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barres on domine et surveille de grandes étendues; des tours, des châteaux et des villes y ont pris place en vedette, profitant des escarpements subits au pied desquelles les eaux rapides et claires s'offraient en outre à l'industrie humaine. Des sites urbains, dont le pays est ailleurs fort dépourvu, se sont ainsi formés. On les voit à Vire, Falaise, Fougères, comme à Domfront ou Mortain les unes, villes éteintes, se contentant d'étaler leurs jardins en pente sur les restes de leurs vieux remparts; d'autres se transformant, ayant puisé dans la force vive des eaux un renouveau de vigueur.

C'est cette ligne de hauteurs qui sépare du Bassin de Laval le bocage normand. Bocage normand, analogue au Bocage vendéen, mais avec la nuance spéciale qu'un autre climat, d'autres rapports de contiguïté et de voisinage lui communiquent. Sous le réseau d'arbres les brouillards s'épaississent et entretiennent l'humidité sur le sol. Les divers plans du paysage se détachent dans la brume, et s'estompent en dentelures boisées les unes derrière les autres. Partout, à travers les arbres brille la prairie. Le bétail, sans autre gardien que les haies, semble maître du pays. Car le regard peut rarement s'étendre; et du spectacle de la vie rustique qui se poursuit paisiblement tout autour, il ne saisit que quelques détails. Toutefois il ne manque pas de signes par lesquels se manifestent les propriétés intimes du climat et du sol. La végétation d'arbres étale une variété d'essences qu'elle est loin d'avoir dans les plaines voisines. Parmi les genêts et les fougères la fréquence des houx, du lierre, des lauriers, pourrait faire soupçonner au voyageur, du fond des cavées où il est emprisonné, le voisinage de l'Océan, quand même il ne verrait pas les grands nuages qui passent au-dessus de sa tête, et l'aspect souvent orageux du ciel.

C'est entre Saint-Lô, Vire, Falaise, Écouché, Domfront, que s'est à peu près localisé le nom de Bocage normand. Non que l'aspect bocager ne se retrouve ailleurs; mais ici, comme en Poitou, le contraste immédiat avec les plaines ou campagnes contiguës a suscité des noms distinctifs. C'est la terre brune succédant au sol clair, le fouillis d'arbres aux espaces découverts, la maison de torchis ou de schistes aux maisons de pierre et aux brillants édifices; le pays maigre au pays gras. Dès le temps du vieux poète du Roman de Rou, la division paraissait fondamentale :

Li paisan et li vilain,

Cil des boscages et cil des plains.

C'était une de ces populations, comme il y en avait plusieurs dans l'ancienne France, que la pauvreté avait rendues ingénieuses. Habiles à combiner les petits profits, à suppléer à l'abondance par la

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ET DE

LA BRETAGNE.

diversité des produits, à joindre aux ressources de la petite culture celle de la petite industrie et de profits cueillis au dehors, les Bocains se tiraient d'affaire; car, disait d'eux l'intendant de Foucault, «<leur naturel est assez vif ». L'industrie trouvait un aliment dans ce sol ferrugineux, parmi cette abondance d'eaux courantes. Ces petites forges que montre Lenain, dont le forgeron aidé d'un petit garçon compose le personnel, pouvaient s'y multiplier grâce au minerai et au charbon de bois. Peu de rivières dont les eaux ne servissent à mouvoir des moulins, à préparer des peaux, blanchir des étoffes; peu de hameaux où ne retentît autrefois le battement des métiers, souvent égayé de quolibets et proverbes dont chacun avait sa part. La quincaillerie régnait à Sourdeval, Tinchebray; la chaudronnerie à Villedieu-les-Poëles. Chaque village avait sa spécialité; et ces spécialités mêmes contribuèrent, comme en Bretagne, à former des villages. Chaque année les muletiers bretons venaient chercher les produits de ces industries domestiques, qui prenaient le chemin de Granville ou de Saint-Malo; tandis qu'au printemps des troupes de fondeurs ou chaudronniers ambulants sortaient du pays pour se répandre jusqu'aux extrémités de la France, et faire connaître au loin le nom de Bocains.

