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VOISINAGE DU MASSIF PRIMAIRE.

nent ici. En réalité l'Ardenne et les plaines de la Belgique qui lui sont contiguës, font partie d'un même massif.

Il suffit, en effet, dans le Hainaut et le Brabant, que l'érosion des rivières ait quelque peu raviné la surface, pour voir affleurer, à Hal, à Gembloux, des schistes et des quartzites exploités de longue date; à Ath, Maubeuge, Tournai, les calcaires anciens qui ont fourni ces marbres bleuâtres si recherchés de tout temps dans les constructions du Nord de la France. Dans les plaines de Lens ou dans celles de Jemappes, au Nord de Mons, la surface ondule sous les moissons. Ici ce n'est pas par des pointements avivés par les eaux que se révèlent les vestiges du Massif archaïque, mais par les débris que l'homme y arrache et qu'il en rejette. Sans les montagnes de scories noires qui s'élèvent çà et là, on ne soupçonnerait pas la vie intense qui s'agite dans les galeries du sous-sol. Le substratum primaire n'est point, en effet, comme dans le Brabant, immédiatement recouvert par les dépôts tertiaires; les mers de la craie ont par transgression envahi cette partie de la région'. Mais les couches qu'elles ont laissées comme trace de leur séjour temporaire sont assez minces pour que l'homme ait pu les traverser sans trop de peine et retrouver la houille sous le plongement qui la dissimule.

Or, ces roches faiblement enfouies ou qui pointent çà et là, dans le Hainaut, le Brabant, une partie de la Flandre française et de l'Artois, jusque dans le Boulonnais enfin, on les retrouve occupant les surfaces, constituant des crêtes et des creux, des plateaux et des vallées, dès qu'on franchit, de Charleroi à Liége, la Sambre et la Meuse. La houille affleure au sol; les calcaires dressent des escarpements couleur de rouille. Un monde de roches, aux tonalités sombres, où pourtant les schistes verts ou violacés sont pénétrés par moments par la blancheur des veines de quartz, prend possession de la contrée.

L'esprit est assez naturellement amené à conclure que nous avons ainsi sous les yeux les parties d'un même tout, et que, sous des oscillations qui en ont légèrement enfoncé une partie tandis que l'autre était légèrement relevée, c'est le même massif primaire qui, dans l'Ardenne comme dans les plaines qui s'y appuient au NordOuest, constitue la charpente essentielle du sol. Telle est bien, en effet, la conclusion qui résulte, non seulement de l'analogie des roches, mais de celle des accidents auxquels elles ont participé. Il ne faut pas se laisser tromper par l'allure tranquille du relief extérieur

1. C'est sous les couches de craie qu'à Bernissart (Hainaut), des fouilles, entreprises en 1877 pour les mines, ont fait découvrir les ossements d'iguanodon, reptiles gigantesques qui habitaient une vallée profondément encaissée dans le terrain houiller (Musée royal d'histoire naturelle de Bruxelles). Les dépôts de la craie, en s'étalant en couches horizontales, avaient comblé ces inégalités du relief primaire.

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CARTE 3. Le massif primaire de l'Ardenne plonge à l'Ouest sous des terrains plus récents, mais reste encore, en Belgique et dans le Boulonnais, voisin de la surface. Entre les plaines de Flandre et celles de Picardie s'ouvre un seuil vers la source de l'Escaut. Les plateaux limoneux du Vermandois et du Cambrésis se continuent par ceux de la Hesbaye, et tracent la voie vers Cologne et la plaine du Nord de l'Allemagne.

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L'ARDENNE.

dans les parties où le substratum primaire a plongé sous la surface. Ces croupes faiblement ondulées recouvrent un paysage souterrain étonnant par l'intensité des failles et des dislocations qu'il révèle. Les veines de houille plongent tout à coup, sont brusquement étranglées ou tranchées par les bancs de grès qui les encadrent. C'est un massif tourmenté, énergiquement tordu et plissé, usé par les agents météoriques, qui se dérobe à peine sous une mince couverture récente. Il y a quelque chose de saisissant dans ce contraste, et les réflexions qu'il éveille dans l'esprit de l'auteur de la Face de la Terre viennent naturellement à l'esprit : « La charrue, dit-il, creuse tranquillement son sillon sur l'emplacement des plus formidables cassures 1.

