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LIVRE PREMIER

LA FRANCE DU NORD

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L faut maintenant pénétrer dans l'intimité de cet être géographique. Mais quelles divisions adopter, et par où commencer? La Méditerranée a éclairé nos origines; mais c'est dans le Nord que s'est formé l'État français. Entre la mer du Nord, la Manche, le Massif central et le Rhin, se déroulent des régions naturelles qui s'appellent l'Ardenne, les Flandres, le Bassin parisien, le Pays rhénan. Chacune a sa physionomie; mais unies entre elles par des rapports faciles, toutes pénétrées d'influences générales, elles se combinent dans un ensemble qu'il ne faut pas morceler, la France du Nord. C'est cet ensemble qui a servi de berceau à un grand État. Il ne serait même pas suffisant, pour l'intelligence de son développement historique, de se borner à la France du Nord. Il faut tenir compte du voisinage. Car, ainsi qu'un arbre dans une forêt, un État ne se sépare pas du nilieu (où vivent à côté de lui, en contact et en concurrence avec lui, d'autres États. Essayons donc d'abord de retracer ce milieu, avant haborder la description régionale.

I

ARDENNE ET FLANDRE

CHAPITRE PREMIER

LE CONTACT POLITIQUE DE LA MER DU NORD

L

A partie d'Europe où les Pays-Bas expirent en face de l'Angleterre et qui s'ouvre, entre l'Ardenne et le Pas de Calais vers le Bassin parisien, est une région historique entre toutes. Peu de contrées comptent plus de souvenirs de guerres. Il n'est presque pas une

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VICISSITUDES
POLITIQUES
DE LA RÉGION.

INFLUENCE

DE LA MER
DU NORD.

motte de terre, entre la Sambre et l'Escaut, l'Oise et la Somme, n'ait été foulée par les armées. Et, le plus souvent, ces rencon d'armées étaient des rencontres de peuples: Celtes et Germains, Ga Romains et Germains, Français, Anglais et Allemands. Les luttes lesquelles durent se constituer races et États, pressés les uns cont les autres dans les étroits espaces que leur mesure notre Europe, sont en grande partie déroulées sur ce théâtre.

C'est en effet un carrefour auquel aboutissent les principale routes de l'Europe. On y venait, par terre, de la Méditerranée, depu les temps les plus lointains. Par terre également, les routes du Rh et de la Basse-Allemagne y aboutissaient. Par mer, les navigation frisonnes et scandinaves, dans leur expansion vers le Sud, abordaien au pays de Kent et sur la côte flamande qui lui fait face. De cett convergence de routes, de cette concentration de rapports, il résulta que cette contrée devint peu à peu un puissant foyer de vie générale. C'est par là que la propagande chrétienne s'avança vers le Nord : Reims, Tournai, Noyon, Corbie devinrent ainsi des centres d'influence lointaine, religieuse et artistique. Plus tard, le commerce des Flandres fut vraiment un commerce universel, au sens que pouvait avoir c mot au XIVe siècle.

Conflits ou rencontres pacifiques, l'effet de ces rapports a été d mettre en branle les forces vives de la géographie politique. Nul contrée n'a subi plus de vicissitudes, plus d'attractions en sens co traire; n'a vu plus de remaniements territoriaux. Les frontières pol tiques n'ont pas cessé de varier. Déjà antérieurement à la conquêt romaine une «< Belgique » se distinguait de la Gaule; Rome consac.. cette division, le Belgium; et cette Belgique romaine se décompos à son tour pour donner naissance à des marches-frontières appelé Germanies. Celles-ci se perpétuent, après la chute de l'Empire, da les provinces ecclésiastiques de Reims et de Cologne; mais de leu domaines ne tardent pas à se détacher les germes vigoureux de Hollande et de la Flandre. Ainsi la sève créatrice de formations po' tiques nouvelles ne s'est jamais ralentie. Dans les contrées de l'Oue ou du Centre de la France, les noms des anciens peuples, Poito Limousin, Berry, etc., persistent sur les lieux qu'ils ont jadis occupés dans cette arène ouverte au voisinage de la mer du Nord, les noms à peu d'exceptions près, ont été renouvelés.

