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BASSIN

DES FLANDRES.

viennent, et continuent à élargir la brèche qu'elles ont ouverte. C'est peu de chose que ce fossé d'une trentaine de kilomètres; par un temps clair on aperçoit distinctement de Boulogne les blanches falaises d'en face. Et cependant, de combien de séparations, politiques et morales, cette légère entaille au dessin des terres n'a-t-elle pas été le principe!

Mais le présent ne doit pas absorber entièrement la pensée du géographe. L'accident épisodique qui a rompu la continuité des rivages n'a pas effacé les traces de la longue période pendant laquelle s'élevait à leur place une barrière séparant deux bassins distincts. Seul l'état antérieur fournit encore la clef des grandes divisions régionales de l'époque actuelle. Le seuil aujourd'hui ébréché séparait, comme il sépare encore, deux régions d'enfoncement opposées dos à dos, bien qu'ayant parfois communiqué l'une avec l'autre; au Sud le Bassin parisien; au Nord celui de Londres et des Flandres, parties d'un même tout. De là, en effet, les couches s'inclinent en sens inverse, au Sud vers Paris, au Nord vers Anvers et l'embouchure de l'Escaut.

L'évolution géologique a pris une tournure différente dans les deux bassins. Depuis que les mers de la dernière période éocène ont déposé jusqu'au Sud de Paris les sables marins qui portent nos forêts de Fontainebleau et de Rambouillet, la mer n'a plus poussé d'audacieuses transgressions jusqu'au centre du Bassin parisien. Au contraire le procès de la terre et de la mer a duré, bien au delà de ce temps, autour de la mer du Nord; on peut dire qu'il n'est pas encore entièrement terminé. C'est une alternative de conquêtes et de pertes pour les terres, une suite de reculs et de retours offensifs de la mer : histoire dont le détail semble très compliqué, mais dont la marche générale s'explique très bien, si l'on se rappelle que ces vicissitudes ont pour théâtre le soubassement à peine immergé du massif primaire, une plate-forme continentale sur laquelle les mers n'ont jamais été bien profondes. Il suffit ici de remarquer que l'ouverture du Pas de Calais n'a pas mis un terme à ces oscillations. Au contraire : en ouvrant aux marées de la Manche l'accès de la mer du Nord, elle a été une nouvelle cause de perturbation. Sous l'action des marées cherchant leur équilibre, les rivages ont été modifiés, plusieurs fois la mer les a envahis, chassant devant elle les riverains. Les plus anciennes des invasions marines qu'ait constatées l'histoire remontent au Ive siècle avant notre ère; malgré la résistance organisée par l'homme, la mer n'a pas cessé, même de nos jours, d'empiéter sur les rivages; et au total ses conquêtes l'emportent de beaucoup sur les dépouilles que l'homme a pu lui arracher 1.

1. La preuve que dans cette lutte la mer n'a pas désarmé, c'est que, sans remonter au

C'est entre le rivage de la mer du Nord et le cours de l'Escaut jusqu'à ses embouchures, que s'est fixé le nom historique de Flandres. La structure de la contrée est celle d'un bassin; mais le sol présente des différences, et l'aspect change, suivant que le limon, les sables ou les alluvions y dominent.

L'argile est le sous-sol commun et caractéristique des Flandres. Conformément à la pente générale de la contrée, elle s'incline vers le Nord; mais la pente des couches géologiques est plus forte que celle de la surface. Aussi, à mesure que l'argile plonge en profondeur, les formations ultérieures, en couches sableuses de plus en plus épaisses, prennent possession de la superficie. De là, une différence de fertilité naturelle entre le Sud et le Nord. Lorsqu'on a dépassé vers le Nord Ypres et Courtrai, le sol s'amaigrit. Ce n'est qu'au prix d'un travail immense qu'on est parvenu à l'amender en partie en ramenant à la surface, pour les mélanger au sable du sol, le sable argileux ou l'argile des couches sous-jacentes. Si le pays de Waës, entre Gand et Anvers, fait aujourd'hui l'effet d'un grand et populeux verger où partout les fermes en briques brillent entre les haies d'arbres, c'est une transformation, fruit d'un travail séculaire. Sans l'effort obstiné d'une race phlegmatique et patiente, ce maigre sol serait une lande, continuation de la Campine. Encore n'est-on pas parvenu à modifier partout la stérilité naturelle. La triste plaine de bois de pins et de bruyères qui s'étend entre Thourout, Eecloo et Bruges, garde l'image primitive. Et pourtant ce pays stérile fut le véritable berceau des Flandres indice à noter des conditions artificielles qui ont présidé à la formation de cette contrée historique.

