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l'avant-port marquent le prolongement, Marseille occupe un fond de bassin. C'est le sol d'un ancien lac oligocène dont les dépôts argileux, recouverts en partie de nappes de travertin, fournissent la brique e des matériaux de construction. Ce bassin fut profondément raviné vers la fin de l'époque pliocène. Les eaux s'y rassemblèrent dans la rivière d'Huveaune, qui creusa un profond sillon à l'endroit où elle se jetait dans la mer. Cette embouchure primitive était située au pied d'une série de buttes, de 40 mètres de haut, qui s'élèvent comme un écran contre le mistral. Là devait s'établir le vieux port, ce Lacydon qui a abrité seul pendant 2 500 ans la fortune de Marseille. Plus tard il arriva, par un phénomène semblable à celui qui s'est produit à Nice, que l'Huveaune, repoussée sans doute par ses propres alluvions, abandonna son embouchure, pour la transporter au sud de la colline isolée de Notre-Dame de la Garde. Ilots, acropole et collines détachées, petit fleuve, port étroit et profond, rien ne manque à Marseille des éléments qui constituent le type classique des cités grecques.

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E bassin de Marseille et celui d'Aix, qui lui est contigu au Nord, sont deux compartiments nettement encadrés, dont le développement géologique et l'histoire ont été distincts. Mais lorsqu'on dépasse vers l'Ouest Salon, ou les pittoresques roches de SaintChamas aux bords de l'étang de Berre, les dernières montagnes fuient vers l'horizon; quelques chaînons au loin baignent et miroitent dans la lumière. La Basse-Provence se déploie, ouverte aux vents et à la mer.

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Une plaine immense, des steppes qui n'ont ni fin ni terme; de loin en loin pour toute végétation, de rares tamaris, et la mer qui paraît 1. »

Il faut bien que les matériaux provenant de l'immense destruction que depuis les Vosges jusqu'aux Alpes nous avons vue à l'œuvre, finissent par s'arrêter quelque part. Depuis les périodes géologiques qui ont précédé l'ère actuelle, torrents, glaciers, rivières ne cessent d'arracher aux montagnes leurs dépouilles, qui sont ensuite roulées jusqu'à la mer, point d'aboutissement final de tout ce qui dévale ainsi des hauteurs. A l'embouchure du Rhône, comme à celle du Var, gisent les matériaux d'un travail énorme, dont le calibre atteste pour le passé une force de transport supérieure à celle des fleuves actuels, et qui se

1. Mistral, Mireille, chant X (trad. E. Rigaud, Paris, Hachette, 1882, 3° éd. p. 390).

LA CRAU.

LA CAMARGUE.

poursuit néanmoins à peu près par les mêmes issues, pour reconstruire et édifier, suivant le même plan de la nature.

La Durance, ouvrier infatigable qui déjà, dans un àge antérieur, avait édifié l'énorme plateau de débris qui s'élève autour de Riez et Valensolle1, déchargea, vers la fin des temps pliocènes, par la cluse de Lamanon, d'énormes amas de quartzites. Ces débris s'étalent en talus d'une pente insensible à l'œil, mais en réalité rapidement décroissante du Nord-Est au Sud-Ouest. C'est la Crau, désert de pierres, moucheté d'herbes, pâturage d'hiver des moutons qu'on retrouve, en été, jusqu'en Savoie. Le mistral fait rage sur ces espaces découverts; çà et là brillent quelques étangs, et le long des rigoles d'irrigation, émergent quelques arbres qui, de loin, semblent flotter en l'air. Le Provençal de Toulon ou de Fréjus grelotte en hiver dans ces plaines venteuses.

Le Rhône, que nous avons laissé au défilé de Donzère, au moment où, pour la dernière fois, les montagnes le resserrent, a dès lors tout son cours en plaine. Ralenti, il laisse à partir d'Orange tomber les matériaux légers qu'il tenait en suspension de grandes îles annoncent son delta. De Beaucaire à Saint-Gilles, une terrasse caillouteuse surmonte de 60 mètres la plaine alluviale actuelle elle est jonchée de quartzites alpins qu'on suit jusqu'aux environs de Cette. Là fut primitivement la principale décharge du Rhône. Aujourd'hui c'est vers le Sud-Est, peut-être sous la pression du mistral, que s'est porté le bras le plus important. Le delta se construit peu à peu aux dépens de la mer. Ce n'est d'abord qu'une suite de monticules de boue, des theys, incessamment mobiles, qui ne paraissent d'abord que pour disparaître; il faut longtemps pour qu'ils se consolident et se soudent entre eux. Alors commence une végétation rampante de salicornes au tissu coriace et gras, qui donnent en se rapprochant à cette région, la sansouire —, l'aspect de pâturages lie-de-vin. Frêle point d'appui, en apparence, contre les tourmentes du vent et des houles du Sud-Est, que cette basse végétation! Cependant les sables s'arrêtent et se consolident contre ces touffes, l'eau du ciel les imbibe; des arbustes y croissent. La dune, que les eaux de pluie ont plus entièrement dessalée, se couvre enfin de pins-pignons, abritant des genévriers et un petit peuple de plantes. Puis, si des canaux d'irrigation, des roubines ont été pratiquées aux dépens du fleuve, le mas s'élève sous les eucalyptus, entre de grands massifs d'arbres, entouré de vignes: signe actuel de la revendication par l'homme de ce domaine soustrait à la mer.

