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CHAPITRE III

LES CONSTITUTIONS

ET LE GOUVERNEMENT RÉVOLUTIONNAIRE

Au milieu de tant de batailles, où les coups s'échangeaient incessamment et où toutes les existences étaient en jeu, ces lutteurs acharnés, si peu sûrs de leur lendemain, ne perdaient pas de vue la mission civilisatrice que leur avait confiée le génie de la France; ils travaillaient à jeter les bases d'une Constitution, à organiser l'instruction publique : « Nous avons paru divisés entre nous, disait Danton, mais au moment où nous nous occupons du bonheur des hommes, nous sommes tous d'accord. »>

La vérité de cette parole est empreinte dans les diverses chartes constitutionnelles que la révolution nous a léguées, et mieux encore peut-être dans les plans d'éducation populaire tracés par nos trois grandes assemblées.

La première, pour affirmer l'importance qu'elle attachait aux questions de ce genre, en avait solennellement attribué l'étude à son comité de Constitution.

Nous avons cité le rapport de Talleyrand. Terminé au moment où l'Assemblée allait se séparer, il fut simplement approuvé et renvoyé à la législature sui

vante. Celle-ci en fit faire un nouveau par Condorcet, qui eut le même sort : déposé trop tard pour venir à discussion, il fut légué à la Convention, laquelle accepta l'héritage. On peut regarder ces deux documents comme ayant servi de base à tout ce qui a été fait chez nous en matière d'instruction publique.

Une des dispositions de la Constitution de 1791 établit ce principe, que les autres ont adopté : « Il sera créé une instruction publique commune à tous les citoyens, gratuite à l'égard des parties d'enseignement indispensables pour tous les hommes. » Mais l'instruction élémentaire n'est pas seule utile; et comme la société est intéressée à ce que ceux qui possèdent des facultés exceptionnelles puissent les développer, elle affecte des bourses nombreuses aux enfants des familles pauvres.

Condorcet divisait l'enseignement en quatre degrés, qui ont été conservés sous d'autres dénominations.

1o Pour chaque groupe de maisons renfermant 400 habitants, il demandait une école primaire capable de préparer aux fonctions civiques les plus simples, celles de juré ou d'officier municipal; et, grande innovation, une institutrice de jeunes filles dans toute ville de 1 500 âmes.

2o Pour chaque district ou ville de 4 000 habitants, une école secondaire, ayant comme annexes une petite bibliothèque, une collection d'histoire naturelle, un cabinet d'instruments météorologiques et des modèles de machines et de métiers.

3o Dans chaque département un institut (collège) consacré à des études plus approfondies.

4o Neuf lycées, correspondant à ce que nous appelons des facultés, et sous quelques rapports aux universités de l'Allemagne, de l'Angleterre et de l'Italie; établissements ouverts à ceux qui font de la culture de l'esprit l'occupation de leur vie.

Le recrutement du corps enseignant devait donner satisfaction à l'intérêt général, sans compromettre le principe de liberté pour chaque degré, un tableau de capacité formé par le degré supérieur, aurait offert de nombreux ca didats au choix des municipalités.

Enfin, au sommet de la hiérarchie, Condorcet, comme Talleyrand, voulait placer une Société nationale des Sciences et des Arts, ayant pour mission de gouverner l'ensemble de l'éducation, en même temps que de perfectionner les connaissances humaines et d'encourager les découvertes et les inventions. Les membres de cette société, résidant moitié à Paris, moitié dans les départements, eussent joui d'une indépendance complete de position et d'opinion. Cette idée, modifiée, a donné plus tard naissance à l'Institut.

Condorcet n'isolait point sa loi dans le cadre des institutions nationales; elle en faisait partie essentielle. Cette large et haute manière d'envisager l'éducation publique distingue tous les projets de la période révolutionnaire.

