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Juliam majestatis qu'il faut, d'après nos moeurs et nos maximes actuelles, puiser la définition des crimes dirigés contre la majesté souveraine, et la sûreté de l'Etat.

Sous nos Rois même, la qualification de crime de lèse-majesté ou de hauté trahison, était donnée, par les anciennes ordonnances, à des actes de félonie, de concussion, de désobéissancé, tous éminemment condamnablés, il est vrai, mais qui différaient tellement par leur gravité, qu'on peut être étonné de les voir confondus sous la même qualification..

» Aussi distinguait-on divers dégrés dans cette désignation commune, et les actes prenaient, chacun selon sa nature, le caractère de crime de lèse-majesté, au premier ou second chef.

» C'est dans la classe de haute trahison, ou lèse-majesté au premier chef, que rentralent toujours des attentats contre le souverain ou la sûreté du

royaume.

» On peut sur cela consulter les ordonnances, édits et déclarations rendus en cette matière dans les seizième et dix-septième siècles, à partir de l'ordonnance de Villers-Cotterets, du 10 août 1539.

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» Maintenant, il est facile d'expliquer comment Sa Majesté s'est réservé, par la disposition de la Charte, de faire définir les crimes de haute trahison, et les attentats à la sûreté de l'Etat. Elle a eu en vue, non point les attentats directs contre sa personne sacrée et contre le gouvernement légitime, qui portent leur définition avec eux-mêmes, et qui, de leur essence, ont toujours été et seront toujours de véritables crimes de haute trahison au premier chef, mais cette variété d'actes, plus ou moins repréhensibles, auxquels nos lois anciennes ou l'usage attribuaient la qualification générique de crimes de lèse-majesté ou haute trahison.

» Mais quelque bienveillante sollicitude que le prince apporte à restreindre la classe de ces crimes, il faudra toujours reconnaître que l'accusation d'attentat contre la personne du Roi et les membres de sa fumille, ayant pour but de détruire le Gouvernement et d'armer les citoyens contre L'autorité légitime, n'attend pas une définition ultérieure pour être qualifiée. » N'est-ce point comme complice d'un attentat contre la personne du Roi et la sûreté de l'Etat, crime littéralement prévu par l'art. 87 du Code pénal, que Marie-Chamans Lavalette a été condamné à la peine capitale?

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» Et le crime ainsi défini et caractérisé, quand il s'agit de le punir, cesserait-il de l'être, quand, dans l'intérêt de l'accusé, il s'agit de décider à qui en appartient la connaissance?

» Ajoutons à ces considérations une autorité imposante.

Le maréchal Ney, ainsi que Marie-Chamans Lavalette, était accusé de crime de haute trahison, et d'attentat à la sûreté du royaume. Traduit devant un Conseil de guerre, il a décliné cette juridiction, soutenant qu'il n'était justiciable que de la Chambre des Pairs. Il fondait sa demande en renvoi, sur sa double qualité de pair et de maréchal de France, et sur la nature du crimé dont il était accusé.

Le conseil de guerre s'étant déclaré incompétent, l'autorité souveraine est intervenue, et, par une ordonnance du 11 novembre 1815, le proces du maréchal Ney a été renvoyé à la Chambre des Pairs.

» C'est sur l'art. 53 de la Charte qu'est motivée cette ordonnance. En la présentant à la Chambre des Pairs, M. le duc de Richelieu, président du Conseil des ministres, s'exprime en ces termes: « Le conseil de guerre; » extraordinaire établi pour juger le maréchal Ney, s'est déclaré incompén tent. Nous ne vous dirons pas toutes les raisons sur lesquelles il s'est » fondé; il suffit de savoir que l'un des motifs est que ce maréchal est » accusé de haute trahison. — Aux termes de la Charte, c'est à vous qu'il » appartient de juger ces sortes de crimes. »

» Ainsi, dans la pensée du Gouvernement, l'art. 33 de la Charte n'est pas un principe abstrait, et dont l'application soit, subordonnée à une loi subséquente. Quel plus sûr interprète de la Charte, que le Gouvernement, lui-même, organe de la souveraine puissance!

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» Point de milieu; ou l'on aurait créé un privilége personnel pour le maréchal Ney, ou Marie-Chamans Lavalette a droit à la même juridiction.. » Mais, dira-t-on peut-être, en supposant que Marie-Chamans Lavalette ait eu le droit de décliner la juridiction de la Cour d'assises, il n'a pas usé de cette faculté en temps utile. Renvoyé devant les tribunaux, par une ordonnance royale, il s'est présenté aux débats, sans réclamer, ni contre l'ordonnance, ni contre l'arrêt de mise en accusation; enfin, il a volontairement subi la juridiction ordinaire, et votre jurisprudence établit en principe, que l'exception d'incompétence est irrecevable, non seule ment après l'arrêt définitif, mais déjà après l'arrêt de renvoi non attaqué. Pour écarter l'objection tirée de l'ordonnance qui a renvoyé MarieChamans Lavalette devant les tribunaux, M. Darrieux fait observer que cette ordonnance est du 6 septembre 1815; qu'à cette époque Marie-Cha-l mans Lavalette était à la vérité sous la main de la police, mais qu'aucun acte d'instruction régulière n'avait encore été dirigé contre lui; que ce n'est que le 14 du même mois que le juge d'instruction a ouvert le procèsverbal d'iuformation; que l'ordonnance de prise de corps est du 11 octobre suivant; que l'arrêt de mise en accusation est du 24 du même mois, et qu'ainsi Marie-Chamaus Lavalette n'a pas pu voir dans l'ordonnance royale du 6 septembre, une attribution de compétence, sur une accusation qui n'a été qualifiée que long-temps après.

