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II

LE MASSIF CENTRAL

CHAPITRE PREMIER

L'ENSEMBLE DU MASSIF CENTRAL

E

INTRE les plaines du Centre et celles du Sud de la France s'interpose, de Lyon jusque vers Limoges, un groupe de hautes terres qu'on appelle aujourd'hui Massif ou Plateau central. Sous les noms de Limousin, Auvergne, Montagnes d'Auvergne, Velay, Rouergue, Gévaudan, etc., il était depuis longtemps connu dans l'histoire. Par la latitude c'est plutôt au Midi de notre pays qu'il appartient; de même par la langue, la civilisation, le droit. Sa participation à la civilisation dite provençale fut active et brillante. Foyer d'habitants tenaces, ambitieux de fonctions publiques, émigrant facilement, cette contrée était apte à exercer de l'influence autour d'elle. Cela n'a pas manqué. Si, par l'Église, par les habitudes administratives ou juridiques, ou autrement, le Midi de la France a exercé une grande action sur nos destinées générales, c'est surtout aux populations du Massif qu'il le doit. Sans elles cette action n'aurait été ni si persévérante ni si énergique. Les influences méridionales se sont consolidées dans ce Midi robuste et montagnard. Les habitudes traditionnelles dont le Midi avait plus directement hérité que le Nord, ont disposé d'un levier grâce auquel elles ont pesé d'un plus grand poids. On se trouve donc en présence d'un ensemble qui mérite autant l'attention de l'historien que celle des géologues.

Dans l'enquête sur le passé de la Terre, l'étude du Massif central forme un chapitre presque aussi fécond en enseignements que celle des Alpes. Elle ne remonte guère plus haut. L'initiative vint de

STRUCTURE
DU MASSIF.

Guettard, vers le milieu du xvIIe siècle. Il y a l'intérêt d'une date scientifique dans le mémoire qu'il adressait en 1752 à l'Académie des Sciences, et où il signalait en Auvergne, sans prévoir que ses affirmations restaient encore au-dessous de la réalité, des montagnes qui avaient été des volcans «< peut-être aussi terribles que ceux dont on parle aujourd'hui ». Plus tard Dufrénoy et Élie de Beaumont, le premier surtout, fixèrent les traits essentiels de la structure. Il restait après eux, non seulement à introduire les rectifications que devait naturellement amener une étude plus détaillée, mais à rattacher l'histoire géologique du Massif Central à celle d'une partie de l'Europe dans laquelle effectivement elle rentre. Tel a été le résultat des études combinées dans les trente dernières années en France et dans les contrées voisines. Le Massif central a été reconnu comme un des principaux anneaux dans une longue série de massifs analogues'. Il est entre les Vosges et l'Armorique le lien interrompu, quoique visible, de chaînes qui sillonnèrent aux temps primaires l'Europe occidentale. Tel que l'ont façonné des accidents de divers âges, c'est une masse en partie détruite, où des compartiments étendus se sont enfoncés; c'est un fragment, énorme il est vrai, de roches archéennes.

De là, sa configuration irrégulière et découpée. Ébréché par la fracture centrale où s'est établi le cours de l'Allier, il s'ouvre largement vers le Nord. Entre le Lyonnais et le Morvan, il est réduit à une bordure, à travers laquelle des passages multiples ont pu s'établir entre la Saône et la Loire. Vers le Sud-Est, où pourtant son talus surélevé se dresse brusquement, il est entamé par des découpures, pareilles à des articulations littorales, que l'érosion a pratiquées dans les roches de l'époque houillère, grâce à leur moindre résistance. De toutes parts il entre en contact intime avec les régions contiguës; et c'est ainsi que sa périphérie nous offre assez souvent le spectacle de parties qui se sont historiquement combinées avec les parties adjacentes: Bourbonnais, Beaujolais, Vivarais, Rouergue, etc. En outre, il lui manque cette espèce d'unité que la Bohême, autre fragment de massif ancien, doit à l'existence d'un chenal unique par lequel s'écoulent les eaux. Les rivières du Massif central se dispersent vers tous les coins de l'horizon

Il n'en est pas moins vrai que ce nom de Massif central, de création savante comme la plupart des vocables génériques, représente un ensemble dans lequel les caractères communs l'emportent sur les différences. Cet ensemble (80 000 kq. environ) égale plus du sixième de la France. Il touche à Lyon, il avoisine Toulouse, il s'étend

1. Voir ci-dessus, la carte 1.

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Le pays Cévenol correspond aux vallées profondes qui échancrent le Massif central au Sud-Est. Le volcanisme, qui a transformé le Velay et la plus grande partie de l'Auvergne, cesse au delà de la dépression suivie par la Dordogne et la Sioule. Les plateaux limousins dépassent encore goo mètres; mais, à Limoges, l'altitude descend au-dessous de 300.

