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CHAPITRE IX

LA QUESTION DE LA GUERRE. DÉBUT DES HOSTILITÉS

Louis XVI, dans son discours à l'ouverture de l'Assemblée, le 7 octobre, avait prodigué les assurances de paix, comme s'il eût ignoré l'existence d'une coalition formée contre la France, sur les sollicitations de ses frères, et en présence même du comte d'Artois. Le 27 août, au château de Pilnitz, près de Dresde, l'empereur Léopold et le roi Guillaume avaient signé une déclaration portant: « Que la cause du roi de France était d'un intérêt commun à tous les souverains de l'Europe, et que ceux-ci emploieraient les moyens le plus efficaces pour le mettre en état d'affermir les bases d'un gouvernement monarchique convenable aux droits des trônes et au bien-être de la nation française. »

Des articles secrets du traité réservaient aux parties contractantes le droit de disposer à leur gré de la Pologne, qui, elle aussi, venait de faire sa révolution (1791); comme si cette sœur de la France devait toujours être agitée des mêmes émotions et frappée des mêmes coups. La complicité du crime commis envers elle a servi de lien entre les puissances coalisées contre nous, et c'est dans ce mauvais germe que s'est développée plus tard la Sainte-Alliance.

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Les menaces de la coalition n'avaient pas été suivies d'effet immédiat, la prudence ayant parlé plus haut que la colère; mais ce ne pouvait être qu'un ajournement outre les griefs communs à tous les trônes de droit divin contre la Révolution, chaque puissance avait des motifs particuliers pour désirer la guerre : la maison d'Autriche et les Bourbons d'Espagne étaient jaloux de délivrer et de venger leur royale parenté; l'Angleterre avait un premier ministre chez lequel s'incarnait la vieille haine nationale, ravivée encore par les événements d'Amérique; la Russie et la Prusse ne demandaient qu'à troubler l'occident de l'Europe pour achever de dévorer la Pologne; Gustave de Suède, le plus désintéressé et le plus ardent de tous, dans un sentiment de solidarité monarchique, et reconnaissant envers la cour de Versailles qui avait aidé son coup d'Etat, était impatient de former une « ligue du nord » contre la Révolution : fier d'avoir su briser les institutions de son pays pour y fonder son despotisme, il disait qu'avec une charge de cavalerie on aurait dispersé les factieux qui assiégeaient la Bastille. Madrid, Stockholm et Pétersbourg retiraient leurs ambassadeurs; les petits princes allemands, protecteurs des émigrés, étaient à leur tour protégés par les généraux de l'Empereur.

La France devait-elle attendre une agression qui choisirait son moment? préviendrait-elle cette agression par un de ces mouvements rapides dans lesquels se montre presque toujours si puissant un peuple en révolution? Cette question agitait tout le pays, débattue à l'Assemblée, dans la presse, dans les sociétés populaires, et particulièrement au club des Jacobins.

Ce fut un grand spectacle, un spectacle qui rappelle l'antiquité, celui de ce peuple discutant sur ses plus solennels intérêts.

La division qui se fit alors dans les esprits offre

une singularité les Girondins soutinrent la nécessité d'une guerre offensive; les Jacobins s'y opposèrent. Ceux-ci ne manquaient de foi, certainement, ni dans la force des idées nouvelles, ni dans les ressources de la France; mais, en présence d'un pouvoir exécutif qu'ils jugeaient capable des plus odieuses trahisons, la défiance les dominait. Robespierre s'en fit l'interprète : « Ce n'est pas, disait-il, la guerre d'une nation contre d'autres nations, ni d'un roi contre d'autres rois, c'est la guerre de tous les ennemis de la Constitution française contre la Révolution française. »>

Brissot fut l'organe principal de l'opinion adverse : la guerre, selon lui, était indispensable pour détruire le foyer de conspiration entretenu sur nos frontières, et pour décourager les ennemis du dedans « Un peu

ple qui a conquis la liberté après dix siècles d'esclavage a besoin de la guerre pour consolider sa révolution. >>

« Le mal est à Coblentz, » disait Brissot. « Le mal est aux Tuileries, » répondait Robespierre. Ces mots résument leur dialogue.

