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d'Artois, toutes, dès qu'elles débouchent en Flandre, grossissent soudainement. C'est que les sources abondent le long de la zone où les croupes crayeuses, en s'abaissant, laissent de leur filtre souterrain

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CARTE 6. TYPE DE GROUPEMENT EN FLANDRE. RÉGION DE CASSEL (PAYS DU BOIS). Les fermes sont ici le type essentiel de peuplement. On les voit par centaines se disséminer librement, en dehors des routes, sur les croupes argileuses, chacune avec son verger et sa pâture. De Cassel, point culminant, partent en tous sens des routes empierrées, qui sont d'anciennes voies romaines.

s'échapper les eaux. Les rivières s'y enflent du tribut que leur fournit leur propre vallée. Celle qu'a creusée la Lys étonne par sa largeur; mais si l'on considère les dimensions des galets qu'elle a entraînés à

FORMATION

POLITIQUE

DE LA FLANDRE.

une époque antérieure, on s'explique comment elle a pu ouvrir, d'Aire à Armentières, cette large trouée qui semble avoir été le grand passage des eaux vers le Nord. Des marais accompagnent les rivières à leur entrée en plaine. De Saint-Omer, par Aire, Béthune, Arleux, Marchiennes, on les suit bordant presque la lisière de Picardie et d'Artois. Elles traçaient d'avance les directions de canaux, elles assuraient leur alimentation. Il fut facile de combiner ainsi le réseau cohérent qui donna aux Flandres leur unité. Ces rivières étaient assez égales de débit, assez régulières de pente pour servir d'instruments dociles et maniables entre les mains de l'homme. Il les a dirigées, canalisées, détournées au besoin. Dans le lacis de leurs ramifications s'est niché le berceau de villes puissantes, Gand, Lille. Surtout la possession d'une force de transport souple et multiple, chose autrefois si rare, a été pour cette contrée l'inestimable avantage qui lui a donné l'avance sur les autres.

Ce sont des causes commerciales qui, de cet ensemble varié de pays, ont formé une contrée politique.

Pendant longtemps le souvenir des régions naturelles a survécu dans la dénomination commune: jusqu'au XIIe siècle les chroniqueursécrivaient les Flandres. La Flandre primitive est le Franc de Bruges, la lande aride qu'échancrait l'ancien golfe du Zwyn. Les Flamands, dans les textes les plus anciens, sont distingués des peuples de Courtrai, de Gand et de Tournai, reliés au contraire aux Anversois et aux Frisons; ils font partie d'une chaîne de peuples qui suit la mer du Nord et s'est constituée sur la zone littorale d'alluvions qui s'étend du Slesvig au Pas de Calais. C'est visiblement le long des côtes que se sont propagées ces tribus d'éleveurs et de pêcheurs, barbari circa maris littora degentes', destinés à devenir des peuples historiques. Tous n'eurent pas la même fortune : les Frisons, relégués à l'écart des grandes voies continentales, furent condamnés par l'isolement à une relative insignifiance politique. Cet isolement se manifeste encore, chez les insulaires de la Zélande, par l'originalité tranchée des costumes et même des types. Il en fut autrement dans les parties de ce littoral germanique où aboutissaient des voies depuis longtemps fréquentées par le commerce. C'est aux embouchures du Rhin que se forma le noyau de la Hollande. Celui de la Flandre se forma aussi sous l'influence de relations commerciales préexistantes.

Il y avait, à proximité du point où un gendre de Charles le Chauve éleva, en 865, contre les incursions normandes, la forteresse de Bruges, un important réseau de voies romaines. Elles se reliaient.

1. Vie de Saint Éloi, liv. II, chap. 11 (Rec. des historiens des Gaules et de la France, publ. par Dom Bouquet, t. III, 1741, p. 557).

