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Plus tard, ces marais servirent de fossés à des places fortes. Elles sont nombreuses, les villes grandes ou petites qui, derrière leurs larges fossés, ont arrêté des invasions, soutenu des sièges et conservé une légende guerrière. Serrées dans leurs rouges remparts de briques, elles ont presque toutes quelque histoire glorieuse de frontière à raconter, et ce n'est pas sans regrets que la plupart voient aujourd'hui tomber leur armure.

Chaque époque de l'histoire a fait surgir sur ce sol de nouvelles rangées de villes; quelques-unes s'éteignaient, pendant que d'autres venaient au monde la formation urbaine ne s'est pas arrêtée. Le sous-sol y collabore à son tour. C'est vers 1846 que la poursuite du bassin houiller, déjà reconnu depuis cent ans à Valenciennes, s'est avancée jusqu'à Lens et Béthune. Alors, à côté de la ville, unité harmonique dans un cadre restreint, s'est formé çà et là un type que le passé ne connaissait pas, l'agglomération industrielle. Autour des puits de mines dont les silhouettes bizarres hérissent la plaine agricole de Lens, les rangées de corons s'alignent uniformément par huit ou dix tristes petites maisons que rien ne distingue entre elles, nées à date fixe pour encadrer les mêmes existences multipliées comme les zéros d'un nombre. Parfois le contraste prend une forme saisissante Valenciennes, signalée au loin, comme dans les tableaux de Van der Meulen, par les flèches élégantes de ses édifices, ramasse ses rues étroites autour de sa grande place; mais à ses portes, comme une excroissance, s'étend l'énorme banlieue désarticulée, avec ses files de maisons, d'estaminets et d'usines.

Il y a donc dans cette Flandre, à côté de villes qui ont eu leur moment, mais qui semblent aujourd'hui figées dans leur passé, d'autres où la vie fermente, encore discordante dans sa croissance hâtive. La sève urbaine n'est pas éteinte. Elle est dans l'histoire et dans le sang des habitants. C'est comme citadins que les Flamands se sont sentis eux-mêmes, qu'ils ont lutté contre l'étranger, lequel souvent n'était autre que le roi de France. Leur patriotisme se personnifie dans des monuments ou des emblèmes urbains. Si Tournai, la vieille ville épiscopale, a sa fière cathédrale aux sept tours, il n'en est guère qui ne puisse montrer qui ses halles, qui son hôtel de ville, qui sa merveille, beffroi et carillon, symbole et voix de la cité. Même dans les villes mortes, la place vaste et irrégulière, faite pour les rassemblements populaires, évoque le souvenir des foules d'autrefois. Ces villes ont été en guerre, mais aussi en relations constantes de commerce, d'institutions, d'art et de fêtes. Par-dessus les différences de langues et de frontières, qui ne nous paraissent si fortes que parce que nous les voyons par les cartes plutôt que dans la réalité

vivante, elles continuent à fraterniser. Une certaine joyeuseté anime cette vie urbaine. Tournai échange avec Lille des quolibets plus goguenards qu'injurieux. Le reuse de Dunkerque rend visite au gayant de Douai. Une sorte de folklore citadin, surtout développé dans les dialectes populaires, rouchi et wallon, a inspiré des poètes, des chansonniers, surtout des dictons moqueurs d'une ville à l'autre. Tant il est vrai que, dans toutes les associations humaines, l'imagination a sa part! Il faut qu'elles émeuvent les sentiments, qu'elles frappent la vue par des spectacles, qu'elles s'incorporent aux habitudes et aux plaisirs. Par là, en Flandre, la vie urbaine a conservé sa saveur. C'est comme citoyen d'une ville, membre d'une corporation, habitant d'un quartier, que le Flamand se sent de son pays.

II

LE BASSIN PARISIEN

VUE GÉNÉRALE.

L

E seuil du Cambrésis, les coteaux de l'Artois séparent les Flandres du Bassin parisien. On entre alors dans une grande région dont les lignes principales se coordonnent entre l'Ardenne, les Vosges, le Massif central et l'Armorique, révélant une unité de structure qui, malgré beaucoup d'accidents locaux, reste burinée sur l'ensemble. C'est un champ d'enfoncement, où les zones se succèdent d'après une disposition généralement concentrique autour de Paris. Cette disposition, entrevue dès le xvIIe siècle par Guettard', a été formulée en termes qui l'ont rendue classique par Elie de Beaumont, dans son Introduction à l'Explication de la carte géologique. Le Bassin pari

