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LA VIE

LIMONEUX.

communes à une partie de l'Europe centrale. Dans la France du Nord, où ces sols couvrent une surface considérable, où ils tapissent non seulement la région picarde, mais le Vexin et la Beauce, ils n'atteignent nulle part autant de puissance que sur la zone qui va de Cambrai à Montdidier; et nulle part ils n'impriment aussi fortement leur cachet sur l'existence des population.

Ce limon est essentiellement le sol d'éducation agricole où se sont SURLES PLATEAUX formées les habitudes qui ont permis plus tard de conquérir sur la forêt les terres argileuses et froides, et d'étendre ainsi le domaine nourricier dans lequel la France de l'histoire puisa sa force. La charrue ne risque pas de s'y heurter aux pierres; elle trace librement de longs sillons sur ce terrain aplani et facile, où le laboureur put de bonne heure adopter la charrue à roues. Il était d'autant plus facile d'extraire la craie du sous-sol que, notamment dans le Santerre, aucun lit de pierres ou de rocailles ne la sépare du limon. Pour construire ses demeures, l'homme avait à sa disposition le limon même, ou pisé, dont il faisait avec un mélange de menue paille un torchis, reposant sur une base de silex, et appliqué sur des poutres en bois.

Depuis plus de vingt siècles la charrue fait donc pousser des moissons de blé sur ces croupes, livrées à sa domination exclusive. Le chemin se creuse dans le limon aux abords des éminences qu'occupent les villages. Entre les champs nus, sillonnés de routes droites, qui souvent sont des chaussées romaines, le regard est attiré çà et là, généralement au sommet des ondulations, par de larges groupes d'arbres, d'où émerge un clocher. De loin, dans la campagne désolée de l'hiver, ces agglomérations d'arbres, que la platitude de l'horizon permet d'apercevoir dans leur répartition quasi régulière, font des taches sombres qui feraient songer aux îles d'un archipel. En été ce sont des oasis de verdure entre les champs jaunis. C'est ainsi que s'annoncent, dans le Cambrésis, le Vermandois, le Santerre, les villages où se concentre la population rurale. Entre eux, presque pas de maisons isolées; un moulin à vent, un arbre protestent à peine contre la solitude générale. C'est que, dans ce sol perméable, le niveau de l'eau est si bas qu'il faut creuser, jusqu'à 80 mètres parfois, des puits coûteux pour l'atteindre. Les habitants se serrent autour des puits et des mares.

Ces villages sont nombreux, à peine distants de 3 kilomètres les uns des autres. Plusieurs ont recherché les plaques de sable argileux dont l'humidité favorise la croissance des arbres. Ce sont des villages ou des bourgs ruraux, dont les noms souvent terminés en court (cortis) indiquent l'origine agricole. Presque invariablement ils se composent d'un noyau de bâtiments contigus, disposés sur le même

type. C'est en réalité une agglomération de fermes, chacune avec sa cour carrée. On ne voit de la rue que la pièce principale de la ferme, la grange au mur nu percé d'une grande porte. En face d'elle, formant la face opposée de l'enceinte carrée qu'occupe la cour, la maison proprement dite, c'est-à-dire la partie réservée à l'habitation, suivie à

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Villages régulièrement répartis sur les croupes légèrement argileuses qui surmontent la convexité du plateau limoneux. Toute la population s'y groupe; arbres et vergers s'y concentrent; des champs nus les séparent.