vers Bordeaux et Bourges. Et cependant sur tout cet espace l'œil retrouve aisément des affinités de sol, d'hydrographie, de végétation. Son talus oriental, qui tranche vivement les climats, a donné lieu à une des généralisations les plus anciennes qui aient été faites sur la France l'extension jusqu'à Lyon du mot local de Cévennes 1. Au Sud, de sombres lignes de montagnes trapues qui à Castres, Figeac, Brive, barrent l'horizon, marquent la limite du Massif. Au Nord et à l'Ouest la transition est plus ménagée; mais même alors que le changement de relief est peu sensible, la végétation, l'aspect et la tonalité plus sombre du paysage sont des indices, souvent saisis par le langage populaire. On entre dans les « terres froides », dans le domaine des fougères, bruyères, ajoncs, digitales, du ruissellement diffus des eaux, des races animales d'ossature menue, faute de phosphate de chaux, mais rustiques et vivaces. Ce fond commun est marqué de traits assez forts pour que, par exemple, du Nontronnais au Sidobre, l'un à l'extrême Ouest, l'autre à l'extrême Sud du Massif, il y ait plus de ressemblance, malgré 250 kilomètres qui les séparent, qu'avec les pays extérieurs qui leur sont immédiatement contigus.

C'est la nature des roches qui ramène les mêmes aspects. Le soubassement archéen, fait de gneiss et de micaschistes, s'étale en larges plateaux, « couverts de petits arbres et de grands buissons »>, éventrés de profonds ravins. Les entrailles du sol semblent s'ouvrir par la crevasse béante où court la Truyère au-dessous de l'enjambée gigantesque du viaduc de Garabit. Le Lot en aval d'Entraigues, la Vézère vers Uzerche se tordent au fond de gorges aussi inhospitalières que celles que percent, si inutilement pour l'homme, les fleuves de la Meseta ibérique. Les parties granitiques se déroulent en mamelons ou en plateaux ondulés, semés souvent de blocs arrondis, saupoudrés d'arène grossière. Les rivières, voisines de leurs sources, n'y entaillent que faiblement leurs méandres entre des pâtis spongieux. Quelques-unes s'encaissent entièrement sous les blocs, audessous desquels on entend gronder leur flot. Plus âpre, au contraire, est le relief qu'une partie des monts du Forez doit au porphyre, dont les éruptions à la fin des temps primaires se sont épanchées sur le Forez, le Beaujolais et le Morvan.

Mais toutes ces cimes sont usées, émoussées, réduites à un niveau tangent à un plan peu incliné elles portent les marques de l'usure subie pendant la période extrêmement longue où le Massif, à l'exception de quelques parties, est resté émergé. Si grand avait été l'abaissement général du niveau que, quand la mer envahit le Bassin

1. Strabon, IV, 1, 1.

parisien jusqu'au Sud de Paris, des lacs envahirent une partie de la surface du Massif. On retrouve aujourd'hui ces vestiges lacustres; mais découpés, morcelés, portés à des hauteurs très inégales; car c'est après leur dépôt seulement qu'un réveil des forces orogéniques, contemporain des convulsions alpines, vint rajeunir le relief d'une partie du Massif. Alors, dans la charpente de nouveau disloquée, des pans entiers furent surélevés; quelques-uns, comme le Mont Lozère, jusqu'à 4 700 mètres. Des soupiraux volcaniques ne tardèrent pas à s'ouvrir; et l'activité souterraine, avec des intermittences mais pendant une immense période, superposa sur le socle déjà remanié de véritables montagnes, piqua la surface d'une multitude de buttes ou pitons de couleur rousse, coiffa de noires coulées les versants des collines. La physionomie du Massif fut dès lors fixée, car les éruptions volcaniques nous conduisent jusqu'au seuil de la période actuelle; elles duraient encore, quand on commence à constater la présence de l'homme.

Il y eut ainsi plus de variété de sol et de relief; des principes de vie nouvelle s'introduisirent. Cependant la rénovation ne fut que partielle. Ce qui domine sur de grandes étendues, c'est le sol incomplet, dépourvu de calcaire, pauvre et froid, qu'engendre la décomposition des roches primitives arène à gros grains, argile rouge feldspathique; ou ce terreau acide, humus incomplètement formé, qu'on appelle terre de bruyère, si légère et si friable que les plantes ont peine à y prendre racine. Ce qui caractérise l'hydrographie, sauf dans la partie volcanique ou dans les Causses, c'est la diffusion morcelée, le ruissellement en minces filets, la multiplicité de petites sources presque à tous les niveaux.

CLIMAT

Le climat, avec ses rudesses et ses caprices, présente, suivant l'altitude et la position, des types assez différents. Dans les parties ET VÉGÉTATION. élevées du Sud et de l'Est, la persistance de la couche de neige jusqu'en mai, le retard du printemps et ses températures relativement basses tiennent du climat de montagnes. Souvent les couches froides de l'air s'amoncellent et par les temps calmes d'hiver restent stagnantes au-dessus des plaines qu'encadrent presque entièrement les hauteurs. En vertu de ce phénomène d'inversion des températures, bien connu dans les Alpes, il peut arriver que Clermont, à 388 mètres d'altitude seulement, soit soumis à un froid plus vif que le sommet du Puy de Dôme. En tout cas, même dans la plaine, le printemps est tardif, la feuillaison de la vigne ne se montre guère que le 11 avril, à peu près comme en Lorraine. Mais, en revanche, de beaux automnes achèvent l'œuvre d'étés très chauds, mûrissent la vigne et les fruits. Dans l'Ouest, la rigueur hivernale est moindre, le printemps se

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