1. Guettard, Mém. de l'Acad. des Sciences, 1746, p. 363; (carte et mémoire).

2. Le Bassin parisien est circonscrit par une zone de terrains jurassiques, puis de terrains crétacés, enveloppant une région centrale composée de terrains tertiaires. Les cartes géologiques de nos Atlas ont rendu les principales divisions du Bassin assez familières à tous, pour nous dispenser d'y insister ici. Ces cartes procèdent pour la plupart de celle qui a été publiée à l'échelle du millionième par le Ministère des Travaux publics, d'après les documents du Service de la carte géologique détaillée. On trouvera, sur l'histoire géologique du bassin, des renseignements aussi abondants que précis dans le livre de M. de Lapparent La Géologie en chemin de fer, Description géologique du Bassin parisien et des régions adjacentes (Paris, Savy, 1888). Nous nous sommes généralement conformés aux limites assignées par l'auteur; sauf toutefois pour la partie orientale. Bien que la même inclinaison des couches géologiques se continue effectivement jusqu'aux Vosges il nous paraît préférable d'exclure du Bassin parisien les formations triasiques lorraines qui correspondent à l'Ouest des Vosges à celles qui se succèdent à l'Est de la Forêt-Noire. Nous les rangeons dans la région rhénane. Il est vrai que la Lorraine se trouve ainsi partagée entre deux régions différentes, car il ne saurait y avoir doute sur l'attribution au Bassin parisien du pays de la Meuse et des côtes oolithiques qui par Longuion, Metz, Nancy, se déroulent jusqu'à Langres. Comme il était impossible, dans cette description, de séparer ce que tant de rapports unissent, nous nous sommes décidés à grouper l'ensemble des pays qui constituent la Lorraine dans la Région rhénane (section III, chapitres 1 et 11). C'est naturellement l'idée géologique qui nous sert de guide dans l'ordre de description des diverses parties du bassin. Nous rencontrons successivement ainsi : — 1o au Nord, la grande région limoneuse à sous-sol de craie qui comprend, non la Picardie tout entière, mais la province qui depuis Louis XI en a officiellement gardé le nom; - 2o au Centre, la partie de la région tertiaire vers laquelle s'inclinent les couches géologiques et convergent les rivières venues de la périphérie orientale du bassin. Centre et périphérie sont unis par la Seine; 3o au Sud, la succession des terrains jurassiques, crétacés et tertiaires mis en rapport par la Loire; 4° à l'Ouest, la réapparition des zones jurassiques et crétacées qui correspond, sinon à la Normandie tout entière, du moins à sa partie principale, celle où se trouvent Rouen et Caen, ses deux capitales historiques.

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sien excède notablement le bassin fluvial de la Seine: la Meuse jusqu'à l'Ardenne, la Loire dans toute sa boucle septentrionale, les tributaires de la Manche entre Caen et Boulogne, en font partie. Le tout embrasse une étendue supérieure au quart de la France; et cette région que distinguent entre toutes la convergence des rivières, l'abaissement des seuils intermédiaires, la variété des terrains, remplit ainsi les conditions les meilleures pour rapprocher les population s et leur inspirer, par la communauté des intérêts, des invasions, des dangers, un sentiment de solidarité réciproque.

Ce fait géologique est par là un grand fait historique. Il n'y a pas dans le reste de la France de région naturelle taillée à plus grands traits; pas une non plus, sauf les Flandres, qui communique plus librement avec le dehors. Ce que l'ampleur des surfaces, la facilité des rapports, la variété et la richesse agricoles comportent d'influence politique, est réuni dans le Bassin parisien. D'où la prépondérance qu'il a acquise dans les destinées historiques de la France. Une certaine subordination des parties est nécessaire à la formation d'un État le rôle qu'ont joué le Bassin de Londres, celui du Volga, la Plaine germanique dans leurs contrées respectives, est celui que le Bassin parisien était naturellement appelé à exercer par rapport au reste de la France.

CHAPITRE PREMIER

PARTIE SEPTENTRIONALE. LA PICARDIE

ENTRÉE

SEPTENTRIONALE

DU BASSIN

PARISIEN.

COTEAUX

DE L'ARTOIS.

A bande jurassique qui marque la périphérie du Bassin parisien

sous les couches argileuses qui forment le pays d'herbages et de haies vives de la Thiérache; puis, vers le Cateau, ces argiles sont remplacées à leur tour par la craie blanche qui façonne les larges croupes agricoles du Cambrésis. Là seulement commence la vaste zone crayeuse qui se déroule en Champagne comme en Picardie. Nous allons étudier, en Picardie, la physionomie qu'elle imprime au paysage. Mais auparavant un accident remarquable, vers l'Ouest, doit attirer l'attention.

Si l'on suit de Cambrai vers Arras la route qui se déroule en ligne droite sur les traces d'une ancienne voie romaine, on voit peu à peu vers la gauche le relief s'accidenter davantage. C'est d'abord, audessus d'Arras, sous forme de collines découpées qu'il s'accuse; mais au delà, vers Lens et Béthune, une ligne continue de hauteurs commence à se dégager. Le regard s'y attache avec d'autant plus de curiosité que cette crête uniforme, garnie de bois, diffère par son allure des monticules frangés qui parsèment la Flandre. Elle domine d'une hauteur soutenue de 100 mètres les dépressions qui en suivent le bord. Du Nord, on la prendrait pour une simple colline; mais derrière cette colline il y en a d'autres, séparées par un sillon de vallée; et puis des plateaux sans fin, que découpent en larges croupes de rares cours d'eau suivant un parallélisme qui ne se dément pas jusqu'aux limites de la Normandie.

C'est qu'en effet le Bassin parisien est sillonné, dans sa partie septentrionale, par une série alternante de bombements et de plis qui en ont affecté les couches profondes, préparant les voies des vallées

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