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SYSTÈME

DES CHAÎNES
PROVENÇALES.

CHAÎNES ALPINES
DE PROVENCE.

espace où sont concentrés ces systèmes d'âges divers et de consistance inégale, ils ont exercé les uns sur les autres de puissants effets mécaniques. De là résulte une structure généralement heurtée, dont la carte ci-contre permet de saisir les traits principaux.

Sur la rive gauche du Rhône, au sud de Valence, les chaines qui jusqu'alors étaient orientées du Nord au Sud font place à des chaines transversales d'Est en Ouest, qui vont désormais se répéter jusqu'à la mer. Elles encadrent, dans le Sud du Dauphiné, le bassin de Die; elles se dressent en Provence sous les noms de chaîne du Ventoux et de Lure, chaîne du Luberon, Alpines; ce sont elles qui, plus loin, enserrent au Nord et au Sud le bassin d'Aix. Le chaînon de la Sainte-Baume, entre Aubagne et Brignoles, fait partie de ce système. Il en est de même de ces barres grises et nues que traversent les gorges d'Ollioules et qui se terminent à pic en vue de Toulon.

Ces chaînes n'atteignent pas de grandes hauteurs, mais elles sont très raides, escarpées, hachées souvent à leur extrémité. Elles ont alors ce profil brusque que les Provençaux désignent du terme baou. Leurs cimes prennent des formes de frontons ou de cloches. Leur aspect rappelle souvent les hautes et courtes chaînes de la Grèce orientale l'Hymette, le Pentélique. Tout dénonce l'action de phénomènes orogéniques très divers et très intenses. C'est une région qui, après avoir été plissée, s'est fracturée en s'effondrant en partie. Les couches ont été tordues et ployées, parfois jusqu'au renversement complet. Ces dislocations sont en partie enfouies dans l'affaissement général de la contrée. Elles se traduisent par ces brisures brusques qui semblent aboutir, vers l'Est, à un même champ d'effondrement. Longtemps on a confondu ces chaînes provençales dans le système des Alpes. Cependant il y a de bonnes raisons de les distinguer par leur structure comme par leur âge, elles représentent un type différent, plus ancien.

Dans leur développement méridional de la Durance au Var, ou plutôt de Digne à Monaco, les plissements alpins décrivent une longue sinuosité. Ils restent jusqu'au Verdon fidèles à la direction Nord-Sud: c'est, dans cette partie, un labyrinthe de chaînes marneuses, rongées par les torrents, gercées de ravins d'un noir bleuâtre, et dont la topographie ne se dessine en vive saillie que par les escarpements calcaires qui forment corniches au-dessus des talus d'éboulis. Vers MoustiersSainte-Marie, près du Verdon, les chaînes s'infléchissent, d'abord. vers le Sud-Est, puis vers l'Est. Le facies marneux cesse de dominer et les chaines se profilent comme de longues barres aux flancs gris et arides sur lesquelles en été miroite l'air échauffé. Ces barres reposent

elles-mêmes sur un socle de plateaux pierreux, déserts éventrés par des avens, traversés de cañons qui s'étalent, au nord de Draguignan et de Grasse. Enfin, aux approches de la vallée du Var, les chaînes convergent et se resserrent en s'infléchissant de nouveau vers le Sud. Mais ce n'est pas pour longtemps; parvenues au bord de la côte, entre Nice et Monaco, elles rebroussent vivement vers l'Est, brusquement

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Les plissements alpins ont été déviés par des massifs de résistance formés, d'un côté par les gneiss et micaschistes du Mercantour et les schistes permiens du Dôme de Barrot, de l'autre par les gneiss, porphyres, micaschistes de l'Esterel et des Maures. Par la vallée de l'Argens, entre les Maures et l'Esterel, se glisse la route historique, qui profite de la zone déprimée du grès bordant le pied septentrional des Maures.

rompues aux indentations du littoral. Leurs plis chevauchent et s'empilent à plusieurs reprises les uns sur les autres, comme si en cet endroit la force de compression latérale qui les avait poussés s'était encore buttée contre quelque massif résistant, dissimulé aujourd'hui sous les flots de la mer.

