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taillis leurs anciennes populations, il y a entre eux des vallées profondes qui sont de rares, mais puissantes artères de vie. Entre les hauts et bizarres promontoires, les rivières recueillent silencieusement le tribut souterrain des eaux. Elles s'avancent avec rapidité, mais sans tumulte, bordées de cultures. Leur ruban émeraude se déroule entre la végétation touffue d'un vert sombre et de blanches traînées de galets. Ce sont les voies par lesquelles se propagent les espèces vivantes. Les hommes en ont tiré parti. Le long de la lisière méridionale du Causse Larzac se faufilait, par Lodève et Millau, une importante voie romaine pénétrant dans l'intérieur du Massif.

D'autres voies se glissaient, à l'autre extrémité des Causses, vers les hauts plateaux, aussi tristes que les altos ou parameras castillans, où naît l'Allier. Ici c'est dans la masse schisteuse elle-même que les pluies et les rivières ont pratiqué de profondes entailles. Entre le Tanargue et l'Aigoual, le versant exposé aux violents orages d'automne et aux affouillements énergiques des torrents méditerranéens, est constitué par des schistes ardoisés, très friables. Leurs flancs ruisselants d'éboulis luisent au soleil, dans les intervalles que ne couvre pas l'ombre des châtaigniers. Entre ces masses découpées, des vallées profondes encaissent la Bourne, le Chassezac, la Cèze, les Gardons, toute la troupe bruyante de torrents qui presque immédiatement au pied de leurs sources dévalent de 500 à 600 mètres. Des cultures en terrasses et des châtaigneraies garnissent les versants de ces vallées. Les arêtes, sortes de cloisons, qui les séparent s'appellent des Serres; et leur sommet, comme entre les vallées profondes du Pinde dans l'Acarnanie ou l'Epire, est suivi par les routes. Çà et là une nappe de grès ou de calcaire, épargnée par l'érosion, s'étale et forme ce qu'on appelle une Camp. Cet ensemble est le pays vraiment Cévenol, aux centaines de hameaux, épars dans la verdure et sur les pentes, parmi les gradins et les rigoles d'irrigation.

Par la crête qui domine le Val Francesque et gagne vers Florac la vallée du Tarn, par la Serre des Mulets, qui s'élève vers les landes et les pâturages coupés de taillis de hêtres de la montagne du Goulet, par l'arête qui, séparant la Cèze et le Chassezac, accède au collet de Villefort et de là au pays Lozerot, abondent les vestiges d'antique circulation partant de Nimes ou du Rhône. A mesure qu'on s'élève au-dessus de la région des ravins, le paysage se compose plus largement; le modelé se calme; la physionomie devient monotone. Des sentiers ou pistes, suivis de temps immémorial par les moutons transhumants, écorchent les flancs de ces ternes plateaux de pâture. Ces drailles, comme on les appelle, servaient jadis aux troupeaux pour atteindre les pâturages du Gévaudan, de la Marge

PAYS CÉVENOL.

ANCIENS RAPPORTS.

ride, de l'Aubrac même. Il y avait là une vie pastorale, à laquelle fait allusion Pline l'Ancien. Mais, comme toutes ces montagnes pastorales des bords de la Méditerranée, le pays s'est peu à peu dépouillé de ses forêts; après avoir subi, à travers les âges géologiques, l'usure des météores, il a subi celle des hommes; le nom du peuple des Gabals subsiste à peine dans celui du pauvre village de Javols. Les mines, comme les industries pastorales, ont délaissé la contrée.

C'est par elle, pourtant, qu'on accède vers la grande trouée, jalonnée de failles, de filons métallifères, de sources thermales, de soupiraux volcaniques, que l'Allier ouvre à travers le Massif central. De Vialas à Largentière s'étend la zone injectée de galène argentifère qui était encore exploitée au Moyen âge. A Saint-Laurent, au pied du Tanargue, comme à Bagnols au sud du Goulet, jaillissent des eaux thermales fréquentées à l'époque romaine. A Langogne, sur les bords. de l'Allier naissant, une butte isolée marque le témoin le plus avancé vers le Sud des éruptions du Velay. Bientôt, à Monistrol, les coulées de basalte deviennent envahissantes et pendent le long de la vallée. Puis, à Paulhaguet, Brioude, apparaissent les dépôts lacustres qui vont se succédant, de plus en plus amples, vers la Limagne et vers le Bassin parisien. Autant de signes d'une topographie plus variée, d'une hydrographie plus concentrée, d'une nature plus riche.