Cette mer qui s'ouvre au Nord des falaises de Gris-Nez et de Douvres, avec ses pêcheries, ses estuaires, ses fæhrden, ses sunds ses viks, ses iles, n'est entrée que relativement tard dans l'histoire Nous recueillons chez les auteurs classiques l'impression encore fraîche de sa découverte. A l'époque où elle commençait pourtant à

attirer l'attention politique, au premier siècle de notre ère, Pline a pour désigner ses rives et ses riverains, « pauvres hères qui brûlent à des feux de tourbe leur nourriture et leur ventre raidi par le froid » 1, des expressions qui nous feraient penser aux parages d'Alaska et des îles Aléoutiennes. Cependant, de plus en plus peuplée sur ses rives, envahie par les navigateurs du Nord, elle ne devait pas tarder à mériter le nom de mer Germanique. Quelque amélioration dans le mode de construction des navires fut sans doute l'humble origine de `. cette révolution, qui eut pour effet de constituer, autour de la mer du Nord, une forme nouvelle du germanisme, la plus envahissante de toutes, le germanisme maritime et insulaire.

Ce germanisme, dans la partie qui nous touche de près, aboutit à la création de la Flandre et de l'Angleterre.

Nous étudierons plus loin la Flandre. Notons seulement ici que, par ses attaches maritimes, par ses relations avec le Nord de l'Europe, elle représente une formation politique de type nouveau. Elle rompt avec les anciens centres politiques du pays, ceux de l'époque romaine: Tournai, Térouanne; elle leur en substitue d'autres, voisins de la mer: Thourout, Bruges, Gand.

L'invasion au vie siècle des Anglo-Saxons, venus de l'Elbe inférieur, produisit la substitution d'une Angleterre germanique à une Bretagne celtique; et ce fut un phénomène très net de colonisation maritime. Lorsqu'on observe la répartition des tribus jutes, anglaises, saxonnes qui s'établirent le long des côtes depuis le Forth jusqu'au Sussex, il semble qu'on ait sous les yeux la bande de colonies anglaises, scandinaves, hollandaises qui s'échelonnèrent, au xvi siècle, le long des côtes orientales de l'Amérique du Nord. C'est toujours avec la préoccupation de garder le contact de la mer, par conséquent le long du littoral, que se développent les colonisations. Les unes, comme celles des Grecs ou plus tard celles des Germains et des Suédois de la Baltique, restent littorales. Mais dans la grande île bretonne il n'en fut pas ainsi. La possession des côtes orientales mettait aux mains des envahisseurs germains les fleuves, les parties les plus fertiles et les plus ouvertes, l'axe même de la contrée. Des germes déposés le long des côtes naquit donc un État, l'Angleterre; et ce fut, à la place du celtisme refoulé, le germanisme que la France vit s'établir sur la côte qui lui fait face.

ANGLETERRE.

EFFET SUR LA FORMATION DE

Ainsi une zone d'étroit contact entre le monde roman et le gernisme se constitua au seuil de la mer du Nord. Il est permis de voir dans ce fait une des conditions initiales de la formation d'un État L'ÉTAT FRANÇAIS.

1. Pline, XVI, 1 « Misera gens tumulos obtinet altos;... captumque manibus lutum ventis magis quam sole siccantes, terra cibos et rigentia septemtrione viscera sua urunt. »

français. Un État n'est pas, comme un pays, l'expression naturelle et presque spontanée de rapports issus du sol; c'est une œuvre de concentration artificielle et soutenue, qui vit d'actions et réactions réciproques. C'est à leur position au point le plus exposé que les Marches d'Autriche et de Brandebourg, parmi les Allemagnes; que la Moscovie, parmi les Russies, durent leur valeur politique. Là où l'antagonisme crée l'effort, se fixe la puissance. Quelque chose de semblable se produisit sur la ligne de rencontre où la vieille civilisation romane dut faire face au néo-germanisme constitué sur la mer du Nord. Dès les derniers temps de l'Empire romain, l'effort de résistance et par conséquent de contraction s'était visiblement porté vers la Gaule septentrionale Trèves, Metz, Reims, Paris même prennent alors une importance croissante. De plus en plus désormais, c'est dans la France du Nord que se concentrent les événements décisifs.

