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est volontaire. Il peut avoir le droit d'exiger des indemnités, quand il résulte pour lui des préjudices de la résiliation du contrat; mais, cette juste prétention à part, il n'a aucun droit de s'opposer à la séparation. Ce fut le cas des États-Unis de l'Amérique Septentrionale à la fin du siècle dernier. C'était tout récemment la position des colonies. espagnoles et portugaises dans l'Amérique du Sud, et plus récemment encore celle de la Belgique.

En pareil cas, il est permis à tout gouvernement de protéger le droit du faible contre l'oppression du plus

fort.

Il n'en est pas de même lorsqu'il s'agit soit de changer ou de choisir les gouvernans, soit de modifier la constitution de l'État. Car en droit constitutionnel il n'y a de gouvernement et de constitution légitimes que ceux qui jouissent ou qui sont censés jouir de l'assentiment de la nation. Ainsi, du moment où l'on suppose qu'il y a dans la nation même une telle divergence d'opinions sous l'un ou l'autre de ces deux rapports, que les défenseurs de l'une ne peuvent obtenir l'assentiment ni exprès, ni tacite des défenseurs de l'autre, il s'ensuit qu'aucune des deux opinions n'est une opinion nationale et le gouvernement, qui, à d'autres égards, est peut-être obéi par les citoyens de diverses opinions, aura beau être à la tête du parti qui soutient l'une de ces opinions contraires, cette opinion ne peut être considérée pour cela comme étant l'opinion nationale, par la raison toute simple que le gouvernement et les hommes de son parti ne sont pas plus la nation que le parti qui leur est opposé. Ce n'est pas un parti, mais tous les partis; ce n'est pas une portion du peuple, mais le peuple entier qui constitue la nation.

L'Espagne nous offre dans ce moment un exemple bien frappant des distinctions que nous venons d'établir. Quelques provinces défendent les armes à la main l'opinion qui place don Carlos à la tête du gouvernement et professe l'absolutisme le plus pur.

De l'autre côté, le gouvernement de D. Christine, entouré d'une force qu'il n'est pas facile d'apprécier, après avoir formulé dans le statut royal un gouvernement presque aussi absolu que celui de don Carlos, se flatte de donner le change à la nation espagnole en créant un fantôme de représentation sans élection nationale et sans indépendance, comme sans division des pouvoirs.

A côté de ces deux grandes fractions de la nation espagnole, s'en présente une autre considérable composée des partisans de la constitution de 1812; puis une quatrième connue dans le pays sous le nom de comuneros, qui répond, à peu de chose près, à ce qu'on appelle républicains en France; ce sont des hommes qui, sans trop savoir quelle forme de gouvernement il faudrait adopter, demandent l'abolition de tous les priviléges, ceux de la couronne y compris. Enfin, une cinquième fraction, et sans doute la plus considérable, montre autant de dégoût pour le gouvernement du statut, qu'elle témoigne de mépris pour les hommes d'État de 1820; elle regarde aussi avec horreur le système niveleur des comuneros, et redoute le retour des actes tyranniques des comtes d'Espagne et des Calomarde.

En cet état de choses, lequel des cinq partis que nous venons de désigner, l'intervention constitutionnelle se propose-t-elle d'appuyer? ce n'est pas celui de don Carlos, et encore moins celui des comuneros ou celui de la constitution de 1812. Aussi ne s'en cache-t-on pas, car c'est en proclamant qu'ils courent à l'appui du trône d'Isabelle II, que les gouvernemens signent le traité de la quadruple alliance, et que l'on accorde à tous ceux qui la sollicitent la permission de passer au service de l'Espagne.

Nous concevons que la Sainte-Alliance et les publicistes qui professent ces doctrines voient la nation là où est le gouvernement qu'ils appellent légitime sans trop s'inquiéter de savoir si les partisans de ce gouvernement se bornent à

quelques milliers d'individus répandus sur toute la surface de l'Espagne.

Mais ce que nous ne saurions comprendre, c'est que des hommes constitutionnels ne rougissent pas de se contredire en avançant d'abord que la nation est partagée en cinq grands partis et en venant ensuite soutenir que le gouvernement de l'un de ces partis est le gouvernement.de l'Espagne.

Si c'est en effet le gouvernement de l'Espagne, pourquoi n'écrase-t-il pas tout à la fois, ou du moins l'un après l'autre, les quatre autres partis? L'argent lui manque-t-il pour équiper les soldats qué l'Espagne mettrait à sa disposition pour l'anéantissement de l'ennemi commun? Est-ce la confiance qui lui manque dans les hommes que l'on forcerait de se ranger sous les drapeaux du statut royal? Ou enfin, n'a-t-il pas les forces nécessaires pour les contraindre à se battre pour cette œuvre de déception et d'impéritie?

L'argent ne lui manque pas, car on en trouve pour payer chèrement des troupes étrangères. C'est donc parce que le gouvernement du statut royal ne saurait compter sur l'Espagne.