L'homme a depuis longtemps connu et pratiqué ces avenues du Massif. C'est par les vieux établissements, tours et oppida, dont il les a jalonnées, qu'a été préparée une combinaison territoriale qui de bonne heure se fait jour dans la formation politique du royaume de France : la soudure du Languedoc et de l'Auvergne. Entre la Guyenne divergente et la vallée du Rhône devenue extérieure au Royaume, là fut longtemps la seule attache du Nord et du Sud.

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E Massif central contient trois groupes principaux de contrées volcaniques celui du Velay, voisin du cours supérieur de la Loire; celui du Cantal; celui du Mont-Dore et des Puys d'Auvergne à gauche et le long de la vallée de l'Allier. Ces régions ne forment guère que la cinquième partie du Massif; mais c'est de beaucoup la plus vivante. Un sol imprégné de potasse, chaux, acide phosphorique, plus facilement échauffé à cause de sa couleur, communiquant à l'irrigation des qualités fertilisantes, tel est le legs qu'en Auvergne et en Velay, comme en Écosse et ailleurs, ces anciennes éruptions ont laissé. Sur certains points elles ont édifié des montagnes dont les cimes ont nourri des glaciers, et qui, si décapitées qu'elles soient aujourd'hui, conservent encore assez d'altitude pour condenser les nuages et entretenir l'humidité sur les flancs exposés aux vents pluvieux. Par le rajeunissement du relief qui a été la conséquence de ces révolutions, un nouveau creusement de vallées a commen cé; une nouvelle impulsion a été imprimée à toutes les forces vives des eaux; elles ont taillé des bassins, formé des lacs; elles ont filtré à travers les nappes de basalte, pour sortir à leur base en sources puissantes.

Cette période volcanique est en rapport de temps et d'effet avec les dislocations produites par le contrecoup des mouvements alpins. Mais elle se prolongea au delà; et les mouvements de plissements et de fractures avaient depuis longtemps cessé, quand en Auvergne ou dans le Velay les soupiraux volcaniques continuaient à émettre des basaltes, des phonolithes et autres laves. On voit le long de la vallée du Rhône le basalte du Coiron recouvrir d'une nappe unie, que rien. n'est venu déranger, le substratum très disloqué d'un plateau calcaire.

EFFETS

GÉOGRAPHIQUES

DU VOLCANISME

DANS LE MASSIF
CENTRAL.

Le volcanisme du Massif central embrasse une énorme période; il a connu des assoupissements, puis de brusques réveils; il a superposé à de longs intervalles sur les mêmes lieux des éruptions différentes. Néanmoins on distingue deux ou trois types dans les contrées qu'il a transformées.

BASSINS RELIÉS
PAR LA LOIRE.

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ANS le Velay, surtout dans la partie orientale, le soubassement granitique est très élevé. C'est sur un socle de 1 300 mètres que se dressent les phonolithes du Mézenc. Ce volcan, ainsi que le Mégal, son voisin d'une quinzaine de kilomètres au Nord, n'est que le débris d'une masse qui fut autrement puissante. Cependant les éruptions qui se sont greffées sur ce haut voussoir de granit ne se sont pas superposées, comme dans le Cantal, pour résumer leurs efforts en un gigantesque édifice: elles se sont juxtaposées. C'est par centaines qu'à l'est du Puy se comptent les sucs ou pitons isolés qui parsèment de leurs formes accentuées et bizarres un paysage qu'on a appelé avec raison phonolithique. Dégagé de l'enveloppe de tous les matériaux meubles qui pouvaient l'étoffer, leur charpente se révèle à nu sous forme de pilier, de cône, de dent comme au Mézenc, de cloche comme au Gerbier de Jonc. Autour d'eux d'innombrables orifices, atrophiés maintenant et méconnaissables, ont épanché des coulées fluides de basalte. Originaires de diverses époques, les unes antérieures, les autres postérieures aux phonolithes, elles ont étendu ces grandes nappes herbeuses, lubrifiées par les pluies ou les neiges, par lesquelles on s'élève presque insensiblement vers les deux cimes dentelées du Mézenc. Là, comme si le sol se dérobait sous les pas, on découvre à ses pieds un abîme. Des ravins s'enfoncent brusquement de 600 mètres, et des torrents fuient vers la vallée du Rhône. L'étonnement redouble, si l'on considère que le Mézenc n'est qu'une des parois déchiquetées du volcan, et que ces abîmes en remplacent la partie centrale.

