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Dès le 1er juin un décret ordonnait l'envoi au Corps législatif d'un projet de loi délibéré en conseil d'Etat et portant ouverture au budget du ministère de l'intérieur, sur l'exercice 1856, d'un crédit extraordinaire de deux millions, pour secours aux inondés. L'Empereur a jugé, dit l'exposé des motifs, que pour remédier à des dommages aussi considérables, le concours de l'Etat était indispensable, et que les efforts de la charité privée, quelque actifs qu'ils fussent, seraient insuffisants si elle était livrée à ses seules ressources. Aussi, avant son départ, l'Empereur a-t-il ordonné que le conseil d'Etat fût appelé immédiatement à délibérer sur un projet de loi, tendant à ouvrir provisoirement un crédit extraordinaire de deux millions pour être distribué en secours aux inondés. « Le conseil d'Etat en a reconnu l'urgente nécessité. » En conséquence, MM. Boulay (de la Meurthe) et Cuvier, conseillers d'Etat, chargés de soutenir la discussion de ce projet qui ne pouvait guère en soulever une, en proposèrent l'adoption.

Le rapporteur de ce projet de loi, M. Réveil, membre du Corps législatif, fit justement remarquer à cette assemblée, que l'exposé des motifs énumérait, il est vrai, les rivières et les affluents; mais que la loi était générale comme la dévastation, et s'appliquerait aux inondés de tous les départements. Puis M. le rapporteur ajoutait, que le crédit de deux millions était provisoire et qu'il répondait ainsi aux craintes manifestées sur son insuffisance.

« L'Empereur, dit M. le rapporteur en terminant, a entendu le bruit des maisons qui s'écroulaient, minées par le débordement, les cris des victimes que le déluge menaçait, qu'il a ensevelies peut-être ! Son cœur s'est ému; il s'est hâté d'aller au milieu de cet immense désastre; il a voulu présider en personne aux secours à porter aux inondés. Sa présence sera une première consolation, un premier bienfait; elle ranimera l'espoir des malheureux; et puisse sa constante sollicitude, après avoir pourvu aux exigences du moment, trouver dans les ressources de la science et de l'art les moyens de préserver l'avenir, non du terrible fléau, pouvoir qui n'appartient qu'à Dieu, mais, autant que possible, de ses désastreux effets. »

Le rapport concluait naturellement à l'adoption de la loi proposée. Elle fut votée en effet, et l'Empereur décida que sur cette somme, 300,000 fr. seraient affectés tout d'abord à la ville de Lyon. La charité privée ne resta pas en arrière, à partir du chef de l'État, de l'Impératrice et des autres corps et agents du Gouvernement. Nous ne nous arrêterons pas plus longtemps sur ce triste épisode qui constitue une de ces pages affligeantes de l'histoire des maux dont la Providence, en ses impénétrables desseins, accable parfois l'humanité souffrante.

Cette sollicitude du chef de l'État pour les classes souffrantes de la population se produisit d'une manière très-marquée dans une autre circonstance que nous rappellerons, parce qu'elle dénotait une situation amenée par des accidents que la volonté de l'homme ne pouvait seule conjurer. Nous voulons parler du renchérissement des loyers: les récoltes avaient été mauvaises, la guerre poussait au dehors les ressources de l'intérieur. Ajoutons que, momentanément du moins, les constructions, qui imprimaient à l'antique Paris cette physionomie qui semble devoir en faire la capitale du monde, ne pouvaient manquer, en attirant un élément nouveau de population, de produire une hausse sensible sur le prix des loyers et peser surtout sur les fortunes et les positions moyennes. Le Gouvernement vit le mal et chercha les moyens d'y remédier. S'il n'y réussit peut-être pas tout d'abord, au moins fit-il des efforts pour y parvenir. Une Note, insérée au Moniteur du 25 avril, en témoigne. Le renchérissement des loyers, « conséquence inévitable de la prospérité publique,» y est cependant considéré comme regrettable. Quoique, y ajoute-t-on, le développement de l'industrie et du commerce tende sans cesse, comme en Amérique et en Angleterre, à augmenter la valeur de toutes choses, il y a un grand nombre de professions dont les revenus ou bénéfices ne s'accroissent pas en proportion de la richesse publique, ce qui fait que certaines classes de la société souffrent momentanément d'autant plus que le bien-être général augmente. Après avoir rappelé les tentatives déjà faites pour parer au mal, notamment le crédit de dix millions destiné à encourager la construction de maisons pour les ouvriers, et fait remarquer l'inefficacité de ces tentatives, la Note

ajoutait que l'Empereur voulait faire un nouvel essai dont il espérait un meilleur résultat.

«Par son ordre, ajoutait la Note du Moniteur, 18,000 mètres de terrain ont été achetés sur le boulevard Mazas, pour le compte de son domaine privé. Ces terrains vont être divisés en lots, sur Jesquels des maisons seront élevées aux frais de Sa Majesté. Ces maisons seront construites dans le double but d'offrir aux propriétaires qui les achèteront un intérêt avantageux de leur capital, et aux locataires qui voudront les habiter des logements salubres, confortables même, et cependant d'un prix modique. Pour atteindre ce but, la plus stricte économie sera appliquée à la construction de ces maisons, où rien ne sera sacrifié à la vaine apparence, mais où tout sera calculé pour la commodité de l'habitation. Au fur et à mesure que ces maisons seront terminées, elles seront vendues en adjudication publique. Avant l'adjudition, on sera admis à prendre connaissance du prix de revient de ces constructions et à en vérifier la comptabilité. »

Fécondes seront les conséquences de la réalisation de cette idée parce qu'elles seront plus promptes.

