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SUR L'ESPAGNE ET L'INTERVENTION.

Aujourd'hui que les yeux de l'Europe sont fixés sur l'Espagne, qu'une lutte sanglante décime ses malheureux habitans, que les événemens vont se compliquant de plus en plus, et laissent dans le vague le dénouement d'un drame qui se joue à la porte d'une grande nation, nous croyons devoir offrir à nos lecteurs un tableau de l'Espagne et de ses relations diplomatiques (1), tracé récemment par un diplomate espagnol, qui occupait naguère auprès d'une puissance étrangère un des postes les plus émineus, et qui a joué un rôle très important dans le traité de la quadruple alliance. Nous allons faire l'analyse de cette intéressante brochure, et l'accompagner de quelques observations.

La première question que traite l'auteur de cet ouvrage est celle de la succession au trône d'Espagne. Il se livre à l'examen des argumens invoqués, soit en faveur de la reine Christine, soit en faveur de don Carlos; et son opinion sur cette question se résume dans cette phrase, extraite textuellement de son livre : « Nul jurisconsulte espagnol, s'il « n'est aveuglé par l'esprit de parti, ne doute et n'a jamais << douté du droit de la reine : il est aussi clair, aussi évident

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« que la lumière, pour tout homme qui connaîtra à fond le « droit espagnol. »

Comprenant fort bien que, lorsque la décision des questions de droit est remise à l'épée, les controverses sont stériles, et les conclusions de la logique impuissantes à se faire adopter; sentant d'ailleurs que ce n'est pas une question de droit entre deux princes qui met l'Espagne en armes, mais bien la lutte de deux principes défendus par

(1) Voir la brochure intitulée De la España y de sus relaciones diplomaticas con la Europa.

deux partis puissans, l'auteur se hâte de passer à l'examen de la force et de l'importance de ces deux partis.

L'un, celui de don Carlos, a pour lui, dit-il, les puissans élémens produits et accumulés par trois siècles d'inquisition et par le système, aussi funeste à la morale publique qu'avantageux à ceux qui l'exploitaient, de mettre les pratiques religieuses à la place des préceptes; en outre, il doit compter, et il compte sur la force qu'il emprunte d'une royauté qui, bien qu'hypothétique, n'en a pas moins sa bannière qu'elle présente à tous les mécontens; enfin, il exploite toutes les ambitions, met à profit toutes les fautes que ne manque pas de commettre un gouvernement

nouveau.

L'autre parti, celui de la reine, se compose de ce qu'il y a de notable dans toutes les classes de l'état, y compris une partie du haut clergé; tandis que du côté opposé il n'y a pas un seul homme à antécédens honorables. Mais le trône, autrefois ligué avec le despotisme, aujourd'hui source de progrès et point lumineux d'où rayonne la liberté, est malheureusement occupé par un enfant de quatre ans, et ce n'est point un léger obstacle pour le parti libéral, qu'une minorité, toujours difficile à passer sous la régence d'une princesse, qui peut plus ou moins payer son tribut au sexe, à l'âge, à l'inexpérience.

De l'examen des deux partis qui fomentent la guerre civile en Espagne, l'auteur tire cette conséquence qu'ils sont à peu près de forces égales, qu'ils peuvent par conséquent prolonger la lutte, et continuer encore pendant long-temps à donner au monde l'horrible spectacle d'Espagnols qui tuent des Espagnols, d'amis et de frères qui s'entr'égorgent.

Mais une lutte qui se prolonge fait naître des doutes sur sa fin; car, comment prévoir les circonstances et les complications qui peuvent survenir. Si, d'un côté, don Carlos n'a pu faire progresser sa cause, ni gagner pour elle des partisans en dehors du coin qu'il occupe, d'un autre côté,

le gouvernement de la reine, après avoir mis en jeu toutes les ressources, et usé en pure perte la réputation de plusieurs généraux, n'a pu ni terminer la lutte, ni étouffer les germes de discorde qui pullulent sur tous les points du sol espagnol.

Si donc, continue l'auteur, les efforts et la grande répu tation du général qui vient de prendre le commandement de l'armée de la reine ne finissent pas par remporter une victoire décisive, le gouvernement de Christine se verra forcé de demander des secours à la quadruple alliance.

Ici, l'auteur est naturellement conduit à rechercher les causes et l'objet du traité de Londres.

Les causes de ce traité, dit-il, ce sont les circonstances simultanées dans lesquelles se sont trouvées l'Angleterre, la France, l'Espagne et le Portugal. La consolidation et la conservation réciproques de ces quatre puissances, tel est le but, l'objet du traité.

Ces principes et ces intérêts une fois reconnus et définis, il n'était pas difficile de prévoir que les stipulations seraient réglées de manière à satisfaire les besoins et à répondre aux événemens prévus.

