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septentrional, dont les bandes successives, sommets des anticlinaux qui relient le Cotentin et la Bretagne, viennent s'amorcer au littoral. Ils lui impriment cette allure irrégulière, qui se traduit par des alternances de larges promontoires et de spacieuses baies. Nulle part il n'est plus déchiqueté dans le détail. Ces granits, injectés de porphyres et de diabases, ces gneiss, ces grès armoricains s'émiettent en écueils, qui bordent la côte comme une cuirasse. Entre le Passage du Fromveur en face d'Ouessant et les roches de Saint-Quay dans le golfe de Saint-Brieuc, se déroule sans interruption un véritable skaer scandinave. Plus loin, la ville de Duguay-Trouin, Saint-Malo, se barricade derrière une rangée d'écueils. Des épées ou héaux, longs sillons de galets, dardent leurs pointes. Un petit archipel bizarre de roches rouges, piliers mis à nu de syénite ou de porphyre, hérisse les abords de la petite île de Bréhat, près de Paimpol.

On peut évaluer, en somme, à plus de 2 500 kilomètres, dont les îles formeraient environ la dixième partie, les ciselures principales de la côte bretonne.

Les variétés de conditions d'existence créées par ces inflexions et ces sinuosités, par ces différences de dimensions insulaires et péninsulaires, qui vont jusqu'au morcellement, sont innombrables. L'orientation prend ici presque autant d'importance qu'en pays de montagnes. Dans les parties abritées, surtout sur la côte méridionale, la tiède température océanique favorise une végétation de lauriers, buis, figuiers, fuchsias arborescents. Pommiers et poiriers prospèrent, presque à l'extrémité de la Cornouaille, sur la rive bien garantie de Fouesnant, toute moutonnée d'arbres. Les côtes, au contraire, qu'assaillent directement les vents d'Ouest, les îles, les promontoires, trop imprégnés d'air salin, n'ont plus guère d'arbres; et les cultures minuscules s'y blottissent plus que jamais derrière les enclos de pierre. Toutefois, jusque sur la plate-forme désolée de Penmarch, l'orge et le blé viennent à maturité; et si le climat du Léonnais est déjà moins propice aux céréales, on sait quelle précocité précieuse il communique aux produits du jardinage. D'ailleurs il y a, dans les larges plis de la côte septentrionale, des parties sur lesquelles les vents d'Ouest ne parviennent qu'après avoir amorti leur violence: arbres et cultures se multiplient aussitôt, surtout sur les plateaux. La côte exposée à l'Est, entre Paimpol et Saint-Brieuc, est la contrée la plus populeuse de la Bretagne. Partout s'éparpillent de petites fermes, et dans de petits champs un petit bétail; tandis que sur les croupes s'élèvent de minces clochers élancés, qui servent de repère aux marins. Un trait d'endémisme, qui s'accentue dans les îles bretonnes, mais n'est pas étranger aux découpures continentales, court à travers

vie des côtes.

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les diverses manifestations de la vie. Il a été étudié dans la flore des iles, notamment de Glénan et de Groix; il frappe les yeux dans cette petite race de moutons noirs qui pullule à Ouessant et de ces petits chevaux qui, il est vrai, ne tarderont pas à disparaître. Et s'il s'agit de groupes humains, ce n'est pas seulement parmi les insulaires de Groix ou de Bréhat qu'on peut le constater, mais chez les habitants de la presqu'île de Plougastel, ou chez les Bigouden, si curieux par leur type trapu et fruste, des environs de Pont-l'Abbé, et ailleurs encore. Mais ces conséquences d'un certain degré d'isolement trouvent un correctif dans d'autres dispositions naturelles; car les courants côtiers, l'action combinée des vents et des pluies, les chenaux intérieurs qui pénètrent dans les terres ou qui s'insinuent entre les rangées d'écueils et la côte, sont autant de voies dont profitent soit la propagation spontanée des espèces végétales, soit la circulation. des hommes.