Il est probable qu'une partie des masses de résistance contre lesquelles se sont heurtés les plissements des Alpes méridionales échappe, en effet, à notre vue. Nous percevons néanmoins très nettement ce fait essentiel, que la déviation et le resserrement du faisceau des chaînes ont lieu au point de rapprochement de deux massifs pri

LES MAURES.

mitifs le faisceau est en quelque sorte pincé entre le massif de Mercantour d'une part, et celui des Maures de l'autre.

Ce massif, contre lequel nous avons vu tout à l'heure les chaînons provençaux s'arrêter à l'Est, brusquement coupés, est une vieille terre qui est restée émergée au moins depuis l'époque permienne. Ses débris s'étalent sous forme de grès, que les eaux travaillant sur son pourtour ont pu aisément creuser. Elles ont tracé ainsi cette dépression périphérique où l'Argens a établi son lit et dont le sol rougeâtre, quand on suit le chemin de fer ou la voie romaine, frappe les yeux. Il n'est point possible de douter qu'on ne se trouve sur un ancien rivage: la nature détritique des roches indique leur origine littorale. Cet indice n'est point le seul. A mesure qu'on se rapproche des anciennes terres du massif, on voit succéder à l'uniformité des roches une variété qui répond aux fréquentes oscillations des rivages; et comme dans les ceintures de récifs, une riche faune de polypiers se révèle dans leur texture. Tout s'accorde à dénoncer ici les abords d'un débris de continent primaire.

Les Maures sont comme un coin de Corse dans la Provence. Du cap Sicié au golfe Jouan s'étend le vieux massif, injecté de filons métallifères, traversé de roches porphyriques. L'effet général est celui d'un assemblage de croupes allongées, embrassant des vallées étroites, enveloppé d'une végétation brune d'arbousiers, de châtaigniers, de chênes-lièges, de bruyères arborescentes. Dans l'Esterel, partie orientale du massif, les formes aiguës et les tons éclatants du porphyre donnent un autre aspect; le sol, plus maigre, ne laisse croître que des cistes et des pins maritimes. Une solitude boisée règne derrière la façade du littoral populeux de Fréjus à Cannes. On ne se hasardait qu'avec méfiance, il y a encore un siècle, sur la route suspecte qui traversait l'Esterel. Dans son ensemble même, le massif resta longtemps étranger, hostile à ce qui l'entourait. Cette Provence sarrasine, quartier-général de corsaires aux Ix et xe siècles, fut pour le reste de la Provence une terre adverse. Comme le Magne dans le Péloponèse, le Monténégro sur la côte dalmate, le Rif dans l'Atlas, c'était un pays à l'écart, un coin étranger dans la chair.

A ses pieds, la plaine d'alluvions de l'Argens a comblé le port de Fréjus. Le vieux port des flottes romaines ramasse ses maisons serrées sur une colline, dans un paysage où les pins parasols, les ruines d'aqueducs et aussi l'air de fièvre qui s'exhale des marais voisins, font penser à la Campagne de Rome. Fréjus fut la tête des voies de pénétration de la Provence. Par la dépression d'origine si ancienne que les eaux ont burinée au nord du massif des Maures, se sont de tout temps avancés les invasions, le commerce, les routes: soit vers

Toulon, comme aujourd'hui le chemin de fer; soit vers le seuil qui donne accès au bassin d'Aix, passage historique où Marius écrasa les Cimbres.