A vrai dire, le contact du monde germanique n'est pas pour nous borné, comme il l'est pour l'Italie, à un seul côté. Il enveloppe, il pénètre la France par l'Est comme par le Nord. Il s'exerce moins par chocs intermittents que par pression continue. Mais il y a une différence sensible de configuration et de conditions géographiques entre le germanisme danubien-rhénan et celui de la mer du Nord. La Suisse, la Souabe, la Franconie, l'Alsace, la Lorraine sont des contrées naturellement circonscrites, plus capables de réaliser un certain degré d'autonomie régionale que de s'élever par elles-mêmes au rang de grandes unités politiques. Combien plus étroits étaient les rapports, et plus âpre aussi le frottement, du côté où notre organisme national naissant rencontrait la contiguïté du germanisme commercial et maritime!

Principal marché de l'Europe, but de voies de commerce traversant, par la vallée du Rhône et la Champagne, notre territoire, la Flandre était plus qu'une voisine ses relations s'enchevêtraient étroitement avec nos intérêts; sa vie puissante était chez nous un exemple, une tentation et un stimulant de vie urbaine. Et quant à la vieille Angleterre historique, tournée vers ses Cinq-Ports, sa Tamise et son bassin de Londres, elle était bien plus proche de nous, bien plus engagée dans nos affaires que l'Allemagne danubienne et même rhénane. Cette Angleterre-là n'avait guère d'autre voisin que la France, d'autre expansion possible qu'à nos dépens; elle ne trouvait que chez nous le levier pour agir en dehors de son île. L'étranger pour nous fut d'abord le Normand, l'homme du Nord; puis l'Anglais. Tour à tour ou à la fois suivant les temps, la Flandre, Calais, le Ponthieu, la Normandie, la Bretagne, le Poitou et la Guyenne, furent des champs clos où piétina une ardente rivalité. L'histoire offre peu. d'exemples d'un tel corps-à-corps.

CHAPITRE II

LE MASSIF PRIMAIRE DE BELGIQUE

ET DE L'ARDENNE

44

É

| TROITEMENT unies dans une même zone de contact, les plaines du Nord et le Bassin parisien ne sont pas moins des contrées foncièrement distinctes.

Les plaines par lesquelles la Belgique confine à la France apparaissent au premier abord comme une contrée aussi uniforme par la nature des couches superficielles du sol que par le niveau général et le climat. Sur de grands espaces s'étendent des nappes limoneuses, amortissant les inégalités du relief. On les voit à Rocroi, à Maubeuge, à Mons-en-Pévèle, comme à Fleurus, Seneffe, et dans les larges ondulations qui dessinent le champ de bataille de Waterloo. Ces couches de limon présentent sans doute entre elles des différences: ici plus sèches, là plus humides; ici couvertes de moissons de blé, là verdoyantes de prés et d'arbres. Cependant, à ne juger que d'après la surface, l'œil retrouve un peu partout quelques-uns des horizons qui lui sont familiers dans les plaines également limoneuses qui se répartissent autour de Paris.

Il y a pourtant une grande différence entre ces plaines du Nord et celles du Bassin parisien. Si elle ne s'impose pas au regard, elle se trahit à bien des signes. Le sol est ressemblant, mais le sous-sol diffère. Dans le Bassin parisien les couches géologiques anciennes s'enfoncent à une grande profondeur; ici elles restent voisines de la surface. Parfois en saillie, parfois dans les creux, à fleur de sol ou à une faible profondeur, des roches appartenant aux âges silurien, dévonien, carbonifère et houiller 1, se maintiennent à portée de la vie extérieure, elles exercent directement une action sur l'homme. Les richesses minérales, qui manquent trop au Bassin parisien, foison

1. Voir ci-dessus, page 11, note 2.

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