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Les arrêts de la Cour ont jugé, il est vrai, que l'exception d'incompétence ne peut pas être proposée après l'arrêt définitif, et même après l'arrêt de renvoi ou de mise en accusation, lorsque cet arrêt n'a pas été attaqué; mais est visible que cette jurisprudence est ici sans application.

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L'article 498 du Code d'instruction criminelle autorise, en termes formels, le recours en cassation contre un arrêt de condamnation dans le cas d'incompétence. Il fallait bien que le recours en cassation, pour cause d'incompétence, fût permis même après l'arrêt définitif, puisque l'art. 299 du même Code détermine les seuls moyens par lesquels l'arrêt de renvoi devant la

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Cour d'assises peut être attaqué, et que l'incompétence n'est pas un des moyens dont l'usagé est autorisé par cet article.

On voit donc qu'il faut appliquer ici la distinction connue, entre l'incompétence absolue et l'incompétence relative,

L'incompétence est absolue lorsqu'elle intervertit l'ordre des juridictions, et qu'un juge statue sur une matière dont la jouissance ne lui appartient pas. Le juge civil ne peut pas connaître des crimes, ni l'autorité judiciaire des matières administratives. Le silence, et même le consentement formel des parties, ne couvre jamais cette incompétence.

L'incompétence n'est que relative lorsqu'un juge connaît d'une matière qui, par le droit commun, appartient à sa juridiction, mais qu'une loi d'exception a soumise à la décision d'un autre juge. Ainsi, les tribunaux ordinaires peuvent connaître des matières commerciales, si le renvoi devant les juges de commerce n'est pas demandé; de même la connaissance de tous les crimes, étant attribuée par le droit commun aux Cours. d'assises, ces Cours, en vertu de leur juridiction ordinaire, peuvent statuer sur tous les crimes, dont la connaissance est attribuée par des lois particulières à des tribunaux d'exception, tels que les conseils de guerre et les Cours spéciales. C'est alors que l'incompétence des Cours d'assises se couvre par le silence des parties; c'est à des cas de cette nature que s'applique la jurisprudence de la Cour de cassation. On a considéré que, dans ces occurrences, le déplacement des juridictions était favorable aux accusés, puisqu'il les faisait rentrer dans le droit commun, alors que des lois rigoureuses voulaient qu'ils subissent une juridiction spéciale.

Mais la Chambre des Pairs n'est-elle, à l'égard des Cours d'assises qu'un simple tribunal d'exception ? Le droit qui lui appartient de prononcer sur les crimes de haute trahison et sur les attentats à la sûreté de l'État, ne forme-t-il pas éminemment une juridiction d'ordre public? public?erob

Des lois réglementaires ont fait entre les tribunaux une distribution du droit de juger. Ici c'est la Charte, source de tous les pouvoirs, qui place elle-même ce genre de crime hors de la juridiction commune, ou plutôt elle crée le droit commun en cette partie. Le crime est national, la punition doit l'être aussi. Le premier corps politique de l'Etat est constitué vengeur de la société toute entière. Dès-lors, comment le silence et même la volonté de l'accusé, comment les erreurs des juges auront-ils l'effet de renverser cet ordre immuable, et d'investir les tribunaux d'une juridiction qui leur est refusée par une loi fondamentale de l'État ?

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Enfin, le Code d'instruction criminelle vient lui-même ajouter un dernier degré d'évidence aux raisonnemens qui viennent d'être présentés. Si l'affaire, dit l'art. 220, est de la nature de celles qui sont réservées à la haute Cour impériale ou à la Cour de cassation, le procureur général » est tenu d'en requérir la suspension et le renvoi, et la section de l'or« donner. »

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Ainsi, dans le silence du ministère public, la Cour doit ordonner d'office

le renvoi, et nul acquiescement ne peut l'affranchir de cette obligation (1).

La haute Cour n'existe plus; la Chambre des Pairs en exerce la juridiction; l'art. 220 reçoit donc son application dans tous les cas où l'examen et le jugement sont dévolus à la Chambre des Pairs.

Deuxième moyen. Contravention à plusieurs articles du Code d'instruction criminelle, sur la manière dont les questions doivent être proposées au jury.

<< Dans le système de notre législation criminelle, a dit M. Darrieux, le sort de l'accusé est entièrement commis à la conscience des jurés.