:

On pourrait s'attendre à ce que l'affleurement successif de couches diverses eût engendré dans la topographie une série de gradins, comme c'est le cas dans le Bassin de Paris. Mais ici ce sont des sables n'offrant qu'une faible résistance, que ramène à la surface l'ordre chronologique des formations. Facilement dispersés, ce n'est que sous forme de lambeaux ou témoins qu'ils se présentent. Il y en a assez pourtant pour accidenter le sol. Au-dessus de la grande plaine maritime et des dépressions déblayées par le passage des principales eaux intérieures, la Flandre se présente comme un pays de monticules et de collines, plus varié qu'on ne le croit. Çà et là, mais surtout aux environs de Tournai, au Sud d'Ypres, à Cassel, des silhouettes de taupinières isolées ou de minces rangées de collines se proposent à l'attention. Leurs flancs, parfois rougis par des carrières de sable, montent entre les haies et de petits bois, jusqu'à des cimes delà du XIX siècle, des irruptions se sont produites en 1825, 1853, 1855, 1881, sur les côte s de Frise et de Hollande.

SOL

DES FLANDRES.

RELIEF

DES FLANDRES.

DIVISIONS
NATURELLES.

de 150 à 160 mètres, suffisantes pour découvrir un large horizon. Celui du mont Saint-Aubert près de Tournai, celui de Cassel sont célèbres. Le dernier surtout a suscité d'hyperboliques enthousiasmes. Une couche d'argile, voisine par hasard du faîte, a fourni à Cassel l'approvisionnement d'eau nécessaire à une ville forte. Cassel fut ainsi un vieil oppidum vers lequel convergent les voies romaines (Steene Straete), et comme Tournai, une des clefs historiques du pays flamand.

Ailleurs c'est sous forme de larges croupes dominant d'une trentaine de mètres les dépressions fluviales, que se déroulent les parties échappées à l'érosion. Telle est, entre Tournai et Douai, la Pévèle, tant de fois foulée par les armées. Sur la convexité de ce dos de pays, le limon seul se montre à la surface, et au loin, dans l'horizon laiteux, s'estompent les meules de paille, les larges fermes et les grands arbres. Mais une frange sablonneuse dessine la périphérie; on la devine au loin aux bouquets de pins ou aux touffes de genêts qui la garnissent. Jusque dans ces contrées si transformées par l'homme, subsistent ainsi quelques touches de nature libre, quelques débris des anciens bois. C'est presque toujours à la faveur des bandes de sable qui ont pu échapper aux puissantes actions diluviales.

Il y a encore une autre Flandre, celle des polders et des digues, la plus jeune par la géologie comme par l'histoire. Les Flamands de Cassel disent Noordland en parlant de la zone qui commence à Bergues et s'étend vers Furnes, Dunkerque, Gravelines. Et ceux de la zone maritime appellent Pays du bois le pays qui s'annonce par la berge assez raide d'une terrasse encore en partie boisée, bordée de villages. La distinction est, en effet, sensible.