Le village est un organisme complet où autrefois l'industrie s'alliajt à l'agriculture.

son tour d'un verger et d'un plant où des peupliers s'élancent entre les arbres fruitiers. Le village est ainsi enveloppé d'arbres. Cette périphérie boisée qui embrasse plusieurs kilomètres donne l'illusion d'une étendue singulière. En réalité il est rare, même dans les parties les plus fertiles, que les groupes comprennent plus de quelques centaines d'habitants. Encore diminuent-ils aujourd'hui, à mesure que le sol exige moins de bras et que s'en vont les industries rurales qui servaient d'auxiliaires. Les maisons où résonne encore le cliquetis du métier à tisser se font rares. Après s'être multipliée jusqu'à un degré qu'atteignent rarement les pays agricoles, la population éclaircit ses rangs. Mais le mode de peuplement ne change pas. Ces unités agricoles subsistent, telles que les conditions du sol les ont très anciennement fixées, dans le cadre monotone et grave des champs

L'EAU

EN PICARDIE.

ondulant sous les épis; et j'imagine qu'un contemporain de PhilippeAuguste ne s'y trouverait pas dépaysé.

Pourquoi ces villages souffrent-ils souvent en été de la sécheresse? Pourquoi des lieues se passent-elles sans voir eau courante? Et que deviennent les 6 à 700 millimètres d'eau qui tombent par an, dans un climat où l'évaporation n'est pas capable d'en soustraire beaucoup à son profit? Cette eau s'infiltre dans la masse fissurée et homogène de la craie blanche. Elle l'imbibe entièrement, comme une éponge; mais elle finit pourtant par trouver des couches plus compactes, qui l'arrêtent. Ainsi s'établit un niveau au-dessus duquel les croupes et les vallées faiblement creusées sont à sec, au-dessous duquel au contraire la nappe souterraine, par suintements, par sources, affleure à la surface. Pas de source à flancs de coteaux, comme celles que signalent des peupliers sur les collines des environs de Paris. Une source initiale, somme, fait son apparition dans le fond d'une vallée qui se prolonge en amont, mais sans eau permanente. Elle est sujette à reculer vers l'aval, si le plan d'eau s'abaisse. Mais à partir du moment où le courant définitif s'établit, il ne cesse pas de se renforcer d'afflux souterrains. Désormais, entre les croupes molles et jaunes, l'eau surabonde sous toutes les formes, rivière, étangs, canaux, marais ou tourbières. Tandis que les villages des hauteurs souffrent de la soif, l'hortillonneur ou maraîcher circule en barques autour de Péronne ou d'Amiens.

Il y a ainsi, dans ces régions de la craie, une vie des vallées, et une vie des plateaux. Chacune se meut dans un cadre et des conditions diverses. Elles coexistent en Picardie, grâce à la fertilité des plateaux et à l'humidité qu'entretiennent çà et là les argiles éocènes; tandis qu'en Champagne la vie est absente ou languit sur les plateaux presque réduits à leur maigre tuf. Mais dans l'une et dans l'autre de ces contrées une vie particulière s'éveille avec la réapparition des eaux courantes. Les rivières sortent toutes formées. Moulins, usines, villes se succèdent presque dès leur source.

C'est surtout autour du dos de pays qui s'élève lentement jusqu'au bord du grand sillon de l'Oise que la craie laisse échapper les eaux qu'elle avait emmagasinées. Les sources de la Somme et de l'Escaut sont à peine distantes de 12 kilomètres. Ce renflement, bien qu'il ne dépasse pas 140 mètres de hauteur, prend un aspect particulier de monotonie et même de solitude. L'intervalle s'étend entre les villages; les croupes se déroulent plus ternes que jamais; et de l'eau enfouie en profondeur il n'y a d'autre trace que des ravins, des fossés, des riots secs que signale de loin quelque ligne d'humbles saules. Ces laides campagnes méritent pourtant attention : ce fut et

c'est encore une des portes de la France. Les communications générales, celles qui créent des relations politiques de longue portée, ont dû rechercher la zone de moindre obstacle. Ces espaces élevés et découverts, d'où l'on domine les environs, où il n'existe ni rivières, ni marais à traverser, étaient faits à souhait pour les ingénieurs romains qui ont fixé pour longtemps la viabilité de nos contrées. On

