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Mais il n'eft pas auffi facile de découvrir les fources du droit fuivi dans le pays coutumier, en d'autres termes dans la France feptentrionale, dans cette partie de la France qui eft en deçà de la Loire. On fe réunit pour convenir que les Gaulois avoient leurs loix propres, avant que les Romains fiffent des irruptions dans les Gaules, & il paroît bien difficile de nier que ces loix confiftoient principalement en coutumes non écrites. Mais on fe divife fur ce qui arriva après que les Romains furent entrés dans les Gaules, & voici les deux fyftêmes principaux entre lefquels on fe partage.

Suivant l'abbé Fleuri, l'abbé Dubos, &c. après les victoires des Romains, tous les Gaulois fuivirent le droit Romain; les Francs furvinrent, apporterent leurs loix que nous nommons barbares: c'étoit des coutumes qu'ils redigerent enfuite par écrit ; mais ils laifferent fubfifter le droit Romain. Pendant les défordres de l'efpece d'anarchie qu'il y eut fous la fin de la feconde race, les anciennes loix s'oublierent; il n'y eut plus de diftinction entre ceux qui vivoient fous la loi Romaine, & ceux qui vivoient fous les loix barbares, parce qu'on n'en connoiffoit plus aucune. «Les François, dit l'abbé Fleuri, retom»berent dans un état approchant de celui des barbares qui n'ont » point encore de loix ni de police»: l'établiffement des fiefs & les ufurpations des feigneurs particuliers; l'établiffement des communes ; l'autorité des eccléfiaftiques qui alloit toujours croiffant, & qui introduifit les livres du droit canonique en France, donnerent lieu à la formation des coutumes qui commencerent à être redigées par écrit vers le treizieme fiecle; & comme il y avoit déja quelque temps qu'on étudioit le droit Romain, il s'en gliffa auffi des principes dans la rédaction de quelques coutumes.

Selon l'autre fyftême, contraire à celui que nous venons d'expofer, les habitans de la Gaule feptentrionale, conferverent, même après les victoires des Romains, leur droit propre, qui confiftoit en coutumes. Ils abhorroient la puiffance étrangere de Rome, & par conféquent fes loix. On trouve dans des monumens très-anciens, des veftiges de leurs coutumes, & ces veftiges annoncent une conformité exacte avec les principales regles de notre droit contumier.

De même que les coutumes de ces Gaulois, n'avoient pas cédé aux loix Romaines, elles ne céderent pas non plus aux loix des Francs lors de la conquête. Ceux-ci n'avoient prefque dans leurs codes barbares que des loix criminelles: elles étoient infuffifantes pour un peuple policé; les Francs eux-mêmes furent donc obligés d'adopter les coutumes des Gaulois. Au commencement de la troifieme race, ceffa la distinction de Salien, de Ripuaire, de Goth', de Gaulois, de Romain; il n'y eut plus que des François & qu'une loi dans le pays coutumier, favoir, les coutumes, qui furent enfuite redigées par écrit. Il eft poffible que le droit Romain & le droit canonique, connus en France, de la redaction des coutumes, ait influé fur quelques-unes de leurs difpofitions: mais cela n'empêche pas qu'il n'ait réellement existé un véritable droit coutumier, qui fe fera toujours conservé dans la Gaule feptentrionale, quoiqu'il ait pu fe maintenir avec plus de pureté dans certaines provinces que dans d'autres.

au temps

Ce fecond fyftême a été défendu avec autant d'agrémens que d'érudition par M. Grofley, dans fes Conjectures fur l'origine des cou

tumes.

M. de Montefquieu a bien remarqué des coutumes locales exiftantes fous la premiere & fous la feconde race, il en reconnoît même des traces dans nos coutumes actuelles; mais il paroît établir un des fondemens de ces coutumes fur les ufages & la forme de procéder, introduits au commencement de la troifieme race. Voyez l'Esprit des loix, liv. 28, chap. 12 & 45.

Les ordonnances de nos rois font loi dans le pays coutumier, comme dans le pays de droit écrit ; il n'y a point de difficultés à cet égard; mais on voit combien il y en a fur l'origine & la fource des coutumes. Et il ne faut pas croire que la question, qu'on agite ici, ne foit qu'une queftion de pure curiofité: elle a un objet extrêmement intéreffant dans la pratique: c'eft pour les cas qui ne font pas rares, où les coutumes font muettes. Sera-ce dans le droit Romain que l'on cherchera la décifion de ces cas, ou bien dans les coutumes? La queftion eft fort controverfée entre les autcurs, elle n'eft point décidée; & nous avertirons qu'il y a beaucoup à dire de part & d'autre :

mais cette difcuffion nous porteroit au-delà des bornes que nous nous fommes prefcrites; elle feroit d'ailleurs inutile, en ce que dans l'état de nos connoiffances actuelles, il paroît prefque impoffible d'affeoir une décifion affurée pour un parti ou pour l'autre.

Les caufes de l'obfcurité dans laquelle nous fommes à cet égard, paroiffent être au nombre de deux: la difficulté réelle de percer l'objet qu'il faudroit pénétrer, & le fyftême général des études & des lectures des François.