Ce que le sous-sol révèle seulement aux yeux du mineur dans la partie actuellement enfoncée du massif, les coupes naturelles des vallées le présentent à l'œil nu dans la partie actuellement émergée et saillante. Cette partie a un nom : c'est l'Ardenne. Vieux mot celtique qui, comme celui de Hardt, semble associer l'idée de hauteur à celle de forêt.

Vue de la large et fertile vallée de la Meuse entre Sedan et Mézières, la ligne de l'Ardenne se présente moins comme hauteur que comme forêt. Une ligne sombre et basse barre l'horizon. Depuis Hirson jusqu'à Sedan et au delà, elle frappe, elle obsède la vue par sa continuité. Et par-dessus la vallée riante où luisent les eaux, ce <«< fond d'Ardenne » donne l'impression d'un monde différent, plus froid, plus rude, moins hospitalier. Les coteaux calcaires qui, sur l'autre versant de la vallée, dessinent le pourtour du bassin parisien, ne sont par endroits guère moins élevés que le bord immédiat qui leur fait face. N'importe L'œil aperçoit et devine des campagnes entre les bois qui parsèment leurs flancs secs et rougeâtres 2; il y retrouve les traits d'une topographie qu'on pourrait suivre tout le long de la Lorraine et de la Bourgogne l'Ardenne, au contraire, semble la subite apparition de quelque fragment d'Europe archaïque.

La Meuse, en s'enfonçant dans le massif, permet d'en discerner la structure. Lorsqu'à Charleville elle quitte la direction de l'Ouest pour celle du Nord, elle enlace d'une boucle étroite un roc schisteux qui déjà tranche sur le paysage environnant. Désormais l'aspect de ses bords change, comme sa direction. La vallée se rétrécit entre des versants boisés; d'anciennes terrasses, plaquées d'alluvions anciennes, marquent à diverses hauteurs les phases du travail accompli par le fleuve à l'approche du bloc résistant où il s'engage. Toutefois, ce n'est

1. Suess, La Face de la Terre (Das Antlitz der Erde), trad. française, t. I, chap. x11. (Paris, Armand Colin, 1897-1902, 3 vol.)

2. Par exemple, à la Marfée, en face de Sedan.

qu'à Château-Regnault qu'entre les plis des schistes et des grès cambriens, la Meuse s'encaisse étroitement. De là à Fépin, pendant plus de 30 kilomètres, elle serpente dans la gaine où l'emprisonnent de raides parois. Leurs couches presque partout à vif, rarement dissimulées sous des éboulis, trahissent une énergie de plissements qui ne le cède à aucune des plus hautes montagnes elles sont ployées et redressées parfois jusqu'à la verticale. Mais, à 250 ou 300 mètres environ au-dessus de la vallée, elles s'arrêtent brusquement tranchées par le plan de surface. Où l'on s'attendrait à voir les plis redressés se projeter en pics et en cimes, règnent des plateaux. Les bords alternativement convexes et concaves se correspondent par-dessus la vallée. Si quelques dentelures s'y dessinent par hasard, comme aux << Quatre Fils Aymon », à Château-Regnault, c'est que quelques arêtes de quartz ont opposé à l'érosion une dureté encore supérieure à celle des schistes cambriens. Mais ces murailles ne sont que le soubassement de plateaux singulièrement uniformes, étendus, compacts. Si l'on gravit, par un des rares sentiers qui se détachent à droite ou à gauche, les pentes fangeuses et noires qui montent à travers bois, et que l'on atteigne un point découvert, on embrasse un vaste et plat horizon. De longues lignes unies s'enchevêtrent. Le sentiment de la hauteur ne résulte pas du modelé du relief, mais de la sauvagerie mélancolique de cet horizon de taillis et de tourbières. La forêt,<«< immense forêt de petits arbres », dit Michelet, semble approcher de sa limite d'altitude, qu'abaisse en effet singulièrement l'humidité du climat. L'illusion de la montagne persiste, sans la montagne.