L'une de ces zones est celle qui continue jusqu'à Calais la série des alluvions littorales qui frange le continent depuis le Jutland. La houle marine balayant le fond sableux de son lit range les débris dont elle se jaunit, en cordons de dunes derrière lesquelles se ralentissent ou s'arrêtent les eaux intérieures. Au moyen des alluvions déposées d'un côté par la mer, de l'autre par les eaux intérieures, l'homme construit ses polders, ses marschen, ses champs ou ses prairies cernées de fossés et bordées de saules. Mais c'est au prix d'un système compliqué et soigneusement entretenu d'écoulement, au moyen de canaux, fossés, watergands. Car aux dangers d'irruptions marines par quelque rupture du rideau protecteur s'ajoutent ceux des infiltrations. Sournoisement introduite à travers les sables que surmontent les alluvions, l'eau de mer ronge par le bas ces précieuses surfaces que les inondations menacent par le haut, puisqu'elles sont

en partie inférieures au niveau des hautes marées. La Flandre maritime n'a échappé que tard à ces reprises de l'élément salé. Les irruptions de la mer qui se produisirent à la fin du m° siècle de notre ère y ont fait disparaître presque toute trace d'occupation romaine.

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CARTE 5.

TYPE DE GROUPEMENT EN FLANDRE. RÉGION DES WATERGANDS (Noordland) A la base des collines sablonneuses, près des forêts, commence la plaine basse. Là des files de maisons s'égrènent, comme en Hollande, le long des canaux, des chaussées et des routes; quelques-unes, autour de l'église, forment un embryon de village.

La population en a été renouvelée. Elle constitue ainsi un pays distinct, non seulement par le sol, mais par l'âge de sa civilisation. Sur la mer, tapis dans les dunes, se succèdent des villages de pêcheurs, dont l'occasion fit des corsaires. La grosse tour de Dunkerque s'accusant vigoureusement dans la moiteur du ciel, sur les tons ternes des

L'EAU DANS

LES FLANDRES.

dunes et des eaux, annonce de loin le grand port qui est né de ces humbles commencements. Adossée aux chaussées, aux watergands, la file des maisons, comme en Hollande, s'allonge. Parfois, bien que rarement, elles se ramassent en petits groupes; et ces ham ou hem pelotonnés autour de l'église (kerque) fournissent un centre et un nom à la petite collectivité rurale.

Sur les croupes agricoles voisines la population est encore germanique de langue, bien que visiblement plus mêlée d'éléments anciens. Là elle s'est disséminée plus à l'aise. Le hofstede, ou ferme, est le vrai centre de peuplement. Il semble éviter les grandes routes, les abandonner aux auberges et estaminets. Ces fermes se répandent sur tout le pays, sans laisser entre elles les grands intervalles vides qu'on observe dans l'Ile-de-France. Avec toutes ses parties et dépendances, le hofstede est une unité robuste et ample, qui se suffit à ellemême. Le huis, ou maison d'habitation, bati en bois et en torchis, couvert de chaume, situé à portée des fossés ou ruisseaux, parfois sur une motte de terre (terp), est séparé des bâtiments d'exploitation. Parmi ceux-ci l'étable, réservée aux bêtes à cornes, plus nombreuses et de plus belle race que dans le pays wallon, est le principal. Autour de la ferme s'étale, outre le potager où manquent rarement les fleurs, l'enclos spacieux (hof) entouré de beaux ormes et de haies vives; c'est là que, sous l'œil du maître, paissent les troupeaux de la ferme. Le tout forme un ensemble autonome, où respire, avec les habitudes d'existence et les goûts propres au pays flamand, l'individualisme profond de la race. Pour les services publics, école, poste, etc., quelques maisons, groupées autour du clocher, forment le platz. Mais le noyau vivant est la ferme.

Partout, dans la zone maritime comme dans la Flandre du limon ou celle du sable, l'eau est présente. Là est le trait commun. Elle suinte et circule sur la surface, ou sous elle presque à fleur de sol. On ne peut faire un trou sans la trouver. Le subtil élément, ennemi aujourd'hui dompté1, ne se manifeste plus que par ses qualités bienfaisantes. Il est le principe de fertilité, de mouvement et de vie.

On serait averti, quand on vient du Cambrésis ou de l'Artois, de cette présence universelle de l'eau, rien qu'à voir la beauté des arbres. Arbres et moissons poussent drus. Pas de partie nue et vide dans l'abondance qui couvre le sol. Les rivières, si rares sur les plateaux picards, se multiplient. Les unes venues déjà de loin, d'autres nées à la faveur des failles qui découpent les collines

1. Cependant une inondation a maritime.

encore, en 1880, couvert une partie de la Flandre

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