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calme dans l'atmosphère de l'Océan d'Aquitaine. Le voile de nébulosité qui plane si fréquemment entre les côtes de Terre-Neuve et d'Irlande s'éclaircit notablement au Sud de la Bretagne. Un climat différent prévaut dans la zone que la France présente à la Manche et dans celle qu'elle présente au golfe d'Aquitaine.

Notre Finistère breton, comparé aux autres promontoires de l'Europe occidentale qui reçoivent de plein fouet l'assaut des bourrasques océaniques, se fait déjà remarquer par une atténuation des phénomènes. Ni par la rapidité des oscillations barométriques, ni par la fréquence des phénomènes électriques, ni par la quantité de pluie il n'égale la Norvège, l'Ouest de l'Irlande, la Cornouaille anglaise. Toutefois les parties non abritées subissent les effets corrosifs des vents du large, qui tourmentent ou tuent les arbres et forcent les cultures à se blottir à l'abri de ces murailles de pierre dont le pays est étrangement découpé. Mais c'est surtout l'insuffisance de chaleur qui, déjà marquée dès le mois d'avril et s'accentuant de plus en plus dans la période où les plantes doivent se hâter d'accumuler la chaleur nécessaire, empêche la vigne et la plupart des fruits d'atteindre la maturité. Les cultures maraîchères, les fraisiers, les primeurs variées, tout ce qui exige du climat plus de précocité que de chaleur, sont les dons qu'en échange a reçus notre extrême promontoire océanique.

Les modifications s'échelonnent rapidement de la Vilaine à la Gironde. Déjà la côte méridionale de Bretagne est plus lumineuse. Un clair soleil joue souvent sur les croupes fleuries qui bordent le Morbihan: ciel mouillé, radieux entre deux averses, mais dont l'éclat plus grand se manifeste déjà par une avance dans l'époque des moissons. Dans la Bretagne occidentale cette date recule, comme en Normandie, jusqu'en août; dans la Bretagne méridionale elle est plus précoce. Poussons jusqu'au Sud de la Vendée, et là, comme en Béarn, la récolte, dès la première moitié de juillet, est chose faite.

Par les vallées ces effluves de climat océanique pénètrent profondément. La feuillaison printanière entre Tours et Saumur est de cinq jours en avance sur Orléans. Sous leur ciel très doux les vallées angevines et tourangelles abritent, avec la vigne, une grande variété de ces cultures délicates qui réclament de l'homme attention et presque amour et qui affinent celui qui s'y livre.

Les étés au voisinage de cette mer d'Aquitaine sont chauds et ensoleillés. Les observations mettent aujourd'hui hors de doute une diminution sensible de pluie dans la partie de la côte qui s'infléchit entre la Loire et la Gironde. Après une légère recrudescence de pluie en mai, le littoral de la Saintonge et même celui du Poitou se montrent, pendant les mois décisifs de juin, juillet et août, plus secs

que l'arrière-pays. Les orages du Sud-Ouest semblent dévier; ils les épargnent, tandis qu'ils vont faire rage sur les hauts plateaux limousins. Dès lors, aux plantes à feuillage vert que favorisait la tiédeur du climat breton, s'ajoutent celles qui ont plus d'exigences de lumière et de chaleur. Le chêne-vert, après quelques timides apparitions dans les parties abritées des Côtes-du-Nord, se montre dans l'île de Noirmoutier, il festonne les côtes calcaires de Saintonge. Une autre essence, très rare encore en Bretagne, le chêne-tauzin, devient dominante. Et tandis que la physionomie végétale s'enrichit d'un grand nombre de traits nouveaux, elle perd d'autres éléments. Le hêtre a cessé de tapisser les collines; le charme qui, surtout dans le Nord- horn Mam Est, compose la plupart des taillis, manque de la Rochelle à Bayonne.

C'est bien une sorte de Midi anticipé qui apparaît ainsi au tournant de la Bretagne, et se prolonge à travers la Saintonge. Rien que l'aspect des maisons aux toits à peine inclinés serait un indice de la sécheresse du climat. L'exploitation fort ancienne des marais salants est un signe de la puissance qu'y prennent les rayons du soleil. Les salines du Croisic sont à peu près les plus septentrionales que tolère le climat océanique. Pour les peuples maritimes du Nord, ces pays du sel, de la vigne et de fins produits étaient la première apparition d'une nature méridionale. Il ne tint pas aux Anglais qu'ils devinssent pour eux un Portugal.