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aux grandes voies partant de Cologne et de Reims, par ce carrefour de Bavai, d'où rayonnaient sept voies ou chaussées de Brunehaut. C'était donc là qu'aboutissaient les lignes d'une circulation active pénétrant de deux côtés différents dans l'intérieur du continent. Des foires fameuses, à Thourout, puis à Bruges et ailleurs, furent l'expression de ces rapports. On y venait de Basse-Allemagne comme de Champagne. C'est par groupes de foires, se succédant à des dates diverses pour la commodité des marchands que se constituaient jadis des foyers commerciaux. L'industrie, certaine d'y trouver des débouchés, avait avantage à s'y établir. Ainsi naquit une pépinière de villes, ateliers d'industrie, foires ou ports maritimes, au premier rang desquelles brilla cette cité née entre la boue des alluvions et le sable des landes, Bruges. La solitude est revenue autour d'elle et l'on cherche entre les prairies et les peupliers la place où se pressaient les flottes; on n'entend plus passer entre ses canaux silencieux la rumeur quotidienne de ses grandes foules d'artisans. Mais ce n'est qu'un déplacement de la vie commerciale, dont aujourd'hui a hérité Anvers. Cette partie d'Europe, quand les guerres n'y ont pas mis obstacle, a toujours été un pays de transit, un lieu de rencontre entre le Nord et le Sud, entre le continent et l'Angleterre. C'est sa vocation, déterminée par sa position géographique. Elle apparaît, dès le Moyen âge, comme la plus véritablement européenne des contrées de l'Occident, celle où marchands d'Angleterre, de France et d'Italie, marins catalans, vénitiens et hanséates, se rencontrent. La renommée en retentit au loin; on en connaît les aspects, les paysages, les digues. Dante lui emprunte des comparaisons'. Quant à Paris, il a toujours été, comme il est encore, par une ligne presque ininterrompue de voies fluviales, en communication naturelle avec les Flandres. On a, de Paris même, la sensation de ce contact. Par la fente ouverte entre Ménilmontant et Montmartre, canaux, usines, chemins de fer se pressent; et la plaine elle-même semble fuir vers le Nord.

Bien avant qu'au xvre siècle Guichardin écrivît que la Flandre << était une ville continue », les étrangers s'étaient montrés étonnés de la multitude de populations qui s'y pressaient. Suger, dès le XIIe siècle, en exprime sa surprise. Comme aujourd'hui il y avait là un réservoir d'hommes dont le trop-plein se déversait au dehors, quelquefois au loin. Et c'était un problème toujours renaissant que d'assurer la subsistance de ces grandes populations urbaines ou industrielles.

1. Enfer, c. 15, v. 4-7.

2. Terra valde populosa. Vie de Louis le Gros, chap. xxix (éd. A. Molinier, dans la Collection de textes pour servir à l'étude et à l'enseignement de l'histoire, Paris, Picard, fasc. 4, 1887).

Pour cela il fallut créer une agriculture intense. Il se passa au Moyen âge, dans ces contrées, le phénomène qu'on remarque aujourd'hui dans certains cantons stériles où la houille a concentré de grandes agglomérations la terre se transforme, le sol s'enrichit grâce aux ressources que la ville met à son service et au marché qu'elle lui offre. C'est ainsi qu'aux abords de Gand le pays de Waës, lande sablonneuse, fut transformé en culture. Pour que ce maigre sol devînt un des terrains agricoles les plus riches de l'Europe, il fallut l'effort de générations, et l'aiguillon de la nécessité. La vie urbaine stimula en Flandre la vie rurale, qui devait subvenir à ses besoins.

On comprend quelle fut, dans ces conditions, l'importance capitale des commodités de transport. Ce pays industriel et urbain demanda la matière première de son travail, la laine, à l'Angleterre; mais ce fut surtout aux plaines limoneuses du Sud qu'il fut amené à demander sa subsistance. Les abords immédiats ne suffisaient pas pour ces multitudes. Heureusement des rivières, navigables jusque dans leur cours supérieur, offraient une voie facile vers les riches plaines du Midi des Flandres. Les pays de Tournai, de la Pévèle, de Lille, Béthune, Hazebrouck, Bergues, de l'Artois même devinrent les greniers naturels des centres industriels du Nord. La riche agriculture de ces régions s'est développée en rapport avec les débouchés qui lui étaient ouverts. Ce sont encore aujourd'hui les céréales qui dominent dans les plaines argileuses des Flandres; elles l'emportent de beaucoup sur les prairies; et ce fait, que n'explique pas suffisamment la nature du sol, tient peut-être à d'anciennes habitudes fondées sur des rapports historiques. Tout foyer urbain exige une zone d'approvisionnement. La nature y avait pourvu en mettant en communication facile avec les pays du sable les pays nourriciers du limon.

