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notre pays et les contrées situées à l'Est du cours inférieur rhénan, des analogies dûment constatées, qui sont preuves de connaissance réciproque et d'échanges. Une vie circule à travers l'Europe centrale. Il est donc permis de parler d'anciennes voies de migrations et de commerce ayant relié la partie du continent qu'occupe la France à celle qui s'étend vers l'Est par le Danube ou par les plaines méridionales de la Russie.

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C'est au sujet de la voie danubienne qu'un des plus profonds connaisseurs des civilisations primitives, Worsaae, a écrit : « De nouveaux flots de vie et de sang jeune n'ont pas cessé pendant longtemps de couler par là chez les habitants des vallées circumvoisines ' ». Quelque réserve qu'imposent ces questions d'origine, il est difficile de chercher ailleurs les sources communes de « ces flots de vie »>, que dans la région de l'Asie occidentale qui s'étend au Sud du Caucase. C'est bien de là que semblent s'être acheminées vers nous les plantes nourricières ou utiles, et la plupart des arbres fruitiers et animaux domestiques que nous voyons acclimatés de bonne heure dans notre Europe occidentale. Cette acclimatation suppose une haute antiquité de rapports humains. La géographie n'apporte-t-elle pas un témoignage considérable en faveur de cette antiquité, si elle est en mesure de montrer, comme nous avons essayé de le faire, par quelles voies naturelles ils ont pu se transmettre?

La France garde le pli ineffaçable de ses origines profondément continentales. Le groupement de ses populations semble s'être accompli sous l'influence de refoulements partis de l'Est. Il serait difficile d'expliquer autrement bien des faits; entre autres, le mode de répartition sur notre territoire des dolmens. Si fréquents dans l'Ouest, on sait qu'ils se montrent très rares dans la partie orientale de notre pays. Si ce type de constructions primitives a pu se répandre depuis le Nord de l'Afrique jusqu'à l'Irlande, quel obstacle, sinon la pression de peuples arrivant par d'autres directions, a empêché son expansion ou supprimé ses traces vers l'Est?

Les populations brunes et fortement brachycéphales qui sont de longue date dominantes dans le Massif central, la Savoie, une grande partie de la Bourgogne, se rattachent par des affinités anthropologiques, non aux Ibères actuels, mais plutôt à celles qui, sous des mélanges divers, peuplent encore la région danubienne. Elles occupent l'extrémité de cette chaîne d'anciens peuples qui a mis en culture la zone de terres fertiles qui traverse de part en part le continent de l'Europe. Lorsqu'on essaie de chercher les causes des tendances et

1. Worsaae, Die Vorgeschichte des Nordens nach gleichzeitigen Denkmälern, 1878, p. 82.

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des aptitudes invétérées d'une population, la prudence conseille de ne pas s'en tenir à l'étude de leur milieu actuel, mais de considérer aussi les antécédents. C'est peut-être par des habitudes importées, autant que par l'influence directe du sol, que s'explique le tempérament obstinément agricole de la majorité de nos populations.

LA ZONE D'ALLU

DE LA MER

DU NORD.

§ 3.

La troisième des voies de migrations que nous avons indiquées vions littorales longe jusqu'en Flandre le littoral de la mer du Nord. Elle suit la zone d'éternelle verdure, celle des marschen, polders, watten ou alluvions littorales, dont la carte montre l'étendue. Elle est séparée au Sud de la zone de loss ou de limon qui se déroule de l'Elbe à l'Escaut par une série de landes et de tourbières Campine, Peel, Bourtange, Landes de Lunebourg; sols ingrats de graviers et de sable, provenant en partie de débris de moraines glaciaires; espaces déshérités, où l'éternelle alternance de bois de pins, de maigres champs, de bruyères brunes attriste la vue. On ne peut imaginer le plus frappant contraste que celui qui existe entre ces régions encore aujourd'hui assez solitaires et les deux zones fertiles et populeuses qui la limitent au Nord et au Sud.