Le préambule du traité fixa son objet, savoir : le rétablissement de la paix de la Péninsule, la consolidation des trônes des royaumes d'Espagne et de Portugal.

Après cet examen du traité de la quadruple alliance, et après quelques mots sur les articles additionnels à ce traité, l'auteur reporte ses regards sur les troubles de la Péninsule, sur l'impuissance du gouvernement de la reine à éteindre le foyer de la rébellion, et il se demande s'il ne faudra pas faire de nouvelles stipulations additionnelles ? s'il ne faudra pas recourir aux engagemens hypothétiques pris par la France dans l'article 4, réclamer la coopération d'une force navale anglaise, en vertu du deuxième article additionnel ?

Les résultats de la campagne ouverte par le général Valdés répondront à ces questions. Si cette campagne ter

mine l'affaire, tant mieux; sinon il faudra solliciter l'appui de la quadruple alliance.

Mais cet appui pourra-t-il jamais devenir une interven-tion? Non, dit l'auteur, cela n'est pas possible. Ce seraitseulement un secours fourni en exécution d'un traité; ce serait la conséquence d'une stipulation dont l'application: et la latitude sont surbordonnées à des éventualités et à des hypothèses, que les circonstances doivent légitimer. En pareil cas, il ne s'agirait pas d'une question européenne comme dans l'intervention en Espagne en 1823, question qui fut discutée à Laibach, à Troppau et à Vérone, mais seule.ment d'une question concernant exclusivement les puissanees signataires du traité de Londres, et qui serait, sous tous les rapports, étrangère aux autres puissances de l'Europe, lesquelles ne pourraient s'en mêler, ni ne s'en mêleraient.

Daus l'opinion de l'auteur, ces puissances resteraient simples spectatrices, comme à leur tour le furent la France et l'Angleterre, lorsqu'une armée autrichienne entra dans les Etats pontificaux pour y assurer la tranquillité; comme elles le furent, lorsque les troupes russes accoururent pour soutenir la Turquie contre le pacha; comme le fit la Prusse lors du siége et de la prise d'Anvers. Enfin, ce ne serait qu'une nouvelle application du principe que les souverains alliés érigèrent en dogme à Troppau, à Laibach et à Vérone, savoir que lorsque les intérêts essentiels d'un pays sont compromis, l'intervention est encore de droit. Or, les intérêts essentiels de la monarchie française de juillet seraient-ils moins compromis par le triomphe de don Carlos, que ne l'étaient ceux de Louis XVIII par l'existence du gouvernement constitutionnel d'Espagne ?

Il faut écarter toutes les illusions: que ce soit don Carlos ou la reine Isabelle qui règne sur l'Espagne, aucun de ces deux cas ne suscitera jamais une guerre européenne. Il en est de même des moyens que les circonstances pourraient exiger. Jamais le nord de l'Europe n'aura recours à des menaces ou à un langage qui pourrait offenser l'hon

neur de la France et de l'Angleterre, dans le cas où ces deux puissances permettraient à des troupes françaises de passer les Pyrénées, et à des forces anglaises de débarquer en Espagne.

Ici l'auteur arrive à la partie la plus délicate, dit-il, de son travail, à l'examen de la question espagnole par rapport aux gouvernemens de l'Europe, qui n'ont pas reconnu celui de la reine Isabelle.

Selon lui, la conduite singulière des cabinets de St-Pétersbourg, de Vienne et de Berlin, à l'égard de la reine Christine, doit être attribuée à une double cause. Premièrement, aux rapports et renseignemens inexacts qui leur furent envoyés par leurs ambassadeurs respectifs, lesquels se méprirent d'abord sur l'état des opinions en Espagne, et qui depuis n'eurent pas assez de franchise pour avouer qu'ils s'étaient trompés. Secondement, à cette pièce, la plus malencontreuse qui soit émanée de la diplomatie du 19e siècle, pièce signée du ministre à la tête des affaires au moment où mourut le roi d'Espagne. En effet, dans la politique, comme dans toutes les actions humaines, il n'y a rien de plus absurde que de vouloir faire l'impossible; et de ce genre étaient les prédictions et les promesses contenues dans ce document: car déclarer après le changement fait à la loi sur la succession au trône, en présence des partis politiques qui devaient agir dans la lutte des deux principes représentés par la reine et l'infante; déclarer que rien ne s'était passé; que le gouvernement despotique qui existait en Espagne serait continué avec quelques modifications; ce fut la chose la plus absurde qu'un homme d'état ait jamais faite.

Mais, dit en terminant l'auteur de la brochure, dans le cas même où la conduite des puissances aurait eu pour cause soit la bonne foi, soit les événemens, cette cause aurait dû disparaître par la seule comparaison des noms qui se sont identifiés avec chacun des deux partis.

A l'exception de Zumalacarréguy qui a donné des preu.

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