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un petit monde fermé. La rivière y semble un lac. Malgré l'industrie et l'activité de ces essaims de forgerons-agriculteurs, la vie reste recueillie et comme enveloppée de solitude. Le moindre bruit, celui d'une parole, du choc d'une poutre, d'un cri d'oiseau est perçu d'une rive à l'autre.

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Le site de Revin se répète à Fumay, Chooz, Bouillon sur la Semoy, Laroche-sur-Ourthe, etc. On y voit comment le travail de la rivière a corrigé sur quelques points les conditions imparfaites de la vallée ardennaise. Rongeant sa rive concave, elle a peu à peu accentué son méandre; et les alluvions étalées en pente douce sont le résultat de ses déplacements successifs. Dans l'étroit couloir que suit la Meuse, l'homme ne trouve que dans ces méandres l'occasion d'étendre un peu ses cultures.

Aussi est-ce avec un sentiment de délivrance que l'on échappe, entre Fumay et Givet, à l'oppression de cet étau. Le pays se découvre, les villages se répondent d'un bord à l'autre de la vallée, les forêts s'écartent et se font rares. Ce qui frappe singulièrement la vue, ce sont des roches calcaires, d'apparence dénudée, qui pointent de toutes parts. L'aspect du pays est bien encore celui des terrains anciens; ce sont en effet des roches primaires qui constituent la surface. Mais

BORDURE DE L'ARDENNE.

SYNCLINAL
HOUILLER.

elles appartiennent à un autre âge, plus récent; elles racontent un autre épisode de la même histoire. On est, en réalité, sorti de l'Ardenne. Ce qui commence c'est la région détritique et récifale qui s'est formée en bordure du vieux massif émergé. Lorsque l'Ardenne était séparée du Brabant par un bras de mer, les débris arrachés au massif s'accumulaient sur ses bords, et les coraux y construisaient des séries de récifs analogues à ceux qui bordent aujourd'hui les côtes orientales d'Australie. De là ces grès, ces calcaires, ces marbres, qui désormais accidentent le relief. Châteaux et forteresses ont pris possession des rocs calcaires. Givet, Marienbourg, Chimay, Philippeville, Avesnes, hérissant, comme Mézières au débouché opposé, les abords du massif, lui donnent un aspect féodal et guerrier. Les eaux, suintant sur le sol imperméable en nombreux ruisseaux, ou étalées en étangs, se rassemblent peu à peu pour former les premiers filets de l'Oise, pour envoyer à la Sambre ses premiers affluents.

La Sambre a creusé son lit dans la direction des bandes; elle coule, dans son cours supérieur, du Sud-Ouest au Nord-Est, conformément à la direction des couches géologiques. Au contraire, la Meuse, de Givet à Namur, traverse perpendiculairement les différentes formations qui se succèdent du Sud au Nord. Sa vallée est désormais plus large, mais reste encaissée. Dinant et Bouvignes, les villes jadis ennemies, se serrent étroitement aux flancs de leurs rochers. Le roc de Namur porte une vieille forteresse historique. L'aridité des escarpements calcaires contraste avec la fraicheur verdoyante qu'entretient l'imperméabilité du sol schisteux.

Mais graduellement des couches géologiques moins anciennes se présentent à la surface; et c'est ainsi qu'aux calcaires et grès dévoniens succèdent ceux de la période carbonifère, et qu'enfin la houille affleure à la surface dans le très ancien synclinal où la Sambre et la Meuse elle-même à partir de Namur ont pris place.

Ce synclinal, où se sont amassés les végétaux dont la décomposition a donné la houille, est un des traits les plus essentiels et les plus durables de la géographie de ces régions. Bien longtemps après l'époque primaire, il se dessinait encore comme un long détroit entre l'Ardenne et le massif alors émergé du Brabant. Enfin, après avoir été

1. Dans une région qui a été plissée, les couches de terrain présentent une série de courbures alternativement saillantes et creuses on appelle les premières des anticlinaux et les secondes des synclinaux. Il est bon de faire remarquer que ces noms s'appliquent à la disposition des couches, sans que ces traits de structure correspondent nécessairement à des traits analogues de relief. Ainsi il n'est pas rare qu'un pli synclinal se dessine en saillie, ou inversement qu'un anticlinal se dessine en creux. Car le relief est surtout déterminé par la dureté des roches et le degré de résistance qu'elles sont capables d'opposer à l'érosion.

définitivement évacué par la mer, il a pris la forme d'un long couloir dyssymétrique où les eaux ont tantôt érodé, tantôt mis à nu le charbon de terre. L'industrie moderne Ꭹ fait flamber ses usines; les routes de la Seine au Rhin en suivent le talus septentrional, comme jadis les voies romaines unissant la deuxième Belgique à la Germanie inférieure, Bavay à Cologne. C'est donc aussi une ligne directrice des courants humains. Dès qu'on l'a franchie au Nord, les couches primaires, tout en restant voisines de la surface, plongent sous la nappe d'épais limon où règne depuis plus de deux mille ans une riche agriculture.