Ni Talleyrand ni Condorcet n'avaient osé déclarer l'instruction obligatoire : ils craignaient d'empiéter sur les droits du père de famille. Mirabeau s'était montré plus décisif encore dans son discours sur l'Education nationale, il avait préconisé une entière liberté. Lepéletier de Saint-Fargeau n'eut pas les mêmes scrupules; son Plan d'éducation nationale, posthume comme celui de Mirabeau, est tout lacédémonien il veut que de cinq à douze ans pour les garçons, de cinq à onze pour les filles, l'éducation soit commune, et faite aux dépens de la République. Tous ces enfants soumis à la sainte loi de l'égalité, ayant mêmes vêtements, même nourriture, mêmes soins, devaient être développés physiquement par des travaux manuels, surtout agricoles, et recevoir l'enseignement de la morale universelle.

Ces idées eurent peu de succès, quoique les retours vers l'antiquité fussent une tendance de l'époque.

Saint-Just renchérit encore sur Lepéletier dans un chapitre de ses Institutions républicaines. Mais avant eux déjà le girondin Ducos avait parlé d'une instruction commune obligatoire. Cette idée n'est donc point particulière aux Jacobins.

A plusieurs reprises, la Convention s'occupa de l'éducation publique. Ce sujet tenait tant de place dans son esprit qu'après la fin des grandes crises, elle décida que trois séances sur dix y seraient consacrées.

Aussitôt que la république eût été proclamée, un comité fut chargé d'en écrire la constitution. Ce comité, composé de neuf membres, Sieyès, Thomas Payne, Brissot, Pétion, Vergniaud, Gensonné, Barère, Danton, ayant Condorcet pour rapporteur, déclara vouloir interroger partout le génie de la liberté; il fit appel « dans la Convention, dans la France, dans l'Europe, dans le monde entier, à quiconque pourrait fournir un contingent d'idées; » et lorsqu'au bout de quatre mois, le travail se trouva assez avancé, nouvelle invitation fut adressée à chacun des membres de l'Assemblée d'apporter le tribut de ses réflexions. Ces appels furent entendus et déterminèrent un grand mouvement dans les esprits au milieu de tant de troubles, chacun voyait un apaisement et un espoir d'avenir dans la constitution promise.

Mais le plan rédigé par Condorcet, étant principalement l'œuvre des Girondins, souleva de nombreuses et vives oppositions de la part de leurs adversaires. Les Jacobins se mirent à préparer un contre-projet qui devait être achevé sous quinzaine; puis, devenus vainqueurs par la catastrophe du 31 mai, ils formèrent un nouveau comité de constitution; celui-ci fit sa besogne en quelques séances; le comité de salut public n'en employa qu'une seule à le revoir, et, le 10 juin,

Hérault de Séchelles apporta sa rédaction à l'Assemblée.

Nous avons donc entre les mains le travail de Condorcet et celui de Hérault; nous avons en outre un Essai de constitution lu précédemment par Saint-Just à la Convention (le 24 avril), et de plus la Déclaration des droits de Robespierre, souvent citée comme une profession de foi du parti montagnard. Il n'est pas sans intérêt de jeter un coup d'œil sur ces divers documents, surtout si l'on en rapproche la Constitution de 1791 : l'unité de la révolution française en ressort avec évidence.

Girondins et Jacobins définissent l'association politïque presque dans les mêmes termes, employés déjà par les constitutionnels : « Son but est le maintien des droits naturels et imprescriptibles de l'homme. »

Leurs définitions de la liberté, de l'égalité et de la propriété, sont plus ou moins précises, plus ou moins complètes, mais d'accord sur l'essentiel.

Aussi les différents législateurs, y compris ceux de 1791, arrivent-ils à des résultats identiques: souveraineté nationale, mêmes lois pour tous les citoyens, liberté de la pensée et de ses manifestations individuelles ou collectives, résistance à l'oppression.

Condorcet, Robespierre, Saint-Just, Hérault de Séchelles aboutissent également à la république une et indivisible. Si le législateur de 1791 n'avait pas tiré pareille conclusion, c'est que son œuvre devait servir de transition entre un passé qui venait de durer plusieurs siècles et le régime de la liberté.

Mais que l'on veuille bien se reporter à la courte analyse que nous en avons faite L'autorité du roi subsiste à côté d'une Assemblée qui a le dernier mot en cas de conflit; il ne la peut dissoudre; elle se renouvelle de plein droit, fixe le chiffre de l'impôt et celui des soldats, décide de la paix et de la guerre: sauf

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