Mais le travail des eaux n'a ouvert qu'imparfaitement cette région verrouillée de la haute Provence. Apres et parfois formidables sont les chaînes qui à l'est du Var en coupent transversalement l'accès; étroites les vallées que le Var, la Tinée, la Vésubie ont creusées, mais qu'ils sont impuissants à déblayer des débris qui les encombrent. Sur les pitons aigus veillent en sentinelles d'étranges petites villes, dont les maisons-forteresses, les rues couvertes, les églises en forme de tours se ramassent dans une étroite enceinte; sites parfois si escarpés et si sauvages, que l'existence d'un groupe humain y serait inexplicable, si derrière, dérobées à la vue, ne se trouvaient pas des pentes marneuses un peu plus douces où des champs en gradins et l'inévitable bois d'olivier subviennent à l'entretien des habitants 1. C'est dans cette série de vieilles villes, les unes postées en acropoles méfiantes près des côtes, les autres disposées en ceinture au bord des montagnes, depuis Roquebrune et Vence jusqu'aux bourgs populeux qui garnirent jadis les flancs du Lubéron et du Ventoux, que se conserve, comme relique du passé, toute une vieille Provence historique. Elle était assez différente de cette Provence défigurée, que nos chemins de fer coupent au plus court; sa vie ne se concentrait pas sur · quelques points de la côte; elle était autrement complexe et variée. Sa physionomie était marquée au coin de ces contrées âpres et rocailleuses si fréquentes aux bords de la Méditerranée, pour lesquelles les Grecs avaient un mot, τpáxɛα. Une partie de son rôle historique tint à ce caractère. Si, malgré tant de rapports avec l'Italie, la vallée du Rhône en est restée distincte, c'est à cette région difficile à franchir, funeste en général aux invasions, qu'elle doit son autonomie. Aix, situé dans le plus ample des bassins qui s'ouvrent à proximité de la vallée de l'Argens, fut la vraie capitale historique, la médiatrice naturelle où les diverses parties de la Provence pouvaient le mieux communiquer entre elles. On recueille dans ses rues étroites et ses vieux hôtels une impression très harmonieuse et très juste du passé. On y sent une capitale intérieure, la vraie métropole de la Provence historique.

1. Citons: Gorbio près de Menton, Roubion près de Saint-Sauveur-sur-Tinée, Utelle sur la Vésubie, Gourdon près de Grasse, etc.

ASPECT

HISTORIQUE DE LA HAUTE

PROVENCE.

TOPOGRAPHIE
DE MARSEILLE.

II. LES COTES

MAIS

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AIS la Provence ne se conçoit pas sans sa mer, son grand ciel, ses vastes horizons, sa libre vie extérieure. Son littoral est merveilleux. De Menton au cap Couronne, il offre les mille surprises des rivages où des roches de formation variée se combinent avec la mer. C'est, à partir du cap Martin, une succession de sinuosités creusées en tous sens dans les marnes qu'encadrent les promontoires de calcaire jurassique : l'éperon de Monaco, puis entre la rade de Beaulieu et celle de Villefranche, cette presqu'île de Saint-Jean, d'où se détache, comme la poignée ciselée d'un objet d'art, la fine articulation de Saint-Hospice. De Nice à Antibes, « la ville d'en face », se profile une baie entaillée dans les poudingues qu'ont entassés d'énormes deltas de l'époque pliocène. Du golfe de la Napoule à celui de Fréjus, les porphyres de l'Esterel forment des escarpements rouges, au pied desquels s'égrènent des blocs que les flots assaillent sans parvenir à user la vivacité de leurs arêtes. Ces pointes déchiquetées sont séparées par de petites anses, des calanques, creux de la côte où quelques barques peuvent trouver abri, ou simples petits miroirs d'eau verte entre les caps où grimpent les pins. Plus amples, plus austères dans leurs contours adoucis sont les golfes et rades taillés dans les gneiss de la montagne des Maures: ils font penser, vers Saint-Tropez, à une Bretagne plus ensoleillée, plus méridionale. Puis, quand, à son extrémité occidentale, le massif ancien prend une composition plus schisteuse, il se morcelle; il détache des îles et des péninsules; ce sont ces articulations multiples qui signalent les abords de Toulon. Le port lui-même se creuse à l'affleurement des grès contre les schistes primaires. Désormais les rocs chauves calcaires reprennent possession du littoral: d'abord ceux du jurassique, puis ces roches urgoniennes, de texture cristalline et de blancheur éclatante, dont les formes aiguës scintillent sous le ciel. Il n'est pas de portulan du Moyen âge qui n'ait signalé l'Aigle du golfe de la Ciotat. Cette côte aux dentelures variées, fertile en articulations de détail, évoque le souvenir des temps anciens où aucune de ces anses n'était trop petite pour les navires, où chacun de ces promontoires servait de point de repère aux navigateurs, où ces découpures faciles à isoler et à défendre offraient aux commerçants ou aux pirates autant d'amorces pour prendre pied sur le littoral.

Nous avons déjà parlé de Marseille. La topographie locale fut le commencement de sa fortune. Entre l'uniforme muraille de l'Estaque au Nord, et les fragments de chaîne calcaire dont les îles de

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