C'est qu'en effet cette extrémité de l'Ardenne est le noyau le plus anciennement émergé de montagnes que l'usure des âges a aplanies. Quoiqu'elle ait été affectée par des accidents nombreux et répétés, dont quelques-uns récents, la partie du massif que constituent les roches d'âge cambrien n'a pas cessé pendant de longs âges de rester émergée, soit comme ile, soit comme continent. Elle a donc subi durant d'énormes périodes l'action des météores. Récemment un mouvement de bascule en a relevé le bord méridional; mais la topographie nivelée, arasée, conserve intact le type de relief qui rappelle nos plaines ordinaires, et que les géographes, pour cette raison, ont pris l'habitude de désigner par le nom de pénéplaine.

Ce n'est pas en saillie, mais en creux que s'accentue le modelé. Avant que le bord méridional du massif se relevât, la Meuse s'engageait de plain-pied sur la surface alors plus basse de l'Ardenne; on distingue ses alluvions anciennes jusqu'à des niveaux de plus de 80 mètres. Le mouvement de relèvement se produisit d'une façon

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VALLÉES ARDENNAISES.

assez graduelle, pour que la rivière n'eût pas à abandonner son lit; mais elle dut l'approfondir. Elle a buriné de plus en plus profondément sa vallée, dans son effort pour rétablir le profil de pente que la surrection avait dérangée. C'est aux dépens de roches très dures que ce travail a dû s'accomplir aussi la rivière est-elle encore comme ankylosée dans sa vallée. Elle n'a pu, du moins partout, exercer sur ses flancs latéraux le travail normal par lequel les fleuves dépriment leurs versants et préparent des sillons pour leurs tributaires. Il y a des sections de son cours qui ne présentent ni cônes d'éboulis, ni flancs évasés, ni affluents. Mais à ces gorges inflexibles où la Meuse est comme encaissée dans un étau, succèdent des boucles et des méandres extrêmement prononcés. Chaque fois, en effet, que l'enchevêtrement des formations lui fait rencontrer des couches plus entamables, elle se dédommage. Elle en profite pour allonger par des sinuosités le profil de son lit. Après être parvenue ainsi à se tailler aux dépens des roches les moins résistantes une rive concave, elle ne cesse pas de la ronger. Or à mesure qu'elle se rejette vers la concavité qu'elle rase et qu'elle ronge de plus en plus, elle abandonne sur le bord convexe une succession d'anciens lits. Leur ensemble finit par former un cône d'alluvions s'élevant en pente douce jusqu'au sommet du talus. Ce sommet, point résistant autour duquel a pivoté le travail d'érosion, est étroitement serré par la rivière; il se présente souvent comme un isthme conduisant à une péninsule circulaire comprise dans la boucle1 fluviale. Ainsi se sont achevés, par un travail successif, mais possible seulement sur certains points favorables, ces méandres caractéristiques, non seulement de la Meuse, mais de la plupart des rivières ardennaises.

Il fallait s'arrêter sur cette forme d'énergie fluviale; car c'est d'elle que dépend le site des cultures et des établissements humains. dans l'étroitesse de ces vallées. Là seulement où la rivière a pu, par ses déplacements successifs, étendre un tapis légèrement incliné d'alluvions, les champs, prairies et jardins ont trouvé place. Jalouse de ne rien perdre du sol utile, la petite ville a pris généralement position sur le seuil rocheux qui ferme la boucle. On voit ainsi, à Revin, les vieilles et noires maisons en schistes se presser étroitement. Ces bourgs ardennais semblent à la gêne, et rivés, comme dans les pays de montagnes, à certaines conditions de site. Dans l'élargissement momentané de la vallée, aucun autre bourg et village ne leur fait face, tant la rive concave est abrupte. Et la vallée ne tardant pas à se resserrer de nouveau, chacun de ces cirques qui se succèdent ainsi, de Monthermé à Revin, de là à Fumay, est comme

1. Carte 4. Boucle de Revin.

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