Les Jacobins s'inquiétaient de voir les armées aux mains du roi; les Girondins espéraient en avoir la direction par le ministre Narbonne; car, pas plus que leurs rivaux, ils ne se fiaient à la cour; et l'un des arguments qu'ils faisaient valoir en faveur de la guerre agressive, c'est que la cour n'en voulait pas, bien qu'elle en fît le semblant. La vérité, c'est qu'à la cour on était fort partagé ceux qui méditaient des trahisons et qui appelaient le rétablissement de l'ancienne monarchie à tout prix, même sur une France en ruines, ne redoutaient pas un embrasement général; d'autres, les royalistes constitutionnels, comptaient sur des succès militaires dans une guerre partielle, pour accroître l'importance de l'armée, et

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donner par elle, au gouvernement, un moyen de contenir l'exigence de tous les partis.

La question de la guerre revint plusieurs fois à l'Assemblée, malgré les protestations du roi contre toute délibération sur ce sujet sans une proposition formelle de sa part. La Constitution, en effet, lui donnait le droit de diriger seul les négociations politiques. L'opinion des Girondins dominait dans l'Assemblée; ils soutenaient vivement Narbonne, dont la popularité grandissait, et que le roi destitua dans un moment d'humeur. Ce coup lui réussit mal; l'irritation et les défiances s'accrurent et l'on entendit Vergniaud jeter ces menaçantes paroles de la tribune : « Je vois d'ici les fenêtres du palais où l'on trame la contre-révolution, où l'on combine les moyens de nous replonger dans les horreurs de l'esclavage, après nous avoir fait passer par tous les désordres de l'anarchie et par toutes les fureurs de la guerre civile. » Puis, rendant son agression cruellement personnelle contre la reine : << La terreur et l'épouvante sont souvent sorties, dans les temps antiques et au nom du despotisme, de ce palais fameux. Qu'elles y rentrent aujourd'hui, au nom de la loi! Que tous ceux qui l'habitent sachent que le roi seul est inviolable; que la loi y atteindra sans distinction tous les coupables, et qu'il n'y a pas une tête, convaincue d'être criminelle, qui puisse échapper à son glaive. »

Louis XVI, pour conjurer l'orage, fut obligé de prendre un ministère entier de la main des Girondins : <« des hommes accrédités par leurs opinions populaires. » Il les annonça dans ces termes à l'Assemblée. C'était, aux affaires étrangères, le général Dumouriez, vif, hardi, souple, ingénieux, plein de ressources, mais surtout dans l'intrigue; de moralité relâchée, de convictions peu sérieuses, coiffant le bonnet rouge au club des Jacobins, embrassant Robespierre, entrete

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nant des relations avec les Girondins, sans préjudice de celles qu'il conservait personnellement avec M. de Laporte, intendant de la liste civile. La reine, dès les premiers jours, lui déclara nettement que ni elle ni le roi ne voulaient de la Constitution, et il s'accommoda de cette situation compliquée. C'était, aux contributions publiques, le Genevois Clavière, auteur d'écrits estimés sur les finances, intègre, intelligent et courageux. C'était, à l'intérieur, Roland, ou plutôt le ménage Roland, car la femme était ministre autant que le mari, et les affaires n'en allaient pas plus mal; Roland, ancien inspecteur du commerce et des manufactures, collaborateur de l'Encyclopédie, esprit sage et froid, riche de savoir et d'expérience, puritain d'intérieur, puritain d'habitudes; Mme Roland, jeune, belle, républicaine enthousiaste, qui à douze ans pleurait de n'être pas née Spartiate; reine pourtant, reine de la Gironde, dit Michelet, l'âme de ce noble groupe auquel appartenait son mari. Quant au portefeuille de la guerre, Dumouriez ne pouvant en tenir deux, l'avait laissé entre des mains qu'il dirigeait à son gré : de Grave en était titulaire.

La mort de l'empereur d'Allemagne, tué par ses débauches, et celle du roi de Suède, tué par ses nobles, dont il avait réduit l'influence, ces deux morts à quinze jours d'intervalle ne changèrent rien à la situation extérieure la disparition de Gustave enlevait aux coalisés leur champion le plus ardent; elle faisait du vide dans le Nord, » disaient les émigrés; mais, en revanche, le temporisateur, l'apathique Léopold était remplacé par son neveu François II: plus de jeunesse et moins de modération. Ce nouveau souverain débuta par diriger 40 000 hommes vers les PaysBas, 20 000 sur le Rhin, en adressant au gouvernement français une note très hautaine, par laquelle il le sommait de rendre au pape le comtat d'Avignon qu'un

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