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O kil

10

CARTE 10. VILLAGES DE PLATEAUX ET VILLAGES DE VALLÉES DANS LE VERMANDOIS. Contrée largement ondulée, que sillonnent de nombreuses vallées sèches, et où se croisent des voies de circulation de tout âge, vers le Hainaut ou les Flandres. Le plateau porte des villages agricoles uniformément encadrés dans une ceinture d'arbres qu'entourent souvent des chemins creux; ou d'autres villages qui s'allongent au bord d'anciennes routes. Au contraire, dans les vallées et dès les sources des rivières, on aperçoit une série de bourgs, moulins, châteaux, abbayes, usines, etc.

peut voir, entre la source de l'Escaut et celle de la Somme, la grande voie qui reliait Vermand à Bavay, deux points qui ont aujourd'hui cédé leur importance aux villes voisines. Pendant 80 kilomètres elle suit presque imperturbablement la ligne droite, à peu près toujours au même niveau. Sorte de voie Appienne du Nord de la Gaule, elle se dirigeait de là, toujours de préférence par les plateaux limoneux, vers Tongres et Cologne. Cette ligne maîtresse était donc en réalité

LA SOMME.

une voie naturelle. Jalonnée, en Belgique comme en France, de restes de la civilisation gallo-romaine, elle a cimenté entre les pays wallon et picard un rapport déjà préparé par l'analogie du sol et qu'à défaut de lien politique la ressemblance de dialectes met encore en lumière. A ce pivot de communications venaient aboutir les routes de l'Ile-de France en Flandre. Il est significatif de trouver une série de villes échelonnées près de la naissance des principales rivières, avant que leur sillon s'approfondisse. Ce sont les étapes fixées par les commodités naturelles d'un transit ancien. Saint-Quentin, héritier de Vermand, puis Roye, Montdidier, Bapaume', correspondent aux routes qui de Reims par Laon ou Soissons, de Paris par Crépy-enValois, gagnaient les Pays-Bas. Qui tenait ces villes interceptait une des grandes voies de commerce.

La Somme est une des rivières dont l'existence remonte le plus haut dans l'histoire du sol. Sa vallée est, avons-nous dit, un synclinal vers lequel s'abaissent les couches au Nord et au Sud, en harmonie avec l'allure générale des plis qui ont affecté le Bassin parisien. Elle a certainement de très bonne heure fixé son lit dans la vallée qu'elle occupe; mais ce n'a pas été sans passer par d'étonnants changements de régime. Cette rivière paisible, au débit uniforme, laissant déposer tranquillement la tourbe le long de son chenal, a eu jadis un cours diluvial capable de transporter pierres, graviers et galets. C'est dans les graviers qu'abondent les traces de l'âge paléolithique dans la vallée de la Somme. En Picardie, comme en d'autres pays de lentes rivières, la Flandre et la Beauce, subsistent les traces d'un régime tout différent. Rien d'exceptionnel dans ce fait. Aucun trait n'est plus frappant dans ce que nous commençons à savoir aujourd'hui de l'histoire des rivières, que ces vicissitudes de régime; sinon peut-être leur tendance à persister, malgré des changements de relief, dans le cours une fois tracé.

On qualifierait volontiers de sénilité l'état actuel du régime de la Somme, si l'application de cette métaphore à des faits d'ordre inorganique n'était pas sans inconvénients. Elle ne roule plus d'alluvions; mais elle travaille à sa manière, par la végétation qu'elle favorise, à combler la vallée trop large dont elle dispose. Cette vallée est à fond plat; de la base des croupes de craie qui se dressent assez brusquement de part et d'autre, les eaux suintent avec assez d'abondance

1. Sur le bureau de douanes de Bapaume, voir Finot, Etude historique sur les relations commerciales entre la France et la Flandre au Moyen âge, Paris, Picard, 1894. Fagniez. Documents relatifs à l'histoire de l'industrie et du commerce en France, t. II, introd., p. x, Paris, Picard, 1900 (Collection de textes pour servir à l'étude et à l'enseignement de l'histoire, fasc. 22 et 31).

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