Il

Par rapport aux difficultés réelles qui s'oppofent à la connoiffance parfaite de notre légiflation, elles réfultent de la nuit profonde qui enveloppe deux époques extrêmement importantes de notre hiftoire, favoir le temps de l'entrée des Francs dans les Gaules, & le regne des derniers rois de la feconde race, & des premiers de la troifieme. y a a fi peu de monumens de ce fecond âge, que quoiqu'il fe trouve près de deux fiecles entre l'époque de 987, à laquelle Hugues Caper monta fur le trône, & celle de 1180, à laquelle Philippe - Augufte y parvint, les ordonnances qui nous reftent de ce temps, rempliffent à peine dix-huit pages dans le recueil de M. de Lauriere. Il faut y joindre une quarantaine de pages dans le fupplément; mais qu'est-ce que cela pour le cours de deux fiecles, & dans le temps où la monarchie éprouva un changement qui néceffita beaucoup de réglemens nouveaux? Et fi la cause, pour laquelle nous ne connoiffons point de monumens de cet âge, n'est pas le défaut de recherches fuffifantes, mais le défaut abfolu de leur existence, il fera impoffible d'acquerir jamais des connoiffances précises fur l'hiftoire de notre droit, tant public que particulier.

La feconde cause de l'obscurité, qui couvre les origines de notre droit, eft le genre des études, & le goût des lectures de la nation. Si l'on compare les indications que nous avons fur le genre des livres que les anciens peuples poffédoient, avec les inventaires de notre littérature, on ne trouvera point qu'aucun peuple ancien, nous difons les Grecs mêmes, avec lefquels nous avons plus d'un rapport pour les mœurs, euffent cette foule immenfe de livres qui font, pour ainfi dire, particuliers aux François, qui font nés en France, & qui font

les délices des trois quarts de la nation, les Romans. Cette obfervation, qui ne tombe que fur des livres d'amufement, femblera-t-elle fort indifférente au systême de nos travaux férieux, & aux études de nos hommes graves? Point du tout le goût que nous venons de remarquer, influe plus qu'on ne le fauroit dire, fur toutes nos études & fur toutes nos lectures. L'habitude de préférer une fiction agréablement écrite à des histoires véritables, mais écrites d'un style moins intéreffant, s'est répandue fur le choix des livres de tout genre. On a préféré dans prefque toutes les fciences, ce qui étoit bien dit, à ce qui étoit recherché avec peine: & les auteurs, qui n'ont ordinairement d'autre intérêt que d'occuper le public de leurs productions, ont dirigé leurs travaux d'après ce qu'ils voyoient être préféré: dans presque tous les genres, on n'a étudié, pour ainfi dire, qu'autant qu'il le falloit pour être en état de faire un nouveau fyftême, & de donner à fes imaginations une apparence de vérité. Le public a reçu avec avidité plufieurs de ces romans ou de politique ou de droit, & il les a abandonnés prefqu'auffi facilement dès qu'on lui en a présenté d'autres, Affurément cette maniere, ou de travailler ou de lire, n'eft qui conduit à la découverte de la vérité.

pas celle Et comment, en effet, pourroit-on fe flatter d'y être déja parvenu? Comment pourroit-on fe flatter de tenir la chaîne des faits hiftoriques fur notre droit, dans l'état de nos connoiffances actuelles? Il faut avoir rassemblé des matériaux de tout genre avant d'entreprendre de conftruire un édifice. Or ce n'eft qu'à la fin du fiecle dernier, que le favant Baluze nous a fait connoître les monumens de la légiflation de la feconde race, & l'on prétend & l'on prétend qu'il y auroit de quoi doubler fon recueil. Baluze a cu bien peu d'imitateurs : & après avoir mis à sa suite les auteurs du recueil des ordonnances, & les Bénédictins qui nous ont donné les recueils des chartes, quel favant nommer qui ait augmenté le nombre des matériaux néceffaires pour l'histoire de notre droit, foit public, foit particulier?

Il eft à craindre que cette caufe, qui arrête les progrès de l'étude de notre droit, ne les fufpende long-temps encore. Mais celle-ci au moins peut ceffer, Les travaux qui ont été entrepris fous les yeux de M. le

Garde

Garde des fceaux pour la recherche & la collection des chartes, feuls monumens authentiques de notre hiftoire, nous font naître, à cet égard, quelques espérances. Puiffe un courage infatigable foutenir ces travaux contre tous les dégoûts qui les environnent, & une impartialité fupérieure à tout intérêt les diriger, fans aucun écart, vers le terme unique de la vérité !

§ XI.

Des parties qui compofent le droit François civil: obfervations fur ces différentes parties.

En confidérant non plus les fources de notre droit, mais les parties qui le compofent dans l'état actuel, & en confervant la diftinction fondamentale du pays de droit écrit & du pays coutumier, nous voyons que les parties qui compofent notre droit font les coutumes; le droit Romain dans les provinces de droit écrit; & les ordonnances de nos rois. Voilà ce qui compofe, à proprement parler, notre légiflation. On peut mettre à côté, mais dans un rang inférieur, nos réglemens de différens genres.

Les coutumes font nommées ici les premieres: mais nous obferverons que l'ordre dans lequel nous les plaçons variera, felon ce qui fe trouvera véritable fur leur origine. Si les coutumes ne font que les fruits de la barbarie & de l'anarchie féodale, il faut mettre au premier rang les loix écrites qui auront formé la premiere affictte des fondemens de notre droit. Si au contraire la France eft effentiellement un pays de coutume: fi fes premieres loix ont été non écrites, comme l'eft certainement une de fes principales loix, celle de la fucceffion à la couronne, & de l'exclufion du trône pour les filles ou defcendans des filles: alors il faut regarder les coutumes comme la premiere partie de notre droit.

Cela n'empêche pas que dans l'état actuel, les coutumes ne faffent loi qu'autant qu'elles font confirmées par le prince. Il eft convenable que dans une monarchie, aucune regle ne foit obfervée comme partie du droit de la nation, fans la confirmation & le confentement du prince:

Tome 1.

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