>> La loi interroge leur bonne foi et non leur doctrine.

>> Sans doute ils ne sont pas infaillibles, et si l'erreur ne procède que de leur sens intime, elle est irréparable: le malheureux accusé en subit les fatales conséquences!

<< Mais, parce que souvent aussi la manière dont se manifeste leur opinion peut dépendre du mode employé pour l'interroger, la loi a prescrit des règles pour les diriger dans cette opération de leur entendement, sans toute fois l'influencer. Si ces règles sont méconnues, la déclaration du jury est viciée, car rien n'assure à l'accusé que la méthode substituée par le juge à celle tracée par la loi, n'a pas influé sur leur discernement, et sur les résultats de leur délibération.

« A la différence du Code de brumaire an 4, qui multipliait les questions en les faisant successivement porter sur le fait, l'intention et les excuses la loi nouvelle a voulu que les jurés fussent, par une seule question, interrogés sur le fait et la culpabilité.

« Elle a voulu aussi que la réponse fût absolue dans le sens affirmatif ou négatif.

» Elle a permis, dans le seul cas où le fait principal serait accompagné de circonstances aggravantes, que la réponse du jury, sur le fait principal, ne l'enchaînât pas sur les circonstances accessoires.

» Ici on n'a proposé au jury qu'une seule question, conçue en ces termes: « Marie-Chamans Lavalette est-il coupable d'avoir, le 20 mars dernier, » dès le matin, usurpé, dans l'hôtel des postes, le titre et les fonctions » de directeur général des postes? D'avoir, ledit jour, donné, en » cette qualité, divers ordres, notamment............. Et par tout ou » partie des actes ci-dessus, de s'être rendu complice de l'attentat >> commis, dans les mois de février et mars derniers, contre la personne » du Roi et les membres de sa famille, et ayant pour but de chau»ger et détruire le Gouvernement, et d'exciter les citoyens et habitans

(1) Telles et aussi l'opinion de M. Carnot, dans son commentaire sur l'article 408 de Code d'instruction criminelle.

N. I.-Année 1816.

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» à s'armer contre l'autorité royale, en aidant et assistant, avec connaissance, » l'auteur ou les auteurs dudit attentat dans les faits qui l'ont facilité et >> consommé? »

» On remarquera que l'accusation portait sur deux crimes très-distincts, l'un et l'autre qualifiés par la loi.

» Premier crime. Usurpation de fonctions publiques: il est prévu par l'art. 258 du Code pénal, et puni d'un emprisonnement de deux à cinq

années.

» Second crime. Complicité d'attentat contre la personne du souverain : il est prévu par l'art. 87 du même Code, et puni de la peine capitale.

>>> La même distinction se trouve dans l'ordonnance royale du 24 juillet 1815. Elle ordonne des poursuites contre les généraux ou officiers qui ont trahi le Roi avant le 25 mars, ou qui ont attaqué la France et le Gouvernement à main armée :

» Et contre ceux qui, par violence, se sont emparés du pouvoir.

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» Ainsi, l'usurpation du pouvoir ou de fonctions publiques, dans la pensée du souverain, comme dans la disposition de la loi, ne se confond point avec le crime de haute trahison.

» L'accusation portait donc sur deux crimes distincts, et dès-lors il y avait nécessité de poser deux questions, car le jury pouvait être convaincu de la culpabilité de l'accusé sur l'un et non sur l'autre; et, dans ce cas, il aurait répondu oui à l'une des questions, et non à l'autre.

» Mais, tenu de répondre à une seule question indivisible, d'une manière absolue, affirmative ou négative, il n'a pas été livré à son libre arbitre.

Et, en effet, relativement à la première partie de la question qui portait sur l'usurpation, par l'accusé, des fonctions de directeur général, et sur les actes auxquels il s'était livré en cette qualité, le crime était notoire et avoué; le jury convaincu devait infailliblement répondre oui.

» Mais, sur le crime de complicité à l'attentat contre la personne du Roi, le jury a pu douter, et cependant il n'a pas pu exprimer ce doute, puisque sa réponse devait être une et absolue sur la question entière.

» En telle sorte, que la conscience du jury s'est trouvée placée dans l'alternative de nier un crime évident, ou d'affirmer l'existence simultanée de deux crimes distincts, sur l'un desquels elle pouvait n'être pas suffisamment éclairée et convaincue.

>> Loin de moi la penisée que la Cour d'assises ait eu l'intention d'égarer l'opinion des jurés; mais personne ne niera que le résultat de leur délibération n'ait pu dépendre de la manière dont ils ont été interrogés.

» Dira-t-on que les faits, dans la première partie de la question, ne sont présentés au jury que comme des actes purement matériels, et que, dans la deuxième partie, le jury est interpelle de déclarer, par voie de conséquence, si l'accusé est coupable du crime d'attentat; que ce crime, enfin, est le seul sur l'existence duquel ils soient interrogés, les faits déjà articulés n'en étant que les élémens. n ..

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