1. Voir Carte 55.

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Pendant la période pliocène la Durance, se frayant passage à travers les Alpines, a étalé un talus de débris, dont les formes auraient été sans doute profondément remaniées si, dans la suite, la rivière n'avait pris un autre cours. Le talus subsiste donc presque intact, se déroulant par un plan fortement incliné, que montre la carte. C'est du sommet de ce cône que divergent les canaux d'irrigation, condition essentielle de fertilité dans cette partie de la Provence. C'est là aussi que se groupent de petites villes, où se conservent plus purement les types et les costumes de la population dite Arlésienne.

VIE PROVENÇALE.

On suit ainsi pas à pas la conquête de la vie, et l'on remonte du présent au passé. Sous ce climat sec le sel, aux efflorescences toujours prêtes à remonter à la surface, est l'ennemi; mais les réserves d'eau douce sont en abondance. Ainsi ont été colmatés les étangs et les marais qui au XIIIe siècle entouraient Arles,

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Les palus, les graves, les ségonnaux ont été changés en prairies et en plantations. Partout, dans ces parties vivifiées, se répand et se multiplie le mas, exigu souvent, mal bâti en général, mais riant sous les platanes qui l'ombragent, entre des fossés d'eau vive, derrière les palissades de cyprès et de roseaux qui l'abritent. Les villes se cantonnent, avec leurs vieilles tours carrées, au pied des montagnes, ou sur les anciennes terrasses, ou sur les rocs isolés que les crues n'atteignent pas; plus brave, le mas se hasarde et commence à pulluler dans la plaine. Il est la forme envahissante de vie rurale de ces régions.

Ainsi une vie originale, très étroitement et très anciennement adaptée au sol, participant de la montagne, de la mer, de la steppe, de la plaine irriguée, se combine en Provence. En tout elle est étroitement liée à la nature des lieux. La roche calcaire imprime au pays l'aspect monumental si frappant surtout entre Avignon et Arles. Les tours carillonnantes d'Avignon se pressent autour du rocher où naquit la ville. Tout un peuple d'édifices ruinés ou debout est sorti des carrières des Alpines ou des chaînons voisins: amphithéâtres, arcs de triomphe, aqueducs. Pas de rocher, au bord du Rhône, qui n'ait sa tour massive et rectangulaire, jaunie par le soleil. Les grandes traditions romaines de l'art de bâtir, si visibles à Saint-Trophime d'Arles ou sur la façade de Saint-Gilles, se sont naturellement entretenues dans cette contrée. La nudité de la roche s'harmonise à merveille avec l'architecture. Au théâtre d'Orange, la roche et l'édifice ne font qu'un; à Roquefavour, comme au Pont du Gard, les arches des aqueducs semblent faire partie des escarpements qui les encadrent; on dirait que la roche elle-même, à peine tachetée de quelques pins, a été ciselée en arcades, taillée en piliers.

Il est difficile d'apprécier ce que la clarté du ciel, la sécheresse de l'air ont pu mettre dans le tempérament et l'àme des habitants; la science de ces relations n'est point faite. Mais on peut noter un mode particulier de groupement et de vie en rapport avec le climat et le

1. Dante (Enfer, chant IX, v. 112).

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Le talus de cailloux pliocènes a rencontré sa limite à la digue d'alluvions récentes que le Rhône a édifiée latéralement à ses rives; des marais, qui ne sont pas tous desséchés, suivent cette ligne de contact. Arles a trouvé moyen de s'établir sur la berge entre les marais et le fleuve; en général, ce sont les pointements de rocs calcaires qui ont donné asile aux villes, châteaux ou abbayes, où s'est concentrée la vie historique. Les mas disséminés dans la Crau et la Camargue indiquent un peuplement encore à ses débuts, mais en voie de conquête.

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