Ces terres amphibies, menacées par les revendications de la mer, et où l'eau, subtil et sournois destructeur, s'insinue et suinte dans le sous-sol, offraient certainement des conditions plus difficiles que les plates-formes limoneuses de l'intérieur. On s'explique cependant les avantages qui attirèrent les hommes. Il est prouvé que les espaces découverts le long des côtes, à distance des exhalaisons et des dangers de la forêt, furent pour les habitants primitifs du Jutland et des îles danoises les sites favoris d'établissements. De tels espaces ne manquaient pas le long de la mer du Nord. La forêt n'a jamais étendu ses masses impénétrables sur ce littoral: les arbres y ont trop à lutter contre la violence des vents d'Ouest. Pourvu qu'un monticule, créé artificiellement au besoin, pût protéger l'habitation de l'homme, son heim, contre les eaux, son existence était assurée, en attendant que commençât l'ère des grands endiguements; ce qui n'eut lieu qu'au Moyen âge. En outre il trouvait un moyen de circulation facile dans le lacis des bras fluviaux. L'herbe, plus que les céréales, est ici le produit naturel; aussi l'élevage se montra-t-il dès le début la vocation naturelle de ces futurs manufacturiers de lait, de viande et de bétail. Les peuples qui se groupèrent le long de la mer du Nord furent des éleveurs avant d'être des marins. Il y eut sans doute de

bonne heure des groupes particuliers qui surent se hausser à un certain degré de réputation et de puissance par leur habileté nautique; Tacite en connaît. Mais l'élevage resta le fond de l'existence. La nomenclature singulièrement imagée que les marins des mers du Nord appliquèrent aux iles et aux écueils à travers lesquels ils avaient à diriger leurs navires, emprunte la plupart de ses expressions métaphoriques au bétail et à la vie de pâturage.

Ces communautés grandirent longtemps à part, retranchées dans des conditions originales d'existence, contractées dans le sentiment de leur autonomie. Elles n'entrèrent que tard dans l'histoire, que quelques-unes devaient remplir de leur nom 1. Leur fortune est liée au développement de l'Europe moderne. Assez tôt cependant ce littoral devint une pépinière de groupes transportant sur des rivages analogues leur mode d'existence. De là partirent des émigrations sur lesquelles l'histoire est muette, et qui précédèrent les invasions qu'elle connaît. Sur la côte opposée au vieux pays frison, celle du Fen britannique, entre Lincoln et Norfolk, les mêmes conditions de vie n'eurent pas de peine à s'installer. Mais c'est surtout dans le Nord-Ouest de l'Europe et notamment dans la basse plaine germanique qu'elles étaient destinées à faire fortune. Ces contrées font partie de la surface qu'avait recouverte 2, dans leur dernier retour offensif, les grands glaciers scandinaves. L'empreinte glaciaire y est encore sensible. Le desséchement des innombrables marécages qu'y avait laissés le vagabondage torrentiel consécutif à la fusion des glaces fut une des grandes œuvres de la colonisation systématique du Moyen âge et des temps modernes. Grâce au travail de l'homme ce furent les prairies qui succédèrent aux dépressions marécageuses; et l'on peut dire que nulle forme de culture, avec le genre de vie qu'elle implique, n'a gagné autant de terrain en Europe depuis les temps historiques.

En France le développement continu de la zone d'alluvions cesse au Boulonnais. Ensuite, bien que le climat reste favorable, la nature du sol ne se prête qu'avec intermittences au développement des prairies. Cependant nos races de gros bétail et particulièrement celles de chevaux sont jusqu'au delà du Cotentin en rapport de parenté avec celles du Nord-Ouest de l'Europe. Quand les Normands arrivèrent, ils trouvèrent déjà des prédécesseurs sur nos rivages. Il faut donc tenir compte aussi, dans nos origines, de ces attaches avec les premières civilisations des mers du Nord, bien que postérieures par la chronologie et certainement moindres en importance que les rapports d'âge immémorial avec l'Ibérie et l'Europe centrale.

1. Danois, Angles, Saxons, Frisons.

2. Voir la carte no 2.

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CHAPITRE IV

PHYSIONOMIE D'ENSEMBLE DE LA FRANCE

VARIÉTÉ

DE SOL

ET DE CLIMAT.

LA

A France oppose aux diversités qui l'assiègent et la pénètrent sa force d'assimilation. Elle transforme ce qu'elle reçoit. Les contrastes s'y atténuent; les invasions s'y éteignent. Il semble qu'il y a quelque chose en elle qui amortit les angles et adoucit les contours. A quoi tient ce secret de nature?