Cette côte, tour à tour sauvage et douce, où les plages succèdent aux rocs, les anses de sable aux brisants, est hospitalière à la vie. Mieux que les rigides falaises normandes heurtées par l'incessant frottement des galets, ces rivages découpés offrent à la vie végétale et animale les abris dont la nature génératrice a besoin. Il y a entre ces anfractuosités de calmes replis, des fonds de sable où le poisson peut frayer, des chenaux pierreux où se tient le homard. Les algues, sous la vague, ruissellent en lames d'argent sur les platures des roches. Elles revêtent de tapis glissants les blocs et galets, ou recouvrent à fleur d'eau des refuges sous lesquels pullule une vie de poissons et de mollusques. Ce littoral est un creuset où s'élaborent les principes fertilisants. Le goémon et le varech, doués de la propriété de s'assimiler les carbonates de chaux et de magnésie contenus. dans l'eau marine, sont un réservoir de vie, non pas inépuisable, mais toujours renouvelable s'il est ménagé. C'est seulement, sauf en quelques occasions permises, le goémon d'épave, masses déracinées et rejetées par le flot, que les femmes recueillent et transportent pour amender les champs. Parfois on le dispose en tas espacés de distance en distance sur les plages, et on le brûle pour obtenir la soude. On voit, à certains moments de l'année, ces fumées s'élever au loin. La mer a ainsi ses pâturages, où les débris de coquilles et d'algues s'accumulent en assez grande quantité pour composer le trez, le merl, la tangue. Et par ces précieux amendements la nature organique fournit au littoral, dans un rayon de 10 à 20 kilomètres, le calcaire qu'en général la nature des roches lui refuse.

Une grande variété de métiers est née de l'exploitation et du transport de ces ressources. La forme des barques, les détails de gréement

et de voilures, se sont adaptés à la nature différente des fonds et des genres de pêche : grosses chaloupes de pêcheurs de goémon, bateaux homardiers, coutres, chasse-marées; ou, s'il s'agit d'affronter la haute mer, les bateaux robustement charpentés, surmontés d'une haute voilure rouge, avec lesquels les Grésillons poursuivent le germon ou thon parfois jusqu'aux côtes d'Espagne. Les formes variaient jadis d'un port à l'autre de là presque partout, au fond des anses et sous les arbres, quelque petit chantier de construction, aujourd'hui languissant, dont les marteaux mêlaient leur son cadencé au calme des vieux petits ports bretons.

Ces fonds d'estuaires et les points extrêmes jusqu'où dans les rivières la marée porte les bateaux, ont naturellement fixé la place des marchés. Là cessent, en effet, les indentations qui découpent la côte et interrompent les routes : les communications désormais plus stables permettent une petite concentration de produits. Ce fut, en Bretagne, l'origine de la plupart des villes. Comme il arrive dans les montagnes, il y a souvent le long de la côte une zone dont les ressources propres sont insuffisantes, et où la population surabondante ne dispose pas de l'étendue qui lui serait nécessaire: les habitants de petites péninsules ou d'îles sont forcés de remonter vers l'amont pour s'approvisionner vers les marchés intérieurs. Ou bien encore. les plus entreprenants et les mieux outillés ont recours à l'émigration périodique et à l'exploitation de quelque champ de ressources distant, pour suppléer à l'insuffisance des ressources locales. Chaque été des gens de Paimpol se rendent avec leur famille à Sein pour la pêche du homard, et doublent pour quelques mois la population de la petite. île. D'autres vont pendant trois mois récolter ou brûler le varech aux îles de Glénan, aux Chausey. Ailleurs, c'est l'exploitation des grès ou des granits qui attire des immigrants temporaires. Le cabotage, autrefois l'industrie la plus lucrative, était fondé sur les habitudes familières et les besoins d'existence.