Ce n'est pas toutefois le Midi, tel qu'il éclate dans la vallée du Rhône. La fraîcheur des prairies dans les vallées, la fréquence dans les sables de genistées touffues tout illuminées de fleurs jaunes, indiquent une composition différente des éléments du climat. Ce que la rigueur accidentelle des froids, la violence des vents, l'intensité des sécheresses, le régime des cours d'eau mêlent de brusque et d'un peu âpre à la nature du Sud-Est de la France, s'atténue en ce Sud-Ouest dans une tonalité plus égale. Il y a pourtant des recrudescences et des sursauts. A l'abri des dunes de Soulac, au Sud de la Gironde, dans l'atmosphère surchauffée des sables, les eaux infiltrées communiquent à la végétation une vigueur et un éclat superbes. La végétation siliceuse des Landes, qui s'était montrée par intermittences sur les sables épars en Périgord, prend possession du sol; le panache des pins maritimes se projette au-dessus des fourrés d'ajoncs et de bruyères; le chêne occidental remplace le chêne-yeuse. Enfin, lorsqu'apparaissent les pics pyrénéens, dans l'angle où s'engouffrent les vapeurs des vents d'Ouest, les pluies reprennent avec intensité. Pluies interrompues de soleil, qui pourtant excluent la vigne, remplacée par le pommier sur les croupes verdoyantes et fourrées du pays basque. Les orages arrivent en quelques minutes; ils courent avec

une rapidité extraordinaire de pic en pic sur la côte; mais un radieux soleil les a bientôt dissipés aux quatre coins du ciel. Ce ciel mobile et gai, plus doux dans les Charentes, plus ardent en Gascogne, plus capricieux dans le pays basque, a tout le brillant du Midi sans le sombre éclat de la Méditerranée.

Ce qui frappe d'abord dans l'ensemble de cette physionomie, que la

c'est l'amplitude des différences. Sur une surface qui n'est nomen May diffric.. dix-huitième partie de l'Europe, nous voyons des contrées telles que f

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Flandre ou Normandie d'une part, Béarn, Roussillon ou Provence de occupym
l'autre ; des contrées dont les affinités sont avec la Basse-Allemagne
et l'Angleterre, ou avec les Asturies et la Grèce. Aucun autre pays
d'égale étendue ne comprend de telles diversités. Comment donc se
fait-il que ces contrastes n'aient pas été des foyers d'action centrifuge?
Il n'a pas manqué sur nos côtes d'immigrants saxons, scandinaves ou
autres; on ne voit pourtant pas que ces groupes aient jamais réussi,
s'ils l'ont même tenté, à se constituer en populations à part, tournant
le dos à l'intérieur, comme il est arrivé pour certaines tribus mari-
times, frisonnes ou bataves, de Basse-Allemagne.

C'est qu'entre ces pôles opposés la nature de la France développe une richesse de gammes qu'on ne trouve pas non plus ailleurs. Si le Nord et le Sud ont saillie en vif relief, il y a entre eux toute une série de nuances intermédiaires. Par une interférence continuelle de causes, climatériques, géologiques, topographiques, le Midi et le Nord s'entrecroisent, disparaissent et réapparaissent. La France est placée de telle sorte par rapport aux influences continentales et océaniques qui s'y rencontrent dans un équilibre instable, que de différents côtés plantes et cultures ont voie libre pour se propager, pour profiter de toutes les occasions que multiplient les variétés de relief et de sol. Le mélange du Nord et du Sud est plus marqué dans certaines contrées de transition comme la Bourgogne et la Touraine, qui représentent, pour étendre l'expression de Michelet, « l'élément liant de la France ». Mais on peut dire que ce mélange est la France même. L'impression générale est celle d'une moyenne, dans laquelle les teintes qui paraissaient disparates se fondent en une série de nuances graduées.

Il en résulte la grande variété de produits auxquels le sol français se prête; variété qui est une garantie pour l'habitant, le succès d'une culture pouvant, dans la même année, compenser l'échec d'une autre.

Le grand avantage, écrivait récemment un consul anglais, que le petit tenancier ou le petit propriétaire a en France, est dans les différences de climat qui favorisent la croissance des articles variés et de petits produits qui ne viennent pas bien dans notre pays. » Ce sont

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LIAISONS ENTRE

LE NORD

ET LE SUD.

MODES

D'EXISTENCE.

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ces petits produits qui rendent possible l'idéal qu'a longtemps caressé l'habitant de la vieille France, et qui reste encore enraciné çà et là, celui de réaliser et d'obtenir sur place tous les éléments et les commodités de la vie. C'était bien le désir que devaient suggérer ces «< benoîts pays », répartis de tous côtés, dans lesquels il n'était pas chimérique de rêver une existence abondante, se suffisant largement à ellemême. Généralisez cette idée : elle ressemble assez à celle que la moyenne des Français se fait de la France. C'est l'abondance des << biens de la terre », suivant l'expression chère aux vieilles gens, qui pour eux s'identifie avec ce nom. L'Allemagne représente surtout pour l'Allemand une idée ethnique. Ce que le Français distingue dans la France, comme le prouvent ses regrets quand il s'en éloigne, c'est la bonté du sol, le plaisir d'y vivre. Elle est pour lui le pays par excellence, c'est-à-dire quelque chose d'intimement lié à l'idéal instinctif qu'il se fait de la vie. We will now stand for the Martians'