« Pour parvenir à la construction simultanée du plus grand nombre possible de ces maisons, continue la Note, aussitôt que le lotissement sera fait, des lots seront cédés, au prix de revient, aux personnes qui prendront l'engagement de faire construire dans un délai fixé et d'après un plan déterminé. »

Ainsi, devant la perspective d'un bon placement qui concourrait à un but de bienfaisance, un nouveau quartier serait promptement bâti. « Car l'Empereur espère que l'expérience qu'il aura tentée, et dont il aura le premier couru tous les risques, trouvera des imitateurs et sera le commencement d'un soulagement notable apporté à la gêne des classes laborieuses. »

On ne pouvait désirer qu'une chose c'est que cette généreuse inspiration, émanée du cœur du souverain, en même temps qu'elle était puisée dans des doctrines économiques dont quelques-unes étaient peut-être réalisables, acquit la sanction et le cachet de l'expérience, et de locale qu'elle allait être, pût prendre une extension progressive.

Ces questions d'intérêt public à l'intérieur et qui touchaient

de si près au bien-être des populations, ne faisaient pas perdre de vue au Gouvernement la position et l'état sanitaire de nos armées au dehors. De longues et grandes guerres ont presque toujours entraîné à leur suite des maladies, quelquefois des épidémies. Les armées alliées si glorieusement occupées en Orient ne pouvaient espérer, surtout dans la mauvaise saison, d'échapper absolument au sort commun.

Néanmoins, après quelque temps de légitimes et sérieuses inquiétudes, on apprit vers la fin de l'hiver que l'état sanitaire des troupes s'améliorait sensiblement ; que le chiffre des entrées aux ambulances allait diminuant, Déjà les dépêches du maréchal Pélissier sur ce point devenaient chaque jour plus rassurantes, et l'on apprenait, par les lettres du général Larchey, les heureux effets des mesures prises à Constantinople, pour l'amélioration du service des hôpitaux (dernier jour de mars).

Vers la même époque, on avait répandu en Angleterre et le Times l'avait reproduit (22 mars) le bruit que l'armée française en Crimée manquait de tout, vivres et vêtements, qu'elle était en quelque sorte abandonnée du Gouvernement de l'Empereur qui n'aurait plus aucune sollicitude pour les braves troupes (Moniteur 24 et 25 mars).

Le Times ajoutait que nos soldats en étaient réduits à aller ramasser, pour leur subsistance, le biscuit gâté et les vivres de rebut que jetaient les soldats anglais.

Cette assertion, en présence de l'ordre habituel qui caractérise le service des intendances françaises, ne pouvait être que malveillante, et le journal officiel devait facilement la réduire à néant. C'est ce qui eut lieu en des termes qui faisaient retourner cette calomnie contre ses auteurs. « Si la disette, dit-il, se faisait sentir dans nos camps, nos alliés s'empresseraient de partager leurs ressources avec nous, comme nous l'avons fait nous-mêmes avec eux, et que l'offre généreuse qu'ils nous ont faite récemment à Constantinople de mettre tous leurs médicaments à notre disposition, nous répond assez de ce qu'ils feraient en Crimée, sí en effet nous y manquions de vivres. » A quoi l'organe du Gouver nement français ajoutait, que l'armée française était approvisionnée de manière à recevoir du pain frais tous les jours; qu'elle

avait en magasin de la farine pour trois mois; que la majeure partie de nos troupes recevait des distributions de légumes frais expédiés en grande masse de Constantinople.

Quant aux vêtements, on n'aurait, à aucune époque, aussi largement pourvu aux besoins d'une armée, puisque chaque soldat avait reçu, en sus des vêtements réglementaires, un habillement d'hiver complet, composé d'un bonnet de laine feutrée, d'une capote à capuchon, d'une paire de guêtres bulgares, d'une ceinture de laine ou de flanelle, d'une paire de bas de laine, d'une paire de sabots et d'une paire de gants. >>

S'expliquant ensuite sur l'état sanitaire de l'armée, le journal officiel reconnaissait que, malgré les soins dont elle avait été l'objet, elle avait été éprouvée depuis quelque temps par la maladie qui semblait épargner les alliés, mais que cela tenait sans doute à ce que nos troupes étaient campées autour de Sébastopol, sur le théâtre même de la lutte, c'est-à-dire sur un terrain qui, ayant servi de tombe à tant de victimes, était loin d'offrir les conditions de salubrité que les Anglais trouvaient à Balaclava. Cette explication était certainement plausible, et il n'y avait donc pas à rejeter cet état de choses sur un défaut de sollicitude.

Enfin on était déjà parvenu à améliorer la situation, que maîtriseraient bientôt la belle saison et certaines mesures prises, telles que les évacuations considérables faites sur Constantinople, et l'établissement sur ce dernier point de nouvelles baraques-ambulances, spacieuses et largement aérées.

En effet, le 12 avril le ministre de la guerre recevait du maréchal Pélissier, et daté du 7 avril, le bulletin sanitaire suivant: « Continuation d'une amélioration très-marquée dans la santé générale. Le typhus perd chaque jour de son intensité; il rétrograde sensiblement. Le printemps va nous arriver enfin, je l'espère. » Rien n'était plus rassurant que cette dépêche, et l'on en pouvait croire un si digne guerrier.

Cependant l'Empereur voulut avoir des détails et des renseignements précis sur l'état sanitaire de l'armée d'Orient. II chargea donc l'un de ses aides-de-camp, le général Espinasse (1),

(1) C'est par erreur sans doute que le Moniteur du 22 avril écrit Les

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