des glaces.

pénétration. Aux analogies déjà notées de structure', se joignent celles de climat et de végétation. Tandis que la végétation de l'Europe centrale pénètre dans l'intérieur de la France, divers avant-coureurs de notre végétation océanique ou méridionale s'avancent en Allemagne : le houx aux feuilles luisantes jusqu'à Rugen et à Vienne, le buis jusqu'en Thuringe, l'if, comme le hêtre, bien au delà, jusque vers le Dnieper. Nos arbres méridionaux amis de la lumière, le châtaignier, le noyer, se montrent l'un jusqu'à Heidelberg, l'autre jusque dans les vallées du Neckar et du Main. Le type de hauteur boisée, qui fait de forêt le synonyme de montagne, Forêt-Noire, Forêt de Thuringe, domine également des deux côtés du Rhin. Nulle part ne se concentre un ensemble de différences capable de frapper la vue, de suggérer d'autres habitudes et d'autres manières de vivre. La France a éprouvé du côté de l'Allemagne une difficulté particulière à dégager son existence historique et à marquer ses limites.

Par là, des influences venues de loin se sont toujours fait sentir. On aperçoit distinctement à travers l'obscurité des temps préhistoriques que la marche des migrations, plantes et hommes, a suivi des directions parallèles à celles que tracent les Balkans, les Carpates, les Alpes, de l'Est à l'Ouest. Il semble bien prouvé que non seulement le blé, l'orge et le lin, cultivés aussi sur les bords de la Méditerranée, mais encore le seigle, l'avoine et le chanvre, cultivés seulement dans le Centre et le Nord de l'Europe, sont venus de l'Est. Mais il y a eu aussi des mouvements en sens contraire; et l'Ouest de l'Europe n'a pas eu un rôle seulement passif dans ces échanges. Il faut admettre une longue série d'actions et réactions réciproques. La France a participé, vers l'Est, aux palpitations d'un grand corps ; beaucoup d'éléments nouveaux sont entrés par là dans sa substance et dans sa vie.

2

Si l'on jette les yeux sur la carte où nous avons essayé de tracer, pour la partie de l'Europe qui nous intéresse, les conditions naturelles des groupements primitifs, on voit que plusieurs avenues sillonnent l'Europe centrale de l'Est à l'Ouest l'une, par la vallée du Danube, aboutit à la Bourgogne; une autre, par la plaine germanique et la Belgique, pénètre en Picardie et en Champagne; une troisième suit jusqu'en Flandre les alluvions littorales des mers du Nord. Entre ces zones de groupement et ces voies de migrations, de vastes bandes de forêts ou de marécages s'interposent.

Nous aurons à justifier ces divisions; mais cette carte suggère

1. Voir ci-dessus, la carte no 1, p. 13. 2. Voir ci-dessous la carte no 2, p. 55.

ACTIONS

ET REACTIONS.

PRINCIPALES

VOIES DE MIGRATIONS DANS L'EUROPE

CENTRALE.

« PrécédentContinuer »