Le Nord et le Sud des Flandres sont en multiple corrélation de besoins. Comme, vers le Sud, les couches anciennes se rapprochent de la surface, les matériaux de construction n'y manquent pas non plus ce sont les grès des environs de Douai, les calcaires marmoréens de Tournai, les bancs de craie solide qui affleurent près de Lille. On a tant exploité les grès de Douai et du Quesnoi, que les carrières en sont aujourd'hui épuisées. Mais Tournai ne cesse de fournir au reste des Flandres, et même au Nord de la France, ses marbres bleuâtres, si renommés qu'on les retrouve employés, même dans la Picardie et l'Ile-de-France, comme décoration de tant de vieilles églises. Enfin, les croupes crayeuses fendillées qui limitent la Flandre au Sud recèlent dans leurs flancs des sources abondantes et vives, où puisent aujourd'hui les grandes agglomérations urbaines.

Le groupement original des Flandres repose sur ces rapports de solidarité réciproque, de commerce assidu. Une empreinte générale se marque dans les habitudes malgré les différences ethniques, s'exprime dans l'art et subsiste malgré les séparations politiques. D'unité proprement dite il ne saurait être question entre ces personnalités vigoureuses dont chacune s'incarne dans une ville avec ses monuments, ses fêtes, son histoire. Mais un air de civilisation commune enveloppe la contrée : civilisation urbaine municipale, qui fut avec celle de l'Italie et de quelques parties de l'Allemagne, un des fruits exquis de l'histoire de l'Europe.

Il y avait en effet dans la réciprocité des besoins et les facilités de LA VIE URBAINE. circulation, le germe d'un riche développement de vie urbaine. Son expression la plus brillante fut au Moyen âge, où, dans un espace restreint, on vit ports maritimes, centres industriels, stations de batellerie, marchés à grains se correspondre comme les pièces d'un organisme économique. Mais les racines dont naquit cette féconde et exubérante frondaison urbaine remontent plus loin dans le passé.

On vit de bonne heure, à l'Est comme à l'Ouest de l'Escaut, des villes se former sur la zone où les croupes crayeuses s'inclinent au seuil de la dépression humide. A portée des grandes voies romaines qui se dirigeaient vers la Bretagne et la Germanie, au sommet des croupes, aux issues des vallées, sur les éminences détachées, naquirent des postes militaires, noyaux de villes Térouanne dans la partie bien définie et non marécageuse de la vallée de la Lys, Arras entre une ceinture de coteaux, Cambrai au débouché de l'Escaut, ou bien sur les monticules isolés dans la plaine, Cassel, Tournai. Telle fut la première série urbaine qui tint longtemps les clefs de la contrée et même des contrées voisines. L'arrivée des Francs à Tournai, Cambrai, fut l'indice précurseur de leur prépondérance dans le Bassin parisien.

La vie urbaine resta primitivement attachée à cette première zone : c'est seulement plus tard, surtout du Ixe au XIIe siècle, que, dans les marais longtemps disputés par la mer, dans les tourbières qui de Saint-Omer à Marchiennes bordent la lisière de l'Artois, ou dans les lacis fluviaux enveloppant des îles, naquit une nouvelle génération de cités, bien plus variées, plus originales et destinées à une bien autre fortune: Lille, Gand, Bruges, etc., virent le jour. C'est alors que la vie s'insinua par nombre d'artères jusque dans l'intérieur même de la contrée; qu'elle créa, en rapport avec les villes maritimes, les marchés de grains de Béthune, Saint-Omer, Bergues, Douai; qu'elle ébaucha, par la ligne des marais qui sillonnent le pied des côtes crayeuses, le système futur de canalisation.

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