Cette vie élémentaire a, dans son originalité, un caractère très ancien. L'homme paraît avoir été attiré de bonne heure vers cette côte, sur laquelle se pressent les monuments mégalithiques. Les indications circonstanciées dont elle est l'objet chez les auteurs anciens semblent indiquer une population nombreuse. Celle-ci dut subir pourtant des vicissitudes; car, à l'époque des invasions parties de l'île de Bretagne au vro siècle, il semble bien que le littoral ait été dépeuplé. Mais elle reprit son essor. Les noms de ports bretons se pressent dans les portulans du XIe siècle. La côte est aujourd'hui partout en Bretagne plus peuplée que l'intérieur, et les îles, pour la plupart, bien plus peuplées encore que la terre ferme.

EFFETS

HISTORIQUES.

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Dans ce pays où rien ne se perd, les conditions fondées sur la nature des lieux continuent à faire la loi. C'est sur ce fond qu'il convient d'envisager les transformations historiques et économiques qu'a traversées la Bretagne. Lorsque, vers le milieu du xive siècle, le commerce entre l'Italie et le Nord de l'Europe adopta de plus en plus la voie maritime, la Bretagne tira profit de sa position, mais surtout comme contrée de transit et de pêche. Nantes toujours exceptée, le défaut d'arrière-pays se fit sentir. Il n'y eut place sur cette longue étendue de côtes ni pour un Dieppe ni pour quelque La Rochelle. Dans la découverte du Nouveau-Monde, c'est comme pêcheurs que les Bretons intervinrent. Là leur initiative fut énergique et prompte, et leur position dans les parages de Terre-Neuve était si bien établie dès les premières années du xvre siècle, que les rois d'Espagne recommandaient de se munir d'équipages bretons. Puis, avec la France, ce furent d'autres perspectives: la chasse à l'Espagnol ou à l'Anglais, la vie de corsaires. Saint-Malo, Concarneau se serrèrent dans leurs ceintures de granit; Brest entassa les bâtisses dans son estuaire. Aujourd'hui, grâce à la rapidité des communications, l'influence de grands marchés urbains extérieurs à la Bretagne se fait puissamment sentir sur la côte. Mais toujours, qu'il s'agisse de marin ou d'agriculteur ou de l'un et l'autre à la fois, c'est le morcellement, la petite propriété, l'esprit d'entreprises par groupes restreints, l'effort familial auquel la femme, partout présente et partout active en Bretagne, prend une remarquable part, - qui fournissent l'expression caractéristique de la vie bretonne.

LIVRE IV

I'

LE MIDI

Ly a, comme on l'a vu dans la première partie de cette étude, deux régions différentes dans le Midi français. L'une est le Midi méditerranéen, comprenant la Provence et le Bas-Languedoc : par la structure et le climat elle rentre dans le plan général des pays situés aux bords de la Méditerranée. L'autre région comprend ce qu'on peut appeler le Bassin d'Aquitaine : elle est principalement constituée par des assises tertiaires, d'origine lacustre dans l'Est, marine dans l'Ouest, encadrées entre le Massif central et les Pyrénées. Le climat y subit l'influence de l'Océan. Les cours d'eau s'y partagent entre la Garonne et l'Adour. Elle comprend historiquement le Haut-Languedoc, la Guyenne et la Gascogne. Mais il y a encore, dans le Midi français, une région qui mérite d'être étudiée en elle-même c'est celle qui comprend les Pyrénées françaises et les pays placés sous leur dépendance immédiate.

Telles sont les contrées qu'il nous reste à étudier; elles ajoutent bien des éléments de variété à l'ensemble de la physionomie de la France.

I

LE MIDI MÉDITERRANÉEN

CHAPITRE PREMIER

L

I.

LA PROVENCE

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LES MONTAGNES DE PROVENCE.

A structure de la Haute-Provence est plus compliquée qu'on ne l'avait cru avant les recherches récentes auxquelles a donné lieu l'établissement de la Carle géologique détaillée. Les montagnes qui la constituent appartiennent à des systèmes différents. Dans l'étroit

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