Il y a pourtant en France de mauvais comme de bons pays. Il en est qu'on décorait d'épithètes flatteuses, et qui, surtout jadis, s'opposaient dans l'esprit et le langage populaires aux terres plus déshéritées, réduites à remplacer par de mesquins expédients de subsistance, le blé, le vin et le reste. Le cultivateur des bons pays a du mépris pour la terre qui ne nourrit pas son homme. Un certain air de compassion tempérée de raillerie accueillait les habitants des. ingrats terroirs voués au sarrasin ou à la châtaigne, ou des pays incapables de se suffire et obligés de se pourvoir chez le voisin. Les pauvres habitants de la Vôge excitaient ce sentiment quand ils paraissaient chez leurs riches voisins de la Comté, en quête de cendres de lessives pour amender leurs maigres terrains de grès. Il est probable que le joyeux habitant des vallées tourangelles éprouvait quelque chose de semblable pour ces pays de sable et de grès, où il vient plus d'arbres que de blé. Rabelais ne trouve pas d'autre expression pour peindre quelque part le dénuement de Panurge, que de nous le montrer «< tant mal en ordre qu'il ressemblait un cueilleur de pommes du pays de Perche ».

Chez tous, les favorisés comme les déshérités, abondance et prospérité éveillent mêmes formes de désirs et d'idées. Le principal signe de luxe est l'abondance du linge, trait bien moins marqué chez nos voisins. Le mode de nourriture diffère peu chez la grande majorité des habitants ruraux de la France; ni la cuisine même, en dépit de quelques ingrédients qui sont objets de litiges entre le Nord et le Midi. Le paysan champenois que Taine montre mangeant sa soupe à l'entrée de sa maison se trouverait en cette attitude et cette occupation partout en France. Quand on voit dans les tableaux des rares

peintres qui n'ont pas dédaigné de peindre le paysan, les Lenain, l'attitude et la physionomie des ruraux du xviie siècle, on les reconnaît chez leurs descendants d'aujourd'hui. Ce sont bien les gestes lents de ces mangeurs de pain, sachant à l'occasion déguster le vin, assis autour d'une miche, pesamment sur leurs escabeaux de bois1.

Le pain, avec des légumes et des végétaux, une nourriture animale dont la volaille et le porc font surtout les frais, telle est l'alimentation conforme à un sol où les céréales, avec les genres d'élevages qui en dépendent, tiennent la plus grande place. Le blé est l'aliment préféré des Méridionaux de l'Europe, et précisément nos principales terres à blé sont au Nord. Autant le Français se distingue de l'Anglais et même de l'Allemand par son mode de nourriture, autant il se ressemble à lui-même sur ce point au Nord et au Sud. Pour les peuples germaniques qui nous avoisinent, notre paysan appréciateur de pain blanc, amateur de végétaux, et ingénieux dans l'art de les produire, est un objet d'attention et de curiosité. Dans son récit de la campagne de France, Goethe remarque l'antagonisme des deux peuples au sujet du pain : « Pain noir et pain blanc sont la pierre de touche entre Français et Allemands » (das shibolet, das Feldgeschrei zwischen Deutschen und Franzosen). Nos pêcheurs bretons, tous plus ou moins jardiniers sur leur littoral doux et humide, font à Terre-Neuve l'étonnement des équipages anglais, en trouvant moyen de faire croître quelques salades sur cette côte stérile. Au XVIIe siècle nos réfugiés transformèrent par leurs cultures de légumes et de jardinage le triste Moabit, dans la sablonneuse banlieue de Berlin.

Une atmosphère ambiante, inspirant des manières de sentir, des expressions, des tours de langage, un genre particulier de sociabilité, a enveloppé les populations diverses que le sol a réunies sur la terre de France. Rien n'a plus fait pour en rapprocher les éléments. Il y a toujours quelque chose d'âpre dans le frottement des hommes de races diverses. Le Celte n'a pas pardonné à l'Anglo-Saxon, ni l'Allemand au Slave. Nés de l'orgueil, ces antagonismes s'excitent et s'exaspèrent par le voisinage. En France, rien de semblable. Comment se raidir contre une force insensible qui nous prend sans que nous nous en doutions, qui s'exhale du fond de nos habitudes et nous rend de moins en moins étrangers les uns aux autres? Un peu plus tôt ou un peu plus tard, tous ont successivement adhéré au contrat.

Il y a donc une force bienfaisante, un genius loci, qui a préparé notre existence nationale et qui lui communique quelque chose de sain. C'est un je ne sais quoi qui flotte au-dessus des différences

1. Repas de paysans (Louvre, salle La Caze, n° 548).

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