Ces barres de grès ou de granit qui, vers Alençon et Argentan, se DE LA NORMANDIE dégagent des formations plus récentes par lesquelles, vers l'Est, elles sont recouvertes, se poursuivent jusqu'à la côte. Ce sont elles qui, à Avranches, se parent de végétation avant de se perdre dans les marais et les grèves; qui, à Granville, projettent le roc où la ville serre avec méfiance ses maisons grises. Mais elles ne se terminent pas en réalité sur la côte. Elles plongent sous les flots, et la continuité des plis, à travers l'archipel normand jusqu'à la péninsule bretonne, est en partie dissimulée. Les portions que la mer ne dérobe pas au regard se décomposent en îles ou s'émiettent en écueils frangeant les côtes. Ces innombrables découpures sont les saillies émergées du socle continental envahi par la mer. C'est ainsi qu'entre la Bretagne et le Cotentin s'enfonce un grand golfe, qui a quelque chose d'un vik scandinave par sa forme générale et par les découpures qui le bordent. Les côtes se rapprochent graduellement. Du haut des flèches effilées de la cathédrale de Coutances on aperçoit au large Jersey dans la brume. Enfin les deux rivages s'enlacent en une immense courbe autour du roc du Mont Saint-Michel.

Le site est solennel. Là se rencontrent et se sont heurtés deux

1. Saint-Jean-la-Poterie, près de Redon.

peuples, deux races: Normandie et Bretagne. Leurs luttes ont disjoint, jusqu'à la réconciliation dans la patrie commune, ce que la nature paraissait unir. Encore même îles et continent ont suivi des fortunes diverses. Ne semble-t-il pas pourtant que la nature dans cette combinaison de côtes et d'îles avait disposé les éléments d'une puissance commune, d'une sorte d'amphictyonie maritime dont le Mont Saint-Michel eût été l'autel? Peut-être une ambitieuse vision d'unité traversait-elle l'esprit du Breton Nomenoé, quand, au Ix° siècle, voulant constituer une Église indépendante de la métropole de Tours, il choisissait l'évêché de Dol, près du point d'intersection des deux rivages, pour y placer le siège archiepiscopal de la péninsule.

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la hauteur du 40 degré de longitude Ouest, vers Dol, Rennes et Nantes, la Bretagne se détache du Massif primaire. Elle semble alors s'élancer au large. Elle s'enfonce, comme un coin, sur un développement de 250 kilomètres, entre la Manche et l'Atlantique, s'écartant ainsi de plus en plus des grandes voies intérieures et de l'ensemble du sol français. Elle va accentuant son autonomie dans le réseau fluvial, dans le climat, le système de routes. Lorsque finalement elle expire sur l'Atlantique, elle est assez écartée du corps continental pour prendre rang au nombre des contrées de l'Ouest, des Hespéries, eussent dit les anciens, qui se projettent à l'extrémité de l'Europe. Ses dimensions, qui atteignent près de 30 000 kilomètres carrés, conviennent bien au développement d'une individualité régionale.

A y regarder de près toutefois, cette individualité est assez complexe. Au moment où le caractère péninsulaire commence à s'affirmer, la largeur de la Bretagne, du Nord au Sud, est de 170 kilomètres; cette largeur est encore de 100 kilomètres, deux degrés de longitude plus loin vers l'Ouest, sur la ligne où se détachent les derniers promontoires occidentaux. Il en résulte que la péninsule bretonne n'est pas autant que d'autres articulations moindres, telles que Jersey ou le Cotentin, soumise à l'influence dominante de la mer. Par l'étendue d'un littoral que le morcellement multiplie encore, la Bretagne aspire les influences du dehors; mais en même temps, par sa structure intérieure, elle les repousse. De là deux zones juxtaposées en ce pays une zone maritime, l'Armor, ouverte sur le

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dehors; une zone intérieure, reculée et comme repliée sur elle-même.
Ce contraste n'est pas une des moindres originalités de la Bretagne.
Cette structure est visiblement le prolongement de la partie
continentale du Massif de l'Ouest; mais le faisceau de plis dont DE LA BRETAGNE.
l'éventail très ouvert s'épanouit à l'Est, entre le Poitou et la Nor-

STRUCTURE

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Les deux plateaux convergent l'un vers l'autre à l'Ouest. Des pays distincts s'échelonnent
sur les côtes; des landes, des forêts occupent une partie de l'intérieur.

mandie, se resserre et se contracte en Bretagne. Comparée au reste
de l'Ouest, elle se distingue par une structure plus ramassée, une
ossature où il y a moins de chair que de nerfs et de muscles. Les
deux plateaux, celui du Nord et celui du Sud, convergent; et dans
l'intérieur de chacun d'eux les plis se pressent en bandes de plus en
plus serrées.

De Nantes à l'extrémité de la Cornouaille, parallèlement à l'Atlan-
tique, le bord du Plateau méridional est formé par une bande très

PLATEAU MÉRIDIONAL.

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