Vers l'Ouest, au contraire, c'est entre de hauts pâturages que tâtonnent les premières eaux de la Loire. Au prix d'hésitations qui contrastent avec la netteté rectiligne de l'Allier, la Loire est arrivée, plus tard que son prétendu tributaire, à frayer sa route. C'est entre deux régions volcaniques d'époques différentes qu'elle a dû tracer son sillon: l'une, la plus ancienne, qui monte, hérissée de cônes, jusqu'au Mézenc; l'autre, plus récente, qui couvre de ses nappes basaltiques la voûte de granit qui la sépare de l'Allier.

Des éperons de roches archéennes viennent, en outre, obstruer

sa voie. L'un après l'autre, elle doit les traverser; et son cours n'est alors qu'une alternance de gorges et de bassins. Elle entre ensuite dans la triste et haute plaine du Forez, dont les bords flanqués de buttes coniques et de sources minérales marquent l'extrême limite qu'a atteinte au Nord le volcanisme tertiaire; mais une nouvelle digue formée de tufs porphyriques, c'est-à-dire des débris d'un volcanisme d'âge primaire, lui oppose une dernière barrière. A Roanne seulement, vieille étape fluviale, le fleuve est émancipé.

Ces bassins successifs, préparés par le ravinement dans des lambeaux d'anciens lits lacustres, semblent perdus entre les masses qui de toutes parts les surmontent. Celui du Puy n'est qu'un nid, creusé à deux ou trois cents mètres au-dessous de plateaux dont les corniches plates se prolongent, s'interrompent, se répètent sur les deux tiers de l'horizon. Ce que l'œil aperçoit surtout, ce sont des pentes où des murs en gradins soutiennent des vergers et des vignes entre des pierrailles noires ou des fragments de prismes basaltiques. Mais du fond de la vallée d'arbres et d'eaux vives, surgissent les deux piliers de la Roche-Corneille et de Saint-Michel. On les croirait jaillis du sol; et cependant il n'en est rien ce sont des débris restés debout dans un amas de projection qu'ont balayé les eaux. Accrochée aux flancs du principal rocher, la sombre église-forteresse du Puy se dresse dans un enchevêtrement de ruelles, de rampes, de couvents. Elle garde dans sa physionomie rude une sorte de fierté sauvage. Il semble que la ville qui s'est groupée à la base du roc lui soit étrangère. Tout, là-haut, respire le passé. Sur ce rocher bizarre un temple païen a précédé l'église épiscopale, des cultes se sont succédé, des pèlerinages ont afflué; et cette persistance exprime l'impression que ces lieux ont faite sur l'imagination des hommes.

Églises ou châteaux forts, souvent l'un et l'autre à la fois, surmontent les buttes ou lambeaux de roches, que les volcans ont semés partout. A leur base et au contact des masses poreuses avec les marnes ou argiles, des sources naissent, auprès desquelles se groupent souvent ville ou village. Mais la raideur des flancs isole le vieux débris féodal ou ecclésiastique. Il n'y a pas eu, comme ailleurs, fusion intime et enveloppement du château ou de l'église par le flot grandissant des maisons. La plus hautaine de ces forteresses est celle qui a pour soubassement le fragment basaltique de Polignac. Surveillant les abords de la ville épiscopale et les routes des pèlerins, ce fut longtemps une roche redoutée. Entre elle et le roc sacré de la Vierge noire, la guerre fut invétérée; le roi mit la paix.

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