Le mot qui caractérise le mieux la France est variété. Les causes de cette variété sont complexes. Elles tiennent en grande partie au sol, et par là se rattachent à la longue série d'événements géologiques qu'a traversés notre pays. La France porte les signes de révolutions de tout âge. Elle appartient à une de ces régions du globe, plus exceptionnelles qu'on ne pense, qu'à diverses reprises, par retouches nombreuses, les forces intérieures ont remaniées. Les parties mêmes qui sont entrées depuis longtemps dans une période de calme, n'ont pas perdu la trace des mouvements intenses qu'elles ont subis autrefois. L'usure des âges peut bien amortir les formes et abaisser les reliefs; elle réussit moins à abolir les propriétés essentielles des terrains. Ne voit-on pas en Bretagne un pays celui de Tréguier redevable de la fertilité qui le distingue aux matériaux d'un volcan éteint depuis les premiers âges, et dont l'existence est depuis longtemps certes effacée du modelé terrestre? En réalité les phases de l'évolution géologique, si compliquée, de la France sont encore en grande partie écrites sur le sol.

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Les contractions énergiques qui, dans une période plus récente, ont plissé le Sud de la France, ont eu leur répercussion sur les massifs anciens qui leur étaient opposés. Elles ont eu raison de la résistance des parties les plus voisines, et leurs effets n'ont expiré qu'à grande distance du foyer d'action. Elles en ont renouvelé le

relief et ravivé l'hydrographie. Le Massif central semblait définitivement émoussé par l'usure des âges, lorsque le contre-coup des plissements alpins y dressa des reliefs, y éveilla des volcans.

Puis, à peine l'œuvre de consolidation de nos grandes chaînes actuelles, à travers une série d'efforts et d'avortements, était-elle achevée, que la destruction en avait commencé. De ces chaînes qui n'ont été ébauchées que pour disparaître, ou de celles qui ont résisté mais en cédant chaque jour aux agents destructeurs une partie d'elles-mêmes, les torrents, les glaciers, enfin les rivières actuelles firent leur proie. Elles ont entraîné au loin des masses de débris. Longtemps on n'a pas apprécié à sa valeur l'importance de ces destructions. On sait maintenant que ce sont des débris de ce genre qui, au pied des Pyrénées et des Alpes, du Massif central et des Vosges, ont constitué des sols tels que les chambarans du Dauphiné, les boulbènes de Gascogne, les nauves de la Double, les brandes du Poitou, etc.

Ces variétés de sol se combinent avec des variétés non moins grandes de climat pour composer une physionomie unique en Europe.

En France, comme en Allemagne et en Italie, on pose volontiers l'antithèse du Nord et du Midi. C'est le moyen d'étiqueter sous une formule simple des différences très réelles. Mais on ne tarde pas à s'apercevoir que, chez nous, cette division se subdivise et se décompose en un plus grand nombre de nuances diverses que partout ailleurs.

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VARIÉTÉ

DU MIDI DE LA FRANCE.

Il faut distinguer d'abord le Midi du Sud-Est ou méditerranéen du Midi du Sud-Ouest ou océanique. C'est surtout l'image du pre- DANS LA NATURE mier, qui, lorsque nous parlons du Midi, se présente à notre esprit : la plus tranchée et, suivant le mot de Mme de Sévigné, la plus excessive. Cependant, il suffit qu'on s'éloigne de Narbonne d'une cinquantaine de kilomètres vers l'Ouest, pour que l'olivier, ce compagnon fidèle de la Méditerranée, disparaisse. Un peu plus loin cessent les tapis de vignes qui couvrent aujourd'hui les plaines : des champs de blé et de maïs, des bouquets, puis de petits bois de chênes-rouvres composent peu à peu un paysage de tout autre physionomie. C'est qu'insensiblement, en s'éloignant de la Méditerranée vers Toulouse, on passe de la région de pluies faibles et surtout inégalement réparties à une région de pluies plus abondantes, mieux distribuées qui, dans le Haut-Languedoc, le Quercy, l'Agenais, l'Armagnac, offrent un maximum au printemps. La transition est graduée : l'augmentation des pluies d'été, si rares sur le bord de la Méditerranée, déjà sensible à, Carcassonne, se dessine nettement entre cette dernière ville et Toulouse. Graduellement aussi, mais plus loin vers l'inté

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