Ainsi, l'armée auxiliaire qui va se battre sous les drapeaux du statut royal est censée n'avoir à combattre que les troupes de don Carlos et les provinces insurgées (1). Supposons donc d'abord la guerre concentrée dans ces provinces, il arrivera de deux choses l'une, ou que les bandes du prétendant seront bientôt dispersées et les provinces soumises, ou que la lutte se prolongera. Dans le premier cas, les bandes carlistes une fois dispersées et les provinces désarmées, que fera-t-on de l'armée auxiliaire? la gardera-t-on aux frais

(1) Qu'il nous soit permis de demander si c'est au nom du statut royal qu'on a écrit sur les drapeaux rouges de cette armée auxiliaire, comme autrefois sur celui de la Montagne La liberté ou la

mort!»

de l'Espagne obérée ? Impossible. La congédiera-t-on ? Quelle force alors empêchera que de nouveaux troubles n'éclatent le lendemain? Fera-t-on de nouveau un appel à l'étranger?

Si la faction absolutiste n'est pas étouffée de suite, et que l'armée auxiliaire séjourne quelque temps sur le sol espagnol, le gouvernement du statut royal et ses panégyristes méconnaissent-ils assez le peuple espagnol pour s'imaginer qu'il souffrira long-temps la présence de l'étranger bien payé, bien nourri, bien équipé, à côté des troupes nationales dénuées du nécessaire le plus absolu?

A-t-on assez de confiance dans la discipline des bataillons du colonel Evans pour se figurer qu'ils échapperont au sort de l'armée de Napoléon? Ne doivent-ils pas s'attendre plutôt à voir dans chaque Espagnol qui pourra les décimer un ennemi à mort?

Comment les ministres du roi d'Angleterre ont-ils pu assurer à ces hommes étrangers à la cause espagnole que la convention Elliot sera observée à leur égard? Ces hommes d'État ignorent-ils que la distinction entre le soldat et le pirate, tombés au pouvoir de l'ennemi, consiste uniquement en ce que le premier peut dire : Respectez-moi, car je n'ai pris contre vous les armes que je dépose que pour obéir à mon devoir, comme vous avez obéi au vôtre › ; quant au pirate, aucun devoir ne le forçait de venir nous attaquer, il n'y a été poussé que par des motifs d'intérêt personnel.

Ceux qui ont signé la convention Elliot n'ont fait que reconnaître un principe incontestable, savoir, que les soldats du statut royal, pas plus que ceux du prétendant, ne sont des rebelles, car on n'est rebelle qu'à la nation, et le statut royal n'est pas plus la nation que ne l'est le carlisme: ce sont deux opinions également libres et qui doivent se respecter comme également loyales. Mais les hommes qui, des quatre coins de l'Europe, accourent pour désoler

la Péninsule sans y être forcés ni par la nécessité d'obéir, ni par celle de se défendre, espèrent-ils jouir de l'impunité qui n'est accordée au prisonnier de bonne guerre qu'à l'une de ces deux conditions? Il faut le leur dire, sous peine de les tromper: ils font la guerre à leurs risques et périls, non plus comme des soldats de telle nation combattant contre ceux de telle autre nation, mais comme des envahisseurs qui exploitent pour leur compte le pays dans lequel il leur a plu de porter la dévastation et la mort. En vain allègueront-ils leur sympathie pour la cause constitutionnelle (le constitutionnalisme du statut royal)! les sympathies sont des sentimens personnels, et alors même qu'on pourrait les prouver et les justifier, elles ne donnent pas des droits à ceux qui se plaisent à les entretenir, elles ne sauraient imposer des devoirs à ceux dont elles blessent les opinions ou les intérêts.

Mais enfin, disent les défenseurs de l'intervention, le traité de la quadruple alliance n'autorise-t-il pas les deux gouvernemens dont la Péninsule a invoqué le secours à le lui préter de la manière qu'ils croiront le plus convenable? C'est résoudre la question par la question. Car, qui a donné à ces gouvernemens le droit d'intervenir entre les chefs du parti soi-disant statut royal et les autres partis qui divisent l'Espagne? Ont-ils pour intervenir un autre droit que celui en vertu duquel on se proposait autrefois à Pilnitz d'intervenir entre le gouvernement des gardes-suisses et les partis qui divisaient la France à cette époque? Ont-ils un autre droit que celui en vertu duquel ont eu lieu plus récemment l'intervention en Italie et en Espagne, où l'on a exercé les rigueurs salutaires dont on conserve bon souvenir ?

Comment donc des hommes franchement constitutionnels peuvent-ils reconnaître aux gouvernemens co-signataires du traité de la quadruple alliance un droit d'intervention entre chacun d'eux et les partis qui pourraient partager leurs nations respectives, tandis que l'on voue à l'exécration les

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