Le contraste s'accuse ainsi de plus en plus avec les pauvres et maigres contrées de l'Ardenne proprement dite. Nous en avons décrit la partie méridionale, qui est française; mais ce n'est que la moindre fraction d'une contrée qui s'étend vers le Nord-Est jusqu'à Spa, Maldémy, Montjoie et les abords d'Aix-la-Chapelle; cette contrée s'élève à 695 mètres dans les Hautes-Fagnes de Botranche, et enfin, par le Schnee-Eifel (700 m.), se lie au Massif schisteux rhénan. Sur toute cette surface de 13 500 kilomètres carrés environ c'est le même sol pauvre, infertile, le même climat rude, la même difficulté de communication. Sur ces flancs froids et boisés montent en brouillards, en neige et en pluies les vapeurs charriées par les vents d'Ouest; sur ces plateaux sans pente l'humidité décompose le schiste en une pâte imperméable dont l'imbibition produit des tourbières; il faut la souplesse et l'intelligence des petites vaches ardennaises pour opérer les charrois dans ces sentiers fangeux. Si pauvre pourtant que soit ce pays, une vie très ancienne s'y est implantée; et justement à cause de sa pauvreté, cette adaptation de la vie aux conditions locales s'est maintenue presque intacte. On y voit une race d'hommes généralement petite et brune mais résistante, comme le sont les bestiaux et les chevaux de chétive apparence qui vont, la nuit, chercher librement leur nourriture dans les taillis. Ces taillis, de temps en temps livrés aux flammes, fournissent par leurs cendres un amendement temporaire dont on profite pour une ou deux récoltes de seigle. Autour des champs sur lesquels se concentre la culture, s'étendent de vastes espaces de landes, propriété commune où le berger du village mène paître «la herde ». Des générations d'hommes ont vécu dans ces petites maisons en moellon, couvertes de schistes, souvent isolées; ils y ont pratiqué, pendant les loisirs d'une culture fort intermittente, les industries variées du fer. C'est par des défrichements souvent temporaires, sarts ou essarts, qu'ils sont parvenus à étendre peu à peu, assez faiblement en somme, le domaine des cultures sur celui des landes, des forêts et des bruyères. Les abbayes, nombreuses dans

LA VIE ARDENNAISÉ.

l'Ardenne1, ont été la seule force directrice capable d'imprimer quelque impulsion de vie générale.

Projeté sur l'histoire, ce genre de pays et de vie se traduit par quelque chose d'arriéré et d'archaïque. L'Ardenne est restée en dehors des grands courants qui l'entourent; elle est le môle autour duquel ils se divisent. En pointe entre le Rhin et les Néerlandes germaniques, elle est demeurée wallonne, c'est-à-dire française. En elle les langues romanes atteignent vers le Nord l'extrémité de leur extension; jusqu'au delà de Liége et de Verviers le français est la langue du pays. Peu favorable par elle-même à un développement de vie générale, la région ardennaise détermine par opposition les contrées qui lui sont contiguës. A la faveur de l'abri que ménage son brusque talus méridional, «< la nature met quelque chose de plus riche, de plus brillant, de plus animé » dans ces vallées souriantes, que l'on désigne volontiers sous le nom de petites Provences, et qui relient, à travers le Luxembourg, la Lorraine au Bassin de Paris. Même entre la plaine germanique et la Basse-Belgique, sous les mêmes latitudes, il y a des nuances appréciables. Tandis que les plaines appuyées au bord occidental de l'Ardenne, directement exposées aux vents Sud-Ouest, leur doivent un printemps précoce, les plaines qui s'adossent au revers oriental n'en reçoivent le souffle que refroidi sur ces hautes surfaces. Les arbres fruitiers sont en fleurs dans la Hesbaie et les environs de Liége, quand la campagne est encore nue et dépouillée dans la plaine de Cologne. Mais, en revanche, septembre, trop souvent pluvieux dans la Basse-Belgique, est un mois généralement clair dans la plaine rhénane. L'Ardenne divise les populations et les climats. Elle contribue à individualiser autour d'elle les régions limitrophes.

1. Hastières, Saint Hubert, Stavelot, Malmédy.

2. Houzeau, Essai d'une géographie physique de la Belgique (Bruxelles, 1854), p. 228.

LES FLANDRES

CHAPITRE 111

L

'ARDENNE s'efface vers l'Ouest. La sombre ligne boisée plonge,

TRANSITION

BASSES.

au delà d'Hirson, sous la nappe limoneuse. On ne voit plus que vers les plaines çà et là pointer quelques rocs, d'apparence désormais exotique, dans les plaines. Le pays que domine Avesne, de sa grosse tour, est encore une transition, comme un prolongement atténué de l'Ardenne. Le relief légèrement accidenté, le sol froid d'aguaize, issu de la décomposition du sous-sol argileux, mais peu à peu confiné dans les vallées, enfin la population par son type et ses allures, tiennent encore de la physionomie ardennaise. Mais au delà de la Sambre la contrée s'incline d'une pente insensible; et désormais, jusqu'à la mer, l'œil n'aura plus à s'arrêter que sur de rares monticules sableux entre les plaines basses qui s'étalent.

Le continent primaire semblerait avoir définitivement disparu. Il s'est enfoncé en effet, et entre Valenciennes et Béthune c'est parfois à plusieurs centaines de mètres de profondeur qu'il faut chercher les veines de houille sous les marnes et conglomérats crayeux qui les recouvrent. Mais les mouvements qui se sont produits au début de l'époque tertiaire ont ramené en partie le massif primaire au voisinage de la surface. Le long d'une ligne qui va de l'Artois au Boulonnais et au Weald britannique, des failles, des ondulations souterraines, des pointements isolés révèlent l'existence d'un grand accident. Il s'est formé un axe anticlinal, bien marqué dans la topographie par une série de bombements, qui se prolonge de l'Artois au Hampshire, des deux côtés du Pas de Calais. Le détroit n'existait pas pendant cette période : c'est bien postérieurement qu'il s'est ouvert, et que la mer a rompu la voûte qui pendant toute la série des temps tertiaires avait interposé sa barrière entre le bassin de Paris et celui de Londres. Ce détroit est devenu un des carrefours du monde. Les navires y circulent en foule. Les marées y vont et

LE DETROIT
